n°127 - mars / avril 2014

Dissémination d’OGM aux États-Unis : le paysan, victime ou coupable ?

Par Pauline VERRIERE

Publié le 28/04/2014

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Alors que les trois Académies françaises des sciences, de l’agriculture et des technologies voudraient notamment nous faire croire (1) à la possible coexistence entre « l’agriculture transgénique, traditionnelle et bio », une affaire judiciaire aux États-Unis vient, à nouveau, montrer combien cette coexistence est difficile à mettre en place. Entre contamination et vol de brevet, la Cour suprême des États-Unis refuse de trancher.

Qu’ils s’inscrivent dans une démarche sans OGM ou soient agriculteurs et semenciers bio, ils sont nombreux aujourd’hui à s’inquiéter de poursuites judiciaires à leur encontre. Leur crime ? Avoir été contaminés par un voisin qui cultive des OGM… alors qu’eux-mêmes refusent d’utiliser ces semences et l’herbicide chimique qui leur est associé, le Roundup.

Là où la France fait peser la responsabilité sur celui qui a mis en culture les plantes génétiquement modifiées (PGM) [1], c’est le contraire qui se produit Outre-Atlantique.

Votre production a perdu son label bio ? Des marchés d’exportation vers des pays qui exigent du « sans OGM » vous ont échappé ? Surtout, répond Monsanto, vous avez violé un brevet, en utilisant des OGM sans avoir payé les droits afférents. Et Monsanto ne reste pas les bras croisés, pour faire valoir « ses droits ». Entre 1997 et 2010, ce ne sont pas moins de 144 procès que l’entreprise a intentés devant les tribunaux pour utilisation illégale de ses semences. 700 autres affaires ne sont pas allées jusque là, un « accord » entre les parties ayant été trouvé avant [2]… Entre un particulier et une multinationale, on peut aisément imaginer combien ces négociations ont dû être équitables…

Face à ce double risque permanent, celui de se faire contaminer (perte de marché) et celui de se retrouver poursuivi en justice (obligation de payer des dommages et intérêts), plusieurs agriculteurs et semenciers, bio ou non, ont demandé à Monsanto un engagement juridiquement contraignant de sa part, pour que cessent les poursuites en cas de contamination. L’entreprise a refusé un tel contrat, estimant qu’elle n’avait de toute façon pas d’intérêt à engager des poursuites en cas de faibles présences accidentelles de ses OGM, position qu’elle a déjà exprimée publiquement.

Face à ce refus, ces agriculteurs et semenciers [3] ont décidé de porter collectivement l’affaire devant les tribunaux pour prévenir les attaques à venir de Monsanto, qui leur semblent inévitables.

Une contamination inévitable reconnue par la Cour

En janvier 2014, la Cour suprême des États-Unis est finalement venue mettre un terme à cette procédure : en refusant de se pencher sur cette affaire, elle n’accorde pas aux plaignants une protection préventive vis-à-vis de Monsanto. L’une des parties à l’affaire, Pubpat [4], nuance cependant l’interprétation du refus de la Cour suprême : il ne s’agit pas d’un droit de Monsanto à intenter de tels procès [5], ni de la garantie d’une victoire de Monsanto en cas de procès. Pour Pubpat, cette position doit être lue à la lumière de la décision de la Cour d’appel fédérale (compétente sur les brevets) de juin 2013, qui a précédé celle de la Cour suprême et qui donne raison aux agriculteurs sur deux points [6]. Elle reconnaît tout d’abord que la contamination des semences par les OGM a « de fortes chances d’être inévitable » [7], et ce, même avec de strictes mesures de précaution. Elle rappelle d’ailleurs que la Cour suprême avait, elle-même, reconnu récemment dans une affaire précédente [8], l’existence d’un risque de dissémination de transgènes de cultures GM vers des cultures conventionnelles. La Cour d’appel donne ensuite une valeur contraignante à l’engagement de Monsanto de ne pas poursuivre les faibles contaminations : suite au débat devant elle, ce faible seuil, défini à hauteur de 1%, a été accepté lors des débats par Monsanto. La Cour d’appel rappelle qu’une argumentation évoquée lors d’un procès par une partie qui a eu gain de cause, ne peut être modifiée ultérieurement par la partie en question en ce qui concerne le même brevet. Monsanto ne peut donc plus poursuivre des agriculteurs victimes de contamination, tant que cette contamination n’excède pas les 1%. En revanche, Monsanto s’est bien gardé de clarifier la situation des agriculteurs dont la contamination serait supérieure à 1% mais qui n’utiliseraient pas le Roundup [9]. Dans un pays, comme les États-Unis, où les cultures de PGM sont très présentes, les contaminations peuvent largement excéder ce seuil. Rappelons que la plupart des PGM ne présentent aucun autre intérêt que celui de tolérer l’utilisation d’un herbicide, le Roundup (à base de glyphosate). La non utilisation de cet herbicide devrait permettre de prouver que l’agriculteur s’est bien fait contaminer et n’essaye pas d’utiliser un brevet sans payer les droits associés. Une logique qui n’est pas celle de Monsanto, qui n’exclut donc pas de poursuivre les agriculteurs plus gravement contaminés. C’est en effet une belle stratégie pour convaincre les derniers réfractaires à cette technologie : achetez des semences GM ou soyez ruiné à coups de procès, puisque de toute façon vous serez contaminé tôt ou tard. Une situation qui amènera « tôt ou tard » une poignée de multinationales à devenir propriétaire de tout ce qui est cultivé sur terre ?

Par peur de ces poursuites, et face à l’impossibilité d’être sûrs de ne pas utiliser des semences contaminées, les agriculteurs parties dans l’affaire ont souligné devant la Cour qu’ils s’abstiennent déjà de cultiver « maïs, coton, colza, betteraves sucrières, soja et luzerne à partir de semences conventionnelles » [10]… Une situation qui nous montre combien le droit de cultiver et de consommer avec ou sans OGM est bien difficilement tenable dès lors que les PGM sont introduits dans les champs.

En Suisse, la victime n’est pas coupable

Pour la loi suisse, la contamination n’est pas un vol de brevet ! Dans sa loi sur les brevets [11], la Suisse encadre strictement la situation de contamination mais adopte une position opposée à celle des tribunaux américains. En effet, « les effets du brevet ne s’étendent pas […] à la matière biologique dont l’obtention dans le domaine de l’agriculture est due au hasard ou est techniquement inévitable » [12]. Une disposition qui, si elle n’empêche pas les contaminations, évite en revanche tous risques de recours judiciaires vis-à-vis des agriculteurs contaminés. C’est déjà ça.

[1La responsabilité vis-à-vis du dommage économique relève de la compétence exclusive des États membres (Lignes directrice sur la coexistence de 2010, C(2010)4822), les sanctions en cas de non respect de la réglementation européenne sur les OGM relèvent également de la compétence des États membres (article 45 règlement 1829/2003 et 33 de la directive 2001/18). En France, c’est l’article L. 663-4.-I. du code rural qui encadre cela : « Tout exploitant agricole mettant en culture un organisme génétiquement modifié dont la mise sur le marché est autorisée est responsable, de plein droit, du préjudice économique résultant de la présence accidentelle de cet organisme génétiquement modifié dans la production d’un autre exploitant agricole […] ». Certains aspects de cette responsabilité doivent encore être complétés par un décret, notamment en ce qui concerne l’obligation pour l’exploitant qui met en culture des OGM de souscrire une garantie financière.

[2US Court of Appeals for the Federal Circuit Ruling in OSGATA et al. v. Monsanto

[3Parmi les 83 plaignants, se trouvent des familles d’agriculteurs étasuniens et canadiens, des semenciers indépendants, des organisations agricoles pour l’agriculture biologique ou non

[4Public patent Foundation : http://www.pubpat.org/

[5Communiqué de presse de la coalition d’associations, agriculteurs et semenciers contre Monsanto :

http://www.fooddemocracynow.org/blog/2014/jan/13/supreme_court_denies_farmers_protection_Monsanto/

[7« likely inevitable »

[8Monsanto v. Geertson Seed Farms, 561 US (2010)

[9Fin 2012, Monsanto avait empoché plus de 23 millions de dollars (18 millions d’euros) de dommages et intérêts de la part de fermiers américains, après avoir intenté pas moins de 142 procès pour violation des brevets contre 410 agriculteurs et 56 petites entreprises agricoles. Mi-février, un rapport du Center for food safety intitulé « Les géants des semences contre les fermiers américains » expliquait que l’entreprise emploie 75 personnes et un budget de 10 millions de dollars pour ces poursuites judiciaires. Ce contrôle tenace inquiète aussi les agriculteurs qui n’ont pas acheté de semences Monsanto, mais dont les champs, entourés de cultures OGM, sont susceptibles de se faire contaminer, voir : http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/05/17/des-etats-unis-a-l-europe-a-qui-appartiennent-les-plantes-cultivees_3235181_3244.html

[10Voir la décision citée en note 2. Les agriculteurs soulignent l’existence d’un risque trop grand pour eux, dans la mesure où 85 à 90% du soja, maïs, coton, betterave sucrière et colza qui poussent aux États-Unis contiennent des gènes brevetés par Monsanto

[11Loi fédérale sur les brevets d’invention -du 25 juin 1954 modifiée

[12Article 9-1. f de la loi fédérale sur les brevets d’invention

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