n°91 - mars / avril 2008Fiche technique / Etat des lieux

Les bases scientifiques de l’avis du Comité de Préfiguration de la Haute Autorité sur les OGM sur le maïs Mon810

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/02/2008

Partager

9 janvier 2008 : le Sénateur Legrand, Président du Comité de Préfiguration de la Haute Autorité rend publiques les réponses que les trente-quatre membres de ce comité apportent aux questions du gouvernement et annonce des “doutes sérieux” quant à l’innocuité du maïs Mon810. Peu de jours après, quatorze membres de ce comité, précisent que l’expression “doutes sérieux” ne figure pas dans l’avis. Quelque soit les termes utilisés, ce travail a servi de base au gouvernement pour annoncer, le 11 janvier 2008, sa décision d’interdire la commercialisation du maïs Mon810 sur le territoire français. Quels sont donc ces nouveaux éléments scientifiques ?

Des faits scientifiques nouveaux

Le décret du 6 décembre 2007 instituant le comité de préfiguration de la Haute autorité indique qu’il est chargé « d’une mission temporaire de réflexion sur les missions, la composition et le fonctionnement de la Haute autorité sur les OGM. Le comité peut être saisi […] sur toute question relative à l’utilisation confinée ou la dissémination volontaire d’OGM [1]. La première saisine portait sur une nouvelle évaluation du maïs Mon810, commercialisé depuis 1998. Après trois réunions, le comité a validé la publication d’un avis sur la dissémination du maïs Mon810 sur le territoire français [2] dans lequel il est fait état de “plusieurs faits scientifiques nouveaux qui concernent l’impact du Mon810 sur l’environnement, sur la santé humaine, l’économie et l’agronomie”. Ces faits scientifiques concernent la dissémination du transgène, l’effet sur des insectes non cibles de la protéine insecticide Bt et des effets sur la faune environnante et sur la santé humaine.

Selon les experts, un des faits nouveaux concerne la caractérisation de la dispersion efficace du pollen de maïs à des distances kilométriques. Par exemple, il est établi que cette dispersion peut se faire par le biais de courant d’air chaud verticaux et de vents atmosphériques horizontaux. L’avis précise donc que ces faits ont conduit à “démontrer l’impossibilité d’une absence de pollinisation croisée entre champs GM et non GM à une échelle locale (petite région argicole)”. Les experts notent que la protéine Bt se dissémine par le biais de flux hydriques dans des sédiments issus d’un terrain cultivé avec du Mon810 ou lors de contact avec les racines des plantes et qu’elle peut perdurer dans l’environnement des cultures (jusqu’à 200 jours).

Si aucune apparition de résistance chez les insectes cibles du Mon810 n’est démontrée en plein champ, le comité indique qu’une étude a prouvé que des insectes cibles secondaires (c’est-à-dire non ciblé par l’insecticide mais pouvant subir des effets lorsqu’il y est exposé) ont, eux, été sélectionnés (acquisition de résistance), impliquant que l’émergence de résistance en conditions agronomiques est donc possible.

Concernant la faune non cible, les scientifiques notent que des effets toxiques sur le long terme sur un lombric, des isopodes (crustacés marins ou terrestres), des nématodes et sur la larve du papillon grand monarque sont possibles, même si pour ce dernier, ils seraient limités. D’autres études montrent de possibles effets sur d’autres insectes non cibles par le biais des voies de dispersion de la protéine Bt.

Enfin, les experts ont pris note d’un fait scientifique à impact sanitaire indirect positif, le fait que des mycotoxines soient moins présentes sur des cultures de Mon810 que sur des cultures d’hybrides de maïs non GM (non traité). Cette donnée concerne une famille de mycotoxines, appellée “fumonisine”, sur quatre familles, toutes toxiques pour l’homme. Les mycotoxines sont des produits issus de champignons filamenteux se trouvant sur les cultures de maïs.

Des lacunes scientifiques soulevées

Sur leur lancée, les experts du comité de préfiguration de la Haute autorité ont souhaité dépasser le cadre de la saisine et font part de “questions insuffisamment prises en compte ou nouvelles comme devant être prises en considération dans l’évaluation des impacts de tout OGM”. Il existerait donc des questions scientifiques qui auraient été sous-estimées par le passé. Telles que listées dans l’avis du comité, ces questions portent sur l’évaluation de la protéine Bt, les impacts sur les insectes pollinisateurs, les données toxicologiques, les données microbiologiques ainsi qu’épidémiologiques et, considération nouvelle de la part d’un comité d’évaluation, les données économiques.

Evaluer la protéine, oui, mais quel protocole ?

La protéine Bt (pour le Mon810, il s’agit de la protéine Cry1Ab modifiée) est la protéine insecticide, synthétisée par la plante GM à partir du transgène. Élément nouveau dans la plante et dans les éléments dérivés de cette dernière, cette protéine mérite donc d’être bien connue et évaluée avant d’autoriser la PGM la contenant. Pour les experts membres du comité, il est important que toutes les études de toxicité et d’impacts environnementaux soient menées avec du maïs contenant la protéine et non avec la protéine seule comme c’est le cas dans les expériences menées par l’entreprise demandeuse de l’autorisation. Les experts ont également soulevé la question de la connaissance des produits issus de la dégradation de cette protéine au sein de la plante et du devenir de ces produits mais “sans trouver de réponse”. Enfin, les experts écrivent que “il serait intéressant de connaître l’interaction entre le transgène et différents fonds génétiques”. Ce point est important car la procédure actuelle veut que les autorisations soient données pour un évènement transgénique mais non pour une variété de plante contenant un évènement transgénique. Cet avis des experts implique donc qu’un transgène pourrait se comporter et interagir avec les autres gènes différemment selon la variété dans laquelle il se trouve.

Frédéric Jacquemart, ancien membre de la CGB et membre de la Haute autorité, a révélé à Inf’OGM qu’une demande sur des “études d’impact sur des ruches en conditions normales d’exploitation” a recueilli un avis favorable de l’ensemble des membres moins une voix. Mais il ne peut ni mentionner l’identité ni la raison de cette opposition, dont les motivations n’ont pas été reprises dans le rapport final. Dommage pour la transparence du débat sur un sujet de cette importance.

Les PGM autorisées ont toutes été évaluées quant à leur toxicité en conduisant des analyses sur un certain nombre de rats durant 90 jours. Or, l’avis informe qu’une large majorité des experts considère que le nombre de rats (10 ou 20) utilisés dans cette méthodologie est insuffisant pour “conclure à l’absence ou la présence de différences significatives entre les groupes tests [rats exposés à la protéine transgénique] et les groupes témoins [rats non exposés]”, et ne permet pas de conclure sur “l’interprétation biologique des différences observées”. Les experts précisent donc que les analyses sur rats, quels que soient les résultats, ne sont pas concluantes avec ce protocole et souligne “l’absence d’évaluation des effets endocriniens, tératogènes, et transgénérationnels”.

D’autres données scientifiques sont également demandées par les experts. Ces données décriraient idéalement les effets de la dissémination ou de la persistance des protéines Bt ou du transgène dans le sol. Des données épidémiologiques sont également demandées, mais avec la précision qu’elles ne pourraient provenir de pays utilisant les PGM comme les Etats-Unis puisqu’aucune tracabilité, via un étiquetage par exemple, n’y est pratiquée.

Ne pas oublier les données économiques

Les experts ont aussi souhaité intégrer des considérations économiques à leur avis. Selon eux, il “semble” qu’une incidence financière positive existe à l’échelle de l’exploitation, avec un gain de 40 à 110 euro par hectare et “des commodités d’utilisation” tout en précisant que des facteurs variables comme le climat ou les taux d’infestation “rendent l’analyse difficile à ce niveau” et que des éléments, comme la différence de prix entre des semences GM et non GM, n’ont pas été pris en compte. Plus globalement, le comité souligne une insuffisance de données quant à l’incidence économique des contaminations de filières, des coûts liés à la coexistence et plus généralement, une insuffisance d’analyse économique au niveau de l’exploitation, des filières et du marché international.

La réponse de Monsanto

Informée par le gouvernement le 16 janvier 2008 de la volonté de ce dernier d’activer la clause de sauvegarde sur le Mon810 qu’elle vend, Monsanto a répondu le 30 janvier aux arguments scientifiques avancés [3]. La réponse technique de Monsanto sur l’avis du comité de préfiguration comporte deux fils directeurs : d’une part, la liste des études citées par le comité n’est pas exhaustive ; d’autre part, les études citées par le comité s’attachent à identifier un danger potentiel et/ou une probabilité d’exposition. Ce dernier point est présenté par Monsanto comme “essentiel mais qui a malheureusement été négligé [par le comité]”.

Pour ce qui est des lacunes scientifiques soulevées par le comité, l’entreprise considère que cette remise en question est “sujette à caution”, les procédures d’évaluation ayant été décidées au sein d’instances européennes et internationales “auxquelles la France participe [4]. Par cet argument, Monsanto semble donc contester au comité de préfiguration et, a priori, à la future Haute autorité, le droit de remettre en cause la fiabilité des études scientifiques dans le cadre des protocoles internationaux.

Derrière cet échange entre le comité et Monsanto se cache donc une vraie question sur le travail des experts et la prise en considération d’études à leur juste valeur. Car si la définition du risque (danger x exposition, cf. encadré page 5) est définie scientifiquement, l’absence de données sur une des composantes doit-elle obligatoirement démontrer l’absence de risque ? Par exemple, doit-on conclure qu’une étude démontrant un danger sans s’attacher à la probabilité d’y être exposé ne mérite pas précaution ? On devrait pouvoir au moins espérer qu’une autorité publique ou une entreprise responsable s’attachera à reproduire cette étude et la compléter pour définir la probabilité d’occurence de ce danger, et donc in fine évaluer le risque. Mais pour l’heure, aucune des réponses fournies ne fait état de tels projets de recherche. Ce sera peut-être l’objet de certains des projets de recherche qui seront financés avec les 45 millions d’euro que vient de débloquer le gouvernement français [5].

Actualités
Faq
A lire également