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France – OGM : L’avis du Comité scientifique du HCB sur la coexistence rendu public malgré l’obligation de confidentialité

Par Christophe NOISETTE

Publié le 11/01/2012

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Inf’OGM a été surpris de découvrir, le 3 janvier 2012, sur le blog de Marcel Kuntz [1], l’avis du Comité scientifique (CS) du Haut conseil sur les biotechnologies (HCB) à propos de la coexistence des filières de plantes génétiquement modifiées (PGM) et non GM. En effet, cet avis était censé être confidentiel, jusqu’à la conférence de presse prévue pour le 17 janvier par le HCB pour présenter son avis global sur la coexistence, avis composé d’un avis du CS et d’une recommandation du Comité éthique, économique et social (CEES). Interrogé par Inf’OGM, Marcel Kuntz nous a précisé qu’il pensait que « c’était la version finale de l’avis », mais est resté discret quant à l’origine de cette fuite…

Autre surprise : cet avis nous interroge quant à sa teneur. De nombreux points sont des prises de position qui vont bien au-delà des prérogatives des membres du CS.

Premièrement, selon cet avis, pour que la coexistence des filières de maïs et de betterave GM et non GM soit possible, il faut certes imposer des conditions draconiennes, mais le CS estime aussi qu’il faut accepter « une présence fortuite », ce qui signifie en langage clair, des contaminations des champs non GM par des PGM : « Le CS du HCB reconnaît que la coexistence implique per se l’idée de la présence fortuite d’OGM en fonction des conditions locales (paysage, météorologie, climat) » (cf. page 16) . La question en suspens est donc de savoir qui payera pour ces contaminations. Ce n’est pas au CS de se prononcer sur cet aspect là, et nous attendons donc de connaître la recommandation du CEES. Cependant, le CS évoque le cas de « conditions météorologiques exceptionnelles, coup de vent ou tempêtes, qui perturberont les prévisions [qui] pourraient ainsi faire l’objet de clauses particulières », et dans ce cas, pour le CS, « il sera donc du ressort de l’État de mettre en œuvre des mesures d’encadrement adaptées ». Or si l’État est responsable, c’est à l’État de payer. Ainsi, ce sont les contribuables qui seront amenés à payer pour compenser des contaminations liées à la présence de PGM alors qu’ils ont majoritairement dit à plusieurs reprises qu’ils ne souhaitaient pas de PGM, « ni dans les champs, ni dans les assiettes ».

Deuxièmement, la loi française sur les OGM affirme, dans son article 2, que « les organismes génétiquement modifiés ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect de l’environnement et de la santé publique, des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées de ’sans organismes génétiquement modifiés’ ». La loi précise même : « La liberté de consommer et de produire avec ou sans organismes génétiquement modifiés, sans que cela nuise à l’intégrité de l’environnement et à la spécificité des cultures traditionnelles et de qualité, est garantie dans le respect des principes de précaution, de prévention, d’information, de participation et de responsabilité inscrits dans la Charte de l’environnement de 2004 et dans le respect des dispositions communautaires ». Or, l’avis du CS donne son interprétation très partiale de cette exigence de la loi en soulignant que « Le CS du HCB propose en conséquence de s’appuyer sur la loi, qui met en avant la liberté de produire et consommer avec ou sans OGM » (p. 16). La loi n’est certes pas totalement limpide sur cet aspect, mais la simplification proposée par le CS est une interprétation, qui ne s’impose pas et qui, une fois de plus, ne découle pas des données scientifiques. En tout cas, cette position prise par le CS est significative d’un certain parti pris.

Troisièmement, le CS du HCB demande rien de moins que de changer d’unité de mesure dans le cadre de la coexistence des filières OGM et non OGM. Actuellement, la présence d’OGM est évaluée en « mesure ADN », c’est-à-dire en pourcentage de transgènes par rapport au nombre de gènes de référence de l’espèce. Le CS du HCB propose de passer à une « mesure grain/racine/tubercule ». En effet, les OGM à empilement de gènes (comme par exemple ceux autorisés à la veille de Noël [2]) gênent les partisans de la coexistence. Avec comme unité de mesure, celle de l’ADN, les OGM à empilement font que le seuil de 0,9% devient quasiment impossible à tenir. Pour que la coexistence reste éventuellement possible, il suffirait donc d’utiliser des unités qui ne tiennent pas compte des empilements. Il fallait y penser. On peut donc lire : « le CS du HCB propose d’utiliser une mesure de la présence relative de grains/racines/tubercules GM dans d’autres productions, calculée en utilisant l’unité de mesure en vigueur affectée d’un facteur de correction qui prendrait en compte l’identité des OGM cultivés dans le voisinage de la parcelle testée ». Le CS précise sa vision des choses : « la nature de leur modification génétique (notamment le nombre d’inserts transgéniques) ne les rendra pas plus ou moins GM » (page 10). Ce dernier point n’est rien d’autre qu’un jugement de valeur dont le CS aurait pu se garder. Ce n’est pas à lui de juger qu’une PGM à plusieurs transgènes a la même valeur pour la société qu’une PGM à un seul transgène. Ce jugement ne découle en tout cas d’aucune donnée scientifique et c’est donc à la société de se prononcer sur cet aspect. Une fois de plus, la prise de position politique du CS est significative.

Quatrièmement, le CS demande à « considérer la parcelle agricole comme unité de lot ». Cette demande nous renseigne sur le cadre pris en compte pour la rédaction de cet avis : les grandes productions agricoles conventionnelles. Concrètement, les éventuels dommages provoqués par la coexistence ne concernent pas la culture, mais la commercialisation des produits de cette culture. Ils concernent donc les lots commercialisés et non la parcelle. Dans les cas de commercialisation de la récolte en vrac à destination du silo, le taux moyens de présence fortuite dans la parcelle est une bonne unité de mesure. Mais dans les cas de commercialisation à l’unité (maïs doux vendu par épis) ou par petits lots (pomme de terres, betterave ou blettes – pouvant être contaminées par des betteraves GM – en vente directe, maïs doux conservé en épis avant la mise en boîte – chaque boîte ne contenant que deux ou trois épis -), le taux moyen dans la parcelle doit être beaucoup plus bas que le taux moyen garanti dans chaque lot commercialisé. Les « précautions » (distances….) doivent donc être supérieures. Les producteurs de maïs doux en Alsace l’ont compris : la filière maïs doux de consommation humaine alsacienne a en effet imposé en 2006 et 2007 une concertation aboutissant à une région entière sans culture de maïs OGM pour ne pas prendre le risque de retrouver des contaminations fortuites dans ses produits. Par contre, les filières maïs grain conventionnel du Sud-ouest se sont contentées du protocole de « coexistence » d’Arvalis/AGPM « garantissant » le 0,9% au niveau de la parcelle (bordures + quelques mètres de distances entre les parcelles).

Cinquièmement, comment se fait-il qu’en plein débat européen sur le miel contaminé par du pollen de plantes transgéniques, la question de la présence de ruches ou d’autres butineurs sauvages ou non entre deux champs n’ait pas été abordée par le CS ?

Enfin, nous tenons à souligner que cet avis est censé éclairer le gouvernement. Or, il comporte de nombreuses phrases absconses, qui laissent perplexe un lecteur même attentif… Voici une de ces perles sibyllines : « ne pas prendre en compte les incertitudes de mesure liées aux opérations de contrôle, car elles dépendent de choix méthodologiques et de l’interprétation des tests qui ne sont pas directement liés aux facteurs affectant directement la présence fortuite ». Nous souhaitons bien du courage aux responsables politiques qui devront décrypter cet avis.

Ces « surprises » ne sont en fait pas si surprenantes que cela : on connaît la position du Président du CS du HCB, Jean-Christophe Pagès, ainsi que celle du Vice Président, Jean-Jacques Leguay, depuis la publication dans Les Échos (19 décembre 2012) d’un article intitulé : « OGM, un sigle, des réalités » [3]. Cet article appelle notamment les pouvoirs publics à ne pas trop en faire en matière d’évaluation des risques : « la pierre angulaire de l’évaluation des risques doit rester la proportionnalité des mesures qui cadrent les autorisations. Ayant écarté les dossiers qui comportaient des risques objectifs, deux pièges doivent être évités. Une surévaluation des risques, en se basant sur des hypothèses scientifiques avant tout théoriques, bloquerait une production utile. La multiplication des exigences de certitudes comme préalable à toute utilisation stériliserait les initiatives de recherche avant même leur développement ».

La neutralité du CS apparaît de plus en plus relative… Comme la neutralité affichée de Marcel Kuntz sur son blog. Il affirme en effet que « Ce site n’est pas militant, car il ne dit pas si les OGM c’est bien ou mal, s’il faut en manger ou pas. Ce site présente de manière simple les faits et études scientifiques ». Or, dans ce même blog, Marcel Kuntz écrit : « je ne prétends aucunement à l’objectivité entre les arguments pour ou contre les OGM. Je n’éprouve pas le besoin d’être ‘politiquement correct’ en exposant les positions des uns et des autres ». C’est quand même plus clair comme ça.

[1Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale et enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble. Son blog : http://www.marcel-kuntz-ogm.fr/ 

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