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Débat au Parlement européen sur les interdictions nationales des cultures d’OGM : le grand écart

Par Eric MEUNIER, Pauline VERRIERE

Publié le 13/04/2011

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En juillet 2010, la Commission européenne (CE) proposait de fournir aux États membres de l’UE la possibilité d’interdire sur leur territoire la culture de PGM [1]. Les députés européens Corinne Lepage, pour la commission « Environnement » du Parlement européen (PE) et George Lyon, pour la commission « Agriculture », ont présenté en janvier leurs rapports respectifs [2] sur cette proposition. Bien qu’affiliés tous deux à ALDE (groupe de libéraux du PE), leurs rapports sont radicalement opposés.

Corinne Lepage, eurodéputée et présidente en France de Citoyenneté Action Participation pour le 21ème siècle (Cap21), est en charge du rapport pour la commission Environnement. Cette Commission fournira in fine un rapport qui sera discuté ensuite par le Parlement européen. Selon la députée, priorité doit être avant tout donnée à la Commission européenne de répondre aux demandes du Conseil des ministres de l’Environnement, demandes formulées en décembre 2008 [3] : renforcement de l’évaluation des PGM avant autorisation et donc renforcement des lignes directrices de l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA) et amélioration du fonctionnement de cette agence. L’eurodéputée considère dans son rapport que la directive 2001/18 n’est pas appliquée sérieusement puisque « les études prévues ne sont pas faites par les pétitionnaires, qu’il s’agisse des études sur les effets à long terme, des études préalables sur les milieux récepteurs ou de la prise en compte des impacts socio-économiques ». Si elle juge que la proposition de la CE « poursuit un objectif souhaitable », elle considère surtout qu’il est prioritaire de mettre correctement en application la législation existante « avant d’envisager de la changer ». Le rapport suit donc logiquement cette ligne et Corinne Lepage propose des amendements à la proposition de règlement soumis par la Commission européenne [4].

À l’heure actuelle, une évaluation scientifique est réalisée lors de la procédure européenne d’autorisation d’une PGM. Par la clause de sauvegarde (article 23 de la directive 2001/18), les États peuvent introduire de nouveaux arguments scientifiques, justifiant la suspension sur leur territoire d’une PGM autorisée au niveau européen. Mais ces arguments sont difficilement utilisables et souvent recalés par la Commission. La proposition de la Commission est de laisser au niveau communautaire cette évaluation scientifique. Mais les États pourront, selon la CE, utiliser d’autres arguments pour justifier d’une interdiction sur leur territoire. Premier écueil selon Corinne Lepage, la Commission ne peut se contenter d’une liste négative, c’est à dire ne présentant que les arguments non utilisables par les États (ici, les arguments scientifiques). Deuxième difficulté, l’évaluation scientifique ne peut rester de la seule compétence communautaire comme le souhaite la CE. Les États devraient pouvoir prendre en compte des motifs scientifiques complémentaires ou différents de ceux évalués au niveau communautaire, propres à leur territoire, afin de ne pas ignorer les spécificités agricoles et environnementales de chaque pays.

Corinne Lepage, dans l’un de ses amendements, propose les différents arguments qui selon elle, devraient être invocables par les États membres pour interdire sur leur territoire la culture de PGM autorisées au niveau européen. Outre, on l’a vu, des arguments scientifiques complémentaires ou différents, les motifs invocables doivent également considérer les évaluations indirectes, liées à la gestion des risques. Ces motifs peuvent inclure « le risque d’apparition de résistance chez les plantes adventices ou dans les organismes cibles », « des considérations socio-économiques » telle que la faisabilité économique de la coexistence, des « changements dans les pratiques agricoles » ou un « objectif de préservation de la diversité ou de la spécificité des pratiques agricoles ».

Ces propositions vont à l’encontre de la proposition de la Commission européenne qui souhaite conserver au niveau européen les critères d’impacts environnementaux et sanitaires. Mais pour Corinne Lepage, de tels arguments devraient devenir évocables par les États membres, tout comme des arguments socio-économiques. Car ils concernent des politiques nationales ou locales comme l’affectation des sols, l’aménagement du territoire ou la protection de la biodiversité de la faune et de la flore. Autant de domaines sur lesquels les États membres « conservent des compétences importantes ». Par cette proposition, Corinne Lepage souhaite donc que le PE, ou du moins dans un premier temps, sa commission « Environnement », donne une marge de manœuvre plus large aux États membres pour décider nationalement des interdictions et qu’il rappelle à la Commission européenne son obligation à mettre en œuvre correctement une législation existante.

Privilégier l’environnement à la liberté du commerce

Mais la clef du rapport de Corinne Lepage se situe dans le choix de la base légale du règlement modifiant la directive 2001/18. Dans sa proposition, la CE prend comme base légale l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cet article 114 du TFUE traite du rapprochement des législations et a pour objectif d’assurer le fonctionnement du marché intérieur et notamment de la libre circulation des marchandises. Avec une telle base légale, l’objectif de la proposition de la CE est donc de garantir une liberté de circulation au sein du marché européen. Dans ce cadre, si un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences liées à la moralité publique, l’ordre public, la sécurité [5]… ou relatives à la protection de l’environnement, il le notifie à la Commission européenne, laquelle dans un délai de six mois, « approuve ou rejette les dispositions nationales en cause ». Cette procédure, qui laisse peu de liberté aux États membres, peut encore être alourdie si le législateur l’estime nécessaire. C’est cette seconde solution qui a été retenue dans le cadre de la directive 2001/18. Les mesures de procédures différenciées (art. 7) et clause de sauvegarde (art. 23) sont soumises à la procédure de comitologie, laquelle donne un poids important à la Commission européenne, peu encline à la mise en œuvre des articles 7 et 23…

Corinne Lepage suggère, quant à elle, de modifier la base légale de ce futur règlement et propose de faire référence à l’article 192 du TFUE à la place du 114.

Dans ce cadre, il serait en effet beaucoup plus aisé pour les États membres de conserver ou mettre au point des « mesures de protections renforcées », puisque l’article 193, qui constitue avec les articles 191 et 192, le Titre XX (20) environnement du TFUE prévoit que « les mesures de protections arrêtées en vertu de l’article 192 ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcées ». Si ces mesures nationales plus restrictives en matière de protection de l’environnement doivent être compatibles avec les traités et notifiées à la Commission européenne, elles ne sont toutefois pas soumises à son approbation ni à la procédure de comitologie. Un État pourra donc plus facilement interdire les OGM sur son territoire, et l’objectif du règlement européen, pris sur ce fondement, ne serait plus d’assurer le fonctionnement du marché intérieur mais la protection de l’environnement.

Le choix de cette base légale présente donc un réel enjeu, laissant une possibilité plus ou moins ouverte aux États membres d’être plus exigeants que la législation européenne.

La commission « Agriculture » du PE au secours de la Commission européenne

George Lyon, ancien député écossais LibDem, est lui en charge de l’avis de la commission « Agriculture ». Cette dernière a été saisie de la question afin effectivement de fournir seulement un avis sur la question et non un rapport au Parlement européen… Ce travail a donc un statut différent de celui de la commission « Environnement ». Et dans son avis, cet eurodéputé affiche clairement son soutien à la proposition de la Commission européenne. Sa première précision va d’ailleurs dans le sens de la Commission européenne : les décisions doivent avant tout être scientifiques et « d’autres éléments comme les approches socio-économiques ou les considérations éthiques ne peuvent se substituer à des décisions sur la sûreté basées sur la science ». Partant de là, l’eurodéputé apporte des propositions de modifications visant à « renforcer la proposition de la Commission en réponse aux inquiétudes sur le marché intérieur et la compatibilité des décisions nationales avec les règles de l’OMC » – deux des critiques formulées sur la proposition de la Commission [6]. Ainsi, George Lyon propose que les décisions nationales ne soient prises qu’au cas par cas et non pour tous les OGM comme proposé. Il précise également que les États membres devraient être mis dans l’obligation d’adopter des mesures de coexistence avant toute décision d’interdiction de mise en culture. Cette proposition réduit encore plus les arguments utilisables par les États membres – qui sont déjà flous comme le dénonce Corinne Lepage. En effet, dans le schéma du député, l’évaluation scientifique est centralisée au niveau européen. Les Etats membres n’ont plus à disposition que des arguments socio-économiques, agricoles et éthiques. L’adoption de mesures de coexistence a pour objectif de répondre aux questions socio-économiques et aux modèles agricoles. Les États membres qui auront adopté leurs mesures auront donc, en quelque sorte, « épuisé » leur réserve d’arguments quand arrivera le moment de prendre une décision nationale d’interdiction. Car il ne leur restera « que » les arguments éthiques. Il est d’ailleurs à noter que ni la Commission européenne, ni George Lyon n’apportent d’exemples de tels arguments, en fait difficilement imaginables puis évaluables. Enfin, George Lyon demande à ce que les décisions nationales soient publiées trois mois avant leur mise en œuvre, au lieu d’un mois proposé par la CE. L’apport supplémentaire de George Lyon porte sur le rappel que des seuils de présence d’OGM dans les lots de semences non GM pourraient être adoptés. Mais sans aucune obligation, l’amendement proposé étant assez large dans sa mise en application : « La Commission évalue s’il y a lieu d’établir des seuils pour l’étiquetage des traces d’OGM dans les semences conventionnelles. […] Elle informe le Parlement européen et le Conseil avant le 31 décembre 2011 et transmet, le cas échéant, les propositions législatives qui s’imposent »… A noter que Georges Lyon, et ce logiquement au vu de sa position, ne propose pas de changer la base juridique de la proposition de ce règlement.

Ces deux rapports, difficilement conciliables on le voit, lancent donc les travaux du Parlement européen sur cette proposition de règlement, qui seront suivis par les travaux du Conseil européen.

Calendrier des discussions de ce nouveau règlement

La commission « Agriculture » discute en ce moment du rapport de Georges Lyon et des amendements peuvent être proposés jusqu’au 3 février. Son vote est prévue pour le 15 mars.

Pour la commission « Environnement », le rapport de Corinne Lepage sera discuté une première fois le 28 février, des amendements pouvant ensuite être déposés jusqu’au 7 mars. Une discussion finale avec vote aura lieu les 11 et 12 avril. Côté Parlement européen, le rapport de la commission « Environnement » (le rapport de la Commission agriculture n’ayant, rappelons-le, « qu’un » statut d’avis) sera discuté et sa forme finale (après amendements) votée en juin. Suivront les discussions entre le Parlement et le Conseil qui viseront à se mettre d’accord sur un texte commun. Dans cette procédure, la Commission européenne n’a officiellement rien à dire mais reste présente dans les différentes discussions.

[2La version finale du rapport de Corinne Lepage : http://www.europarl.europa.eu/oeil/… et Le rapport de Georges Lyon : http://www.europarl.europa.eu/sides… 

[4La Commission européenne entend modifier la Directive 2001/18 par la proposition d’un règlement, qui viendra ajouter un alinéa à l’article 26. C’est ce nouvel alinéa qui est au cœur du débat.

[5Il s’agit des exigences énoncées à l’article 36 du TFUE : « moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale ».

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