n°126 - janvier / février 2014

L’UE veut-elle vraiment lutter contre la biopiraterie ?

Par Pauline VERRIERE

Publié le 10/01/2014

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La communauté internationale a décidé de lutter contre la biopiraterie en réglementant l’utilisation des ressources génétiques – plante, graine, animal, gène – dans le cadre de la Convention sur la Diversité Génétique (CDB, 1992), grâce à son protocole d’application, adopté à Nagoya en 2010, et actuellement en cours de ratification. Mais pour une mise en œuvre concrète de ces principes, il faut encore que les Etats ratifient et adoptent des règles nationales. La France et l’Union européenne (UE) s’essayent en ce moment à cette lourde tâche.

La biopiraterie, c’est l’appropriation par une entreprise ou un laboratoire de recherche d’une ressource génétique ou d’un savoir lié à une telle ressource sans l’accord ni la rémunération du pays ou de la communauté locale qui les détient. Le Protocole de Nagoya a pour but de rendre l’utilisation de ces ressources plus équitable et d’en permettre une meilleure protection [1]. Les utilisateurs de ces ressources auront donc l’obligation de partager les avantages qui en découleront, en contre partie d’un accès facilité. S’il pose de grands principes, notamment la mise en place d’un mécanisme d’accès et de partage des avantages, le protocole de Nagoya [2] reste flou sur certains points, pourtant essentiels à sa mise en œuvre effective. C’est le cas notamment de la question de la temporalité du texte : à quel moment les obligations du protocole deviennent-elles effectives ? Lorsqu’un État ou une entreprise acquièrent une nouvelle ressource génétique ou lorsqu’ils font une nouvelle utilisation d’une ressource déjà acquise ?

UE : vers une interprétation a minima du Protocole

Beaucoup de ressources génétiques ont déjà été acquises, et si le texte ne s’appliquait qu’aux ressources nouvellement obtenues, beaucoup seraient donc exclues de son champ d’application. Ce protocole deviendrait alors sans grand intérêt. Prenons, par exemple le cas du roïboos, plante issue d’Afrique du Sud, qui fait l’objet de multiples exploitations dans différents secteurs industriels (thé rouge, préparation médicinale, cosmétique). Cette utilisation ne s’est pas toujours accompagnée d’un partage des avantages. Nestlé est ainsi accusée d’avoir déposé en 2010 plusieurs brevets sur différentes applications de cette plante, sans le consentement de l’Afrique du Sud, ni évidemment aucun partage des avantages [3]. Et pour cause, le protocole de Nagoya n’est pas encore en vigueur. Imaginons maintenant que dans quelques années, après l’entrée en vigueur de Nagoya, une nouvelle application soit découverte à partir de cette ressource. Parce que déjà acquise, dans des conditions pas forcément avantageuses pour les populations locales, cette ressource pourrait à nouveau ne pas faire l’objet de partage des avantages. C’est en tout cas ce qu’a proposé la Commission européenne [4].

Sur la base de cette proposition peu ambitieuse, le Comité « environnement » du Parlement européen a voté plusieurs amendements, en juillet dernier [5]. L’un d’entre eux consiste justement à l’obliger d’appliquer Nagoya dès qu’une nouvelle utilisation est faite d’une ressource. Mais au moment des discussions en plénière par le Parlement européen de ce projet de règlement, cet amendement a disparu [6]. Pour Sandrine Bélier, députée écologiste (EELV) et rapporteuse de ce projet, le vote du texte est néanmoins « une véritable avancée ». En effet, d’autres amendements ont été votés, intégrant dans le projet de texte certaines notions importantes et notamment celle de la traçabilité des ressources génétiques utilisées, conditions essentielles pour permettre un partage des avantages. Le protocole de Nagoya demande aux parties contractantes de surveiller que les produits commercialisés sur leur territoire aient bien rempli les obligations d’accès et de partage des avantages. Mais les obligations de traçabilité ne dépendent que de déclarations volontaires des opérateurs. Une situation qui ne permet pas pour l’instant cette traçabilité, tant que la déclaration de la nature et de l’origine des ressources génétiques utilisées ne sera pas rendue obligatoire lors du dépôt de toute demande de protection intellectuelle (brevet, marque, COV…) et/ou de la mise en marché des produits. Le vote de cet amendement est donc en effet une véritable avancée.

Le Parlement avait également donné mandat à Sandrine Bélier pour mener des discussions en trilogue, entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne, pour parvenir à un accord sur le texte, avec comme objectif d’approuver ce texte d’ici à juillet 2014, période à laquelle devrait se tenir la première conférence des parties de ce protocole. Mais depuis septembre, l’eurodéputée constate combien ces négociations sont particulièrement difficiles à mener et se demande si la stratégie finale, derrière les fortes oppositions, ne serait pas d’empêcher l’émergence même d’un règlement européen sur la question. L’UE devait présenter une proposition ambitieuse lors de la conférence des Parties, chaque État membre devant faire front commun derrière elle pour soutenir cette proposition. Sandrine Bélier se demande désormais si l’UE sera même présente à la table des négociations. D’ici là, et en attendant que les résultats du trilogue soient connus, les États membres sont invités à ne pas ratifier le texte en attendant que la mise en musique de l’UE, en tant que partie au Protocole, ne soit définitivement adoptée par elle. En effet, rappelons que les textes internationaux sont signés et ratifiés à la fois par les États membres en tant qu’État et par l’UE en tant que telle. Cela est d’autant plus vrai en ce qui concerne ce protocole que seuls les États peuvent revendiquer leur souveraineté sur leurs ressources génétiques. L’UE a pour seul rôle d’harmoniser les lois nationales sur ce sujet.

Pourtant, malgré cette consigne, la France qui débat actuellement d’une loi-cadre sur la biodiversité, a d’ores et déjà commencé à réfléchir à une mise en œuvre de Nagoya. Selon le ministère de l’Environnement, il ne s’agit pas d’une démarche contraire à la demande de la Commission : la France n’est pas en train de ratifier le texte mais plutôt de réfléchir à sa mise en œuvre à l’échelle nationale. Une question d’autant plus importante qu’elle est à la fois utilisatrice de ces ressources et pourvoyeuse (via notamment ses Départements et Collectivités d’Outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, très riches en biodiversité).

La France peine à définir un « peuple autochtone »

En France, un projet de texte sur la biodiversité, qui devait être rendu public en septembre, est toujours en attente. La mise en œuvre du protocole de Nagoya fait partie des points qui retardent la présentation du projet de texte.

Parmi les questions toujours en suspend se trouve celle de la définition des peuples autochtones. Les ressources génétiques relèvent de la souveraineté des États mais sont, bien souvent, associées à une communauté locale et autochtone. Nagoya reconnaît leur importance et les intègre au système de partage. Pour autant, le texte international ne s’est pas risqué à en donner une définition. C’est aux États que revient cette tâche, et la France a des difficultés à accorder cette définition avec sa Constitution. N’oublions pas que la France est « indivisible » et « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine de race ou de religion ». Dès lors, pas facile d’arriver à accorder certains droits à une communauté particulière. Pas facile non plus de s’accorder sur l’étendue de la définition d’un peuple autochtone. Pour le ministère de l’Environnement, contacté par Inf’OGM, aucun doute que cela ne concerne que les populations d’Outre-mer. En France métropolitaine, même s’il existe certains savoirs associés à des ressources génétiques, notamment en ce qui concerne les plantes médicinales, ces savoirs seraient, en tout cas pour le Ministère de l’environnement, tous largement documentés et connus, sans aucune nouvelle découverte possible, ni nouvelle utilisation… Rien qui ne rentre donc dans le champ d’application de Nagoya.

Pour le ministère, la définition des « peuples autochtones » qui devrait être retenue sera proche de celle en vigueur dans la loi de 2006 sur les parcs naturels et notamment le parc amazonien en Guyane : « communautés d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt, pour lesquelles des droits d’usage collectif sont reconnus pour la pratique de la chasse, de la pêche et de toute activité nécessaire à leur subsistance ». Il s’agit d’un groupe de personnes ayant un sentiment d’appartenance à ce groupe et dont le mode de vie est entièrement dépendant de sa relation avec son environnement.

Guy Kastler de la Confédération paysanne, regrette une définition aussi restrictive qui ignore de très nombreux savoirs populaires traditionnels ou innovants associés aux ressources génétiques qui existent, même en métropole et qui méritent d’être protégés des pillages. Il s’agit notamment de ressources microbiennes utilisées en transformations fermières, ressources phytogénétiques et/ou microbiennes utilisées pour le soin des plantes, des animaux ou des humains…

D’autres discussions semblent bloquer l’avancée du texte, notamment avec le ministère de la recherche pour qui le dispositif de déclaration des ressources utilisées serait trop contraignant. Cela pose également la question de la propriété et de l’utilisation des banques de semences dont le contenu aurait été acquis avant l’entrée en vigueur du texte. Si l’ensemble de ce projet de texte sur la biodiversité a été arbitré, ce n’est pas le cas encore de la partie qui concerne Nagoya. Un retard qui risque de repousser la présentation du texte en Conseil des ministres, prévu vers fin janvier- février 2014.

Dans cette mise en œuvre de Nagoya, la France bouscule l’agenda. Selon Guy Kastler, elle souhaite valider rapidement sa conception restrictive afin d’influencer les autres États européens dans leur future mise en œuvre du texte. Une stratégie à l’encontre des intérêts de la protection de la biodiversité…

[4Proposition de la Commission européenne COM(2012)0576 :

http://www.ipex.eu/IPEXL-WEB/dossier/files/download/ 082dbcc539edbc43013a2b26b62512df.do

[5cf. note 1

[6http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//

TEXT+TA+P7-TA-2013-0373+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR

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