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Détection des OGM : imparfaite et coûteuse

Par Frédéric PRAT

Publié le 23/07/2002

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Le législateur européen n’autorise qu’au compte-gouttes les variétés transgéniques (certaines d’ailleurs seulement autorisées à l’importation mais pas à la culture en Europe) pour lesquelles il définit, de plus, des règles strictes d’étiquetage. Mais cet arsenal législatif est aujourd’hui difficilement applicable : on ne dispose en effet d’aucune méthode normalisée de détection des OGM, d’où des discordances possibles de résultats entre laboratoires ! Dès lors, comment contrôler efficacement l’entrée en Europe d’OGM non autorisés ? Comment détecter des OGM dans les produits alimentaires ? Pourquoi imposer des seuils de «  présence fortuite  » au consommateur ?

Différents comités d’experts se penchent sur la question. En France, une commission de l’AFNOR, présidée par Yves Bertheau de l’INRA (et intégrée par des acteurs de la filière, dont les associations de consommateurs…), devrait publier à l’automne 2000 un texte de référence…

«  Nous ne sommes pas en mesure de détecter des OGM dont nous ne connaissons pas les modifications génétiques  » souligne Emmanuel Gachet du laboratoire privé d’analyses Eurofins Scientific à Nantes. En effet, «  le problème de fond actuel pour les laboratoires impliqués dans la détection d’OGM est la difficulté d’avoir accès aux informations (constructions des transgènes) et aux matériels (sondes, amorces spécifiques, standards OGM et non-OGM…) nécessaires, y compris pour les OGM autorisés en Europe  » confirme David Zhang du GEVES. Est-ce à dire qu’aujourd’hui n’importe quel OGM entre en Europe sans contrôle ?

On ne trouve que ce que l’on cherche

Pas tout à fait, on l’a vu récemment avec l’affaire des colza, maïs et soja contaminés en France. Mais pour ces quelques lots détectés, combien d’autres contiennent des OGM à l’insu du producteur ? Et combien de produits alimentaires contenant des OGM échappent à l’étiquetage malgré la législation européenne en vigueur ?

Certes, plaide Yves Bertheau, « l’Etat ne peut pas mettre un gendarme ou un contrôleur derrière chaque fabricant ou chaque importateur  ». Mais la fréquence et l’ampleur des contrôles sont-elles suffisantes ? En septembre 1999, les analyses scientifiques réalisées par la DGCCRF faisaient apparaître que sur 62 prélèvements, 12 échantillons contenaient des OGM. Or dix de ces 12 denrées ne comportaient aucune indication à ce sujet sur leur étiquette. Un produit revendiquait même à tort l’absence d’OGM et un seul produit mentionnait la présence d’OGM. Depuis, la situation ne semble guère avoir évolué !

Comme dans bien d’autres aspects concernant les OGM (impacts sur la santé, sur l’environnement, responsabilités des producteurs, implications économiques, éthiques…) les textes de loi et les réglementations ont été édictées avant que les moyens techniques permettant de les appliquer ne soient opérationnels !

«  La commission AFNOR V03E a travaillé au pas de charge pour fournir un document qui participe à la réduction des discordances de résultats entre laboratoires  » plaide encore Yves Bertheau. « Si la prochaine réunion AFNOR en septembre entérine le texte travaillé ces derniers mois, un document général, en cours de finition, devrait être publié à l’automne  ».

Mais les discussions entre experts sont ardues, parce que le sujet est en soi très complexe : quelle quantité d’échantillon doit-on prélever ? Comment rendre compatibles des méthodes qui s’appuient sur l’analyse des protéïnes et sur celle des acides nucléïques ? Détection qualitative, détection quantitative, le tout à des coûts raisonnables… Il faut aussi harmoniser ces méthodes d’abord au niveau européen (dans deux ans ?) puis international (la France demande la présidence de la commission ISO récemment saisie sur le sujet).

Un seuil…économique ?

Tout ce travail pourra-t-il garantir à terme une absence d’OGM dans un produit donné ?  » Garantir un lot totalement vierge d’OGM nous semble une utopie scientifique car, comme pour toute analyse, il y a la notion de seuil de détection qui s’applique aux OGM comme, par exemple, à toute analyse de contaminant : on peut dire « inférieur à » ou « non détecté au seuil de » mais pas « absence garantie d’OGM » » répond François Vigneau, chef du Département chimie d’Eurofins Scientific. Alors, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ?  » Toute méthode analytique (biologique, chimique, physique) peut au mieux fournir un résultat négatif avec un certain seuil de quantification et un certain degré de confiance qui variera avec l’échantillonnage, la taille de prise d’essai, la technique de détection / identification / quantification… A un moment donné c’est plus un problème économique et individuel que technique : qu’est-on prêt à « payer » (tant au sens figuré que propre) pour s’assurer qu’il n’y a pas de dioxine, de mycotoxine, de Listeria ou d’OGM dans sa nourriture ou son environnement ?  » s’interroge Yves Bertheau. Peut-être faut-il compléter la question : «  Qu’est-on prêt à payer ?  » avec cette autre question : «  Qui va payer ?  ».

Car ces surcoûts, externes à la production, ne sont jamais pris en compte dans le calcul de la rentabilité des OGM : quel gain de rendement faut-il vraiment obtenir pour couvrir tous ces frais, d’abord de mises au point de méthodes de détection, puis d’échantillonnages permanents d’une multitude de lots de semences ou de produits transformés ? Encore une fois, on réalise que le choix de la voie transgénique conduit à des dépenses de recherche qui ne seront guère utilisées pour d’autres types d’alternatives plus durables. Faux, rétorque Yves Bertheau, cette recherche «  constitue un modèle et aura certainement des répercussions intéressantes dans l’ensemble de l’agro-alimentaire  ». Mais il reconnaît cependant que « la normalisation n’est pas une des missions de l’INRA. Une fois défini le cadre général des méthodes de détection  », il démissionnera de la présidence de cette commission : « nous nous recentrerons sur nos missions  » conclut-il. Comme par exemple le développement de l’agriculture biologique ou des produits de terroirs ?

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