Actualités

FRANCE – Des peupliers OGM pour des projets industriels aberrants

Par Eric MEUNIER, Christophe NOISETTE

Publié le 07/05/2013

Partager

Peut-on utiliser des terres agricoles pour produire des agro-carburants ? La France doit-elle favoriser la recherche publique dans cette direction, notamment en permettant l’expérimentation en champs de peupliers génétiquement modifiés « pour changer le processus de synthèse et de bio-déposition des lignines » ? Ce sont les deux questions posées au Comité économique, éthique et social (CEES) du Haut conseil des Biotechnologies (HCB), suite à une demande de l’Inra au ministère de l’Agriculture pour prolonger son autorisation d’essai en champ de peupliers GM de cinq ans. Saisis par le ministère de l’Agriculture le 22 février 2013, les membres du CEES ont conclu majoritairement que ce projet industriel n’était pas pertinent.

Un essai qui dure

L’essai en champ dont l’Inra demande aujourd’hui le renouvellement est le dernier essai en champ en France. C’est aussi l’un des plus anciens… Le dossier présenté concerne des peupliers transgéniques dont une première autorisation pour un essai en champ avait été délivrée par la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), l’ancêtre du Haut conseil sur les Biotechnologies (HCB), en 1995. Un deuxième dossier avait été déposé et accepté en 1999. En 2003, l’Inra regroupe les deux dossiers pour en demander une nouvelle prolongation, qu’il obtient. Nouvelle demande en 2007, puis en 2013. L’Inra étudie donc des peupliers au taux de lignine modifié depuis 18 ans, et considère qu’il doit encore acquérir quelques connaissances…

La modification génétique effectuée a pour objectif de modifier « en quantité et en qualité » les lignines produites par les peupliers et donc « les propriétés du bois » produit. Les productions de papier et d’énergie sont le contexte général de ce travail, l’Inra expliquant dans son dossier de demande d’autorisation que « les lignines sont indésirables » pour la production de papier ou d’agrocarburants mais qu’elles peuvent être utilisées comme combustible « prometteur pour produire de l’énergie et de la chaleur [et] pourraient également constituer un produit secondaire à haute valeur ajoutée au titre de précurseurs en chimie aromatique ». L’Inra cherche donc à modifier en qualité et/ou en quantité les lignines du peupliers pour « séparer efficacement les lignines des autres composants du bois ». Cette modification est obtenue en faisant exprimer aux peupliers quatre enzymes impliquées dans la voie de biosynthèse de la lignine.

Les risques sanitaires et environnementaux semblent faibles

Le Comité Scientifique (CS) du HCB a évalué les risques liés à cet essai. Sa conclusion : aucun « risques identifiables pour la santé humaine ou animale ou pour l’environnement ». De son côté, étant donné les modalités de cet essai, le CEES considère la dissémination par le pollen, par les graines et par les rejets comme faible. Mais la présence de deux gènes codant pour la résistance à des antibiotiques a retenu l’attention du CEES. Il rappelle que «  la loi prévoit désormais qu’ils doivent être éliminés des nouvelles expérimentations d’OGM “lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets préjudiciables” ». Le CS considère leur impact (notamment via le transfert vers les bactéries du sol) comme « négligeable », mais « le CEES déplore simplement que le pétitionnaire n’ait pas cherché à confirmer ce point par davantage d’analyses durant toutes ces années depuis lesquelles l’expérimentation est en place ». Un dernier aspect sanitaire a été soulevé par quelques membres du CEES : « Ils s’interrogent sur d’éventuelles modifications de la composition de la propolis [1] qui pourrait découler de la transformation génétique et réclament une étude sur ce sujet, soulignant que ces modifications pourraient avoir un impact sur les insectes pollinisateurs et sur l’activité économique des apiculteurs ».

Des connaissances déjà acquises qui ne justifient pas une prolongation

L’Inra justifie sa demande de renouvellement de l’essai comme permettant « d’approfondir et de compléter les analyses issues de l’essai précédent, en évaluant les performances agronomiques et technologiques dans de meilleures conditions ». Or, comme il l’écrit dans sa recommandation, « le CEES reste perplexe quant à l’intérêt de l’essai ici envisagé et quant à son aptitude à fournir de nouveaux développements scientifiques. […] Le dossier de demande qui a été soumis au HCB paraît confus et semble ou bien viser des objectifs de recherche appliquée (sur lesquels nous revenons un peu plus loin) ou bien viser à approfondir des connaissances fondamentales, pour la plupart déjà obtenues lors des précédentes expérimentations ».

Un projet industriel non pertinent dans un contexte de raréfaction des terres arables

Ainsi, concrètement, « plus que l’acquisition de nouvelles données, la demande telle que formulée auprès du HCB poursuivrait prioritairement un objectif de recherche industrielle visant à tester l’intérêt du bois issu des lignées génétiquement modifiées dans l’éventuelle mise en place d’une filière de production de peuplier cultivé pour la production de bioéthanol ». Or, pour la majorité du comité, les questions sont nombreuses et malheureusement l’Inra ne les aborde pas dans son dossier. Ainsi, « le recours aux peupliers cultivés en taillis et à très courte rotation comme le prévoit le dossier, est-elle la solution la mieux adaptée à la production de bioéthanol sur le territoire français ? ».

Tout d’abord, il est précisé dans cette recommandation que « le peuplier pousse dans des sols humides non portants » et que « ces sols sont soit occupés par une ripisylve spontanée, de grande valeur écologique, soit par des populicultures destinées à la production de bois, essentiellement pour fabriquer des caisses qui, autrement, seraient en plastique ». La production d’agrocarburants entrerait donc directement en concurrence avec ces deux « usages ». L’Inra répond que les peupliers GM seront cultivés «  sur des terrains marginaux souvent éparpillés et difficilement accessibles aux engins agricoles » et que donc il n’y aura pas de concurrence. Cet argument n’a pas rassuré le CEES, au contraire « du fait des difficultés d’exploitation en terrains marginaux, de l’importance des surfaces de culture devant se trouver à proximité des infrastructures industrielles et des primes PAC qui, en l’état, ne peuvent être obtenues qu’en cultivant des terres agricoles ».

D’ailleurs, le projet industriel semble peu concrétisable : d’une part, l’Inra, comme elle l’a précisé au CEES, n’a toujours pas trouvé de partenaire industriel en vue de formuler une demande de financement à l’Agence nationale de la recherche, d’autre part « les résultats de la première coupe de peupliers […] n’ont toujours pas été analysés faute, semble-t-il, de technologie de transformation disponible ». Ainsi, le CEES en vient légitimement à se demander si cet essai ne profiterait pas « dès lors en premier lieu aux productions d’eucalyptus destinées à la production d’éthanol dans des pays disposant de grandes surfaces forestières ». En effet, aux Etats-Unis et au Brésil, des projets de plantations d’eucalyptus GM ont d’ores et déjà été autorisés au niveau expérimental [2]. L’Inra, d’après le CEES, se serait aussi posé la question. Enfin, le CEES note l’absence d’un bilan carbone global de cultures de peupliers en taillis à très courtes rotations.

On soulignera que cette recherche s’inscrit dans une dynamique plus générale qui considère la Nature comme une biomasse utilisable par l’humain aux fins de production d’énergie ou de molécules chimiques. Cette approche se retrouve derrière les stratégies suivies par les entreprises de biotechnologie qui, équipées des brevets portant sur les techniques de biotechnologie utilisées et leurs produits, organisent le marché international de la biomasse.

La Confédération paysanne, dans un communiqué de presse publié le 22 avril 2013, reprend quelques arguments forts de cette recommandation et exige la destruction de l’essai. « Il y a quinze ans, cet essai avait pour but de fournir de la matière première pour fabriquer du papier. Mais les papetiers ne veulent pas de ces OGM. C’est pourquoi l’Inra propose de s’en servir comme biomasse pour fabriquer des carburants. Pour exister, une telle production se ferait soit sur des terres très fertiles destinées aujourd’hui à la production de nourriture ; soit sur les terres dites « marginales » encore présentes sur notre territoire, véritables réservoirs de biodiversité. L’exploitation de ces dernières serait encore une fois grassement subventionnée. Dans les deux cas, on sait aujourd’hui que les agro-carburants ne contribuent pas à la réduction des gaz à effet de serre ». Ainsi, au-delà de la critique de cet essai, la Confédération paysanne demande que les financements publics soient réorientés et que « La mission de l’Inra [se recentre] sur le développement de l’agriculture paysanne et des pratiques réellement agro-écologiques ».

Une consultation publique jusqu’au 27 mai

« Les expérimentations au champ sur des plantes génétiquement modifiées sont strictement réglementées. Elles doivent recevoir au préalable une autorisation délivrée par le ministre chargé de l’agriculture après accord du ministre chargé de l’environnement. La décision est prise après une évaluation par le Haut conseil des biotechnologies et une consultation du public  », précise le site du ministère [3]. Cette consultation est donc ouverte du 6 au 27 mai 2013. Pour y répondre, il suffit d’envoyer un courrier électronique à l’adresse suivante : consultation.ogm.dgal@agriculture.gouv.fr. L’association Cyber’Acteur propose une réponse à cette consultation [4].

[1Selon wikipedia, « La propolis est un matériau recueilli par les abeilles à partir de certains végétaux. Cette résine végétale est utilisée par les abeilles comme mortier et anti-infectieux pour assainir la ruche. Elle est récoltée pour ses propriétés thérapeutiques« .

Actualités
Faq
A lire également