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FRANCE – A deux voix près, la loi pour interdire les maïs OGM a été jugée irrecevable par le Sénat

Par Christophe NOISETTE

Publié le 17/02/2014

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Suite à l’annulation en août 2013, par le Conseil d’État, de l’arrêté du ministère de l’Agriculture interdisant la culture du maïs génétiquement modifié MON810 [1], le gouvernement s’était engagé à reprendre une ou des mesures pour que la saison 2014 soit garantie sans cultures de plantes génétiquement modifiées (PGM).

Une proposition de loi a été déposée le 4 février, par le sénateur Alain Fauconnier (PS), en lien avec le gouvernement qui a engagé la procédure accélérée, pour une adoption plus rapide de ce texte [2].

Le 17 février, le Sénat a voté une motion d’irrecevabilité proposée par le Sénateur Bizet (171 pour, 169 contre) [3]. Le projet de loi ne sera donc pas débattu.

En parallèle, le gouvernement propose un projet d’arrêté pour interdire le MON810 et s’assurer que le calendrier parlementaire ne permette pas des semis de maïs transgénique. Alors, des maïs transgéniques dans les champs français en 2014 ? Affaire à suivre…

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La loi d’interdiction des maïs GM a été jugée irrecevable à deux voix près (171 voix pour l’irrecevabilité et 169 contre cette motion [4]). Prévue par l’article 44 du règlement du Sénat, une telle motion, déposée le jour même par MM. Bizet et César (UMP), permet de rejeter le texte sans que ce dernier soit examiné, au motif qu’il serait contraire à des dispositions constitutionnelles, légales ou règlementaires. Les deux sénateurs contestaient à la fois la forme de cette interdiction et son contenu. D’après eux, cette loi ne s’inscrit dans aucun cadre légal français et européen. Ils rappellent que la Constitution française « reconnaît le principe de la primauté du droit européen sur la loi française. Or, le droit européen ne permet pas aux États de prendre une mesure d’interdiction générale de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national ». Se référant à la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne et à celle, en France, du Conseil d’État, sur l’arrêté ministériel de 2012, les sénateurs soulignent que « pour prendre des mesures de suspension ou d’interdiction de l’utilisation ou de la mise sur le marché d’un OGM tel que le MON 810, l’État membre doit (…) établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ». C’est justement au nom de l’absence de preuve manifeste que l’arrêté de 2012 avait été annulé par le Conseil d’État.

Mais le gouvernement a voulu, par cette loi, sortir du débat d’experts et a justifié l’interdiction des maïs génétiquement modifiés certes pour des raisons scientifiques mais aussi, et surtout, socio-économiques. La France, assure le gouvernement, a le droit de protéger ses productions agricoles et apicoles des contaminations génétiques.

Au cours du débat parlementaire, le ministère de l’Agriculture a lui même reconnu que la loi proposée n’était pas compatible avec les règles européennes, mais qu’il n’avait pas d’autres solutions actuellement. Mais pour lui, l’autorisation du MON810 est elle aussi illégale : elle était valable pour dix ans et « la date limite est dépassée ! ». Elle l’est même depuis six ans…

Un arrêté d’interdiction actuellement en discussion

Cependant, une autre carte juridique pourrait compenser l’échec de cette loi. Le gouvernement a annoncé le 17 février qu’il prendrait un arrêté d’interdiction. La volonté du gouvernement semble donc ferme : pas un épi transgénique dans nos champs… Il a ainsi soumis à consultation du public un projet d’arrêté [5]. Ce dernier, intitulé « Arrêté du [ ] interdisant la commercialisation et l’utilisation des variétés de semences de maïs génétiquement modifié (Zea mays L. lignée MON810) » est rédigé ainsi : « La commercialisation et l’utilisation des variétés de semences de maïs issues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON810 mentionnée dans l’arrêté du 3 août 1998 susvisé est [sic] interdite sur le territoire national jusqu’à l’adoption, d’une part, d’une décision définitive en application de l’article 18 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 susvisé et, d’autre part, des mesures communautaires mentionnées au 3 de l’article 54 du règlement (CE) 178/2002 du 28 janvier 2002 susvisé ».

Cet arrêté est justifié tout d’abord par un déficit dans l’évaluation : l’évaluation sanitaire du MON810 a été faite selon des normes désormais obsolètes et la demande des États (faite en 2008) de renforcer l’évaluation environnementale des PGM n’a toujours pas été prise en compte par l’UE ; ensuite, par des éléments tangibles qui montrent « que la culture des variétés de semences du maïs MON810 est susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement, ainsi qu’un danger de propagation d’organismes nuisibles devenus résistants, en l’absence de mise en œuvre de mesures de gestion susceptibles de limiter ces risques » (avis de l’AESA du 8 décembre 2011 et du 6 décembre 2012, nouvelles études (Campagne, 2013, Mezzomo, 2013, Zhou, 2014, Holst, 2013)) ; troisième série d’arguments du gouvernement : « aucune mesure de gestion de la culture des variétés de semences de maïs MON810, destinée à limiter les risques importants (…) n’est imposée par la décision d’autorisation n°98/294/CE ».

Mais cet arrêté pourra, à nouveau, être attaqué devant le Conseil d’État. Jusqu’à présent, ce dernier a toujours considéré qu’il n’y avait pas d’urgence à agir, et a, de ce fait, annulé les précédents moratoires français. Ne va-t-il pas considérer que le gouvernement s’entête dans une voie réglementaire qu’il a déjà jugée par deux fois non recevable ? Est-ce que les nouvelles publications scientifiques permettront de montrer un risque grave et une urgence à agir ?

Il existe cependant une nuance avec la précédente interdiction française, prise en 2012. Elle n’avait été notifiée « que » comme une mesure d’urgence, car la France n’avait alors fait référence qu’au règlement 1829/2003. Or, cette nouvelle interdiction, si elle utilise également la mesure d’urgence, fait aussi référence à un autre texte, la directive 2002/53 et son article 18 [6]. C’est selon ce fondement là que la Pologne et la Grèce avaient interdit la vente de semence de maïs MON810 sur leur territoire. Une nouveauté qui pourrait prendre plus de temps à être examinée par le Conseil d’État, si cette mesure venait à être attaquée…

La France veut une modification en profondeur du cadre juridique européen

Au-delà de ce débat national, la France entend proposer aux autres États membres une modification substantielle du cadre européen d’autorisation des PGM. Elle souhaite que soit acquis une plus grande souveraineté nationale sur le dossier OGM. Cependant, la proposition faite par le Commissaire Dalli, est considérée par le ministère de l’Agriculture comme extrêmement fragile juridiquement. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, l’a rappelé en ouverture de ce débat parlementaire : « Je soutiens cette proposition de loi car elle permet un cadre pour débattre sur la législation européenne ». Le ministre est revenu longuement sur l’évolution nécessaire du cadre européen qui permette « d’objectiver le débat ».

[4Au sein du groupe Rassemblement démocratique et social européen, les divergences étaient nombreuses sur ce vote. C’est donc ce groupe, composé de plusieurs membres du parti radical de gauche, qui a fait basculé le vote en faveur de l’irrecevabilité.

[5Consultation du 17 février au 9 mars inclus : http://agriculture.gouv.fr/Consultation-du-public-MON810

[6« S’il est constaté que la culture d’une variété inscrite dans le catalogue commun des variétés pourrait, dans un État membre, nuire sur le plan phytosanitaire à la culture d’autres variétés ou espèces, présenter un risque pour l’environnement ou pour la santé humaine, cet État membre peut, sur demande, être autorisé, selon la procédure visée à l’article 23, paragraphe 2, ou à l’article 23, paragraphe 3, s’il s’agit d’une variété génétiquement modifiée, à interdire la commercialisation des semences ou plants de cette variété dans tout ou partie de son territoire. En cas de danger imminent de propagation d’organismes nuisibles, de danger imminent pour la santé humaine ou pour l’environnement, cette interdiction peut être établie par l’État membre intéressé dès le dépôt de sa demande jusqu’au moment de la décision définitive qui doit être arrêtée dans les trois mois selon la procédure visée à l’article 23, paragraphe 2, ou à l’article 23, paragraphe 3, s’il s’agit d’une variété génétiquement modifiée. »

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