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La Chine ne veut pas se faire envahir par les OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 22/01/2014

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La réticence chinoise devant les plantes génétiquement modifiées (PGM) s’est accrue, au cours de l’année 2013 : la région de Gansu a adopté un étiquetage obligatoire, considérant que la législation nationale en la matière n’était pas suffisamment appliquée, la ville de Zhangye a interdit les cultures GM sur son territoire, et les douanes chinoises ont renvoyé à l’expéditeur plusieurs centaines de milliers de tonnes de maïs GM non autorisés par les autorités nationales…

En décembre 2013, une province chinoise du nord-ouest, Gansu, a décidé que les consommateurs pourraient connaître l’origine de leurs aliments [1] [2]. Ainsi, à partir du 1er mars 2014, tous les commerçants de la région devront dédier un espace aux produits génétiquement modifiés. Les aliments devront aussi être étiquetés comme « OGM ». Cette décision est pour le moins surprenante. En effet, une loi nationale, en vigueur depuis 2004, impose déjà un étiquetage obligatoire. Mais il semblerait que cette obligation réglementaire soit largement ignorée. Cette loi chinoise, comme celle en vigueur dans l’UE, s’intéresse au processus de production, et non pas au produit final : ainsi, tout produit qui est dérivé d’OGM doit être étiqueté, indépendamment de la présence du transgène dans le produit final. Cela vise notamment les huiles car, élaborées à partir de soja GM, par exemple, il est impossible d’y retrouver des traces d’ADN modifié. La mise en place de cette obligation n’a pas complètement fait disparaître les produits étiquetés « OGM », comme cela a été quasiment le cas dans l’Union européenne. En effet, une étude menée en 2007 par la Professeure Xiangyang Chang, de l’Université Agricole de Nanjing [3] dans la région de Nanjing, montre d’une part que l’introduction de cet étiquetage a fait que toutes les huiles de soja ont été étiquetées « OGM » du fait de l’absence d’une solide filière « soja sans OGM » ; et, d’autre part, qu’elle a engendré une diminution de 2% des parts de marché pour l’huile de soja par rapport à l’ensemble des huiles végétales. Une autre étude menée par le Dr. Zhong, en 2006, concluait à une diminution de 4% de la part des huiles de soja sur le marché des huiles. La chercheuse a noté une augmentation de la part des huiles de tournesol. Mais elle n’exclut pas que d’autres facteurs aient aussi incité les consommateurs à se tourner vers d’autres huiles végétales. Cependant, les contrôles en Chine semblent plus que lacunaires : à deux reprises, en 2008 et 2011, l’Union européenne a détecté, dans des cargaisons importées, du riz GM pourtant illégal tant dans l’UE qu’en Chine [4].

Produire des semences exemptes d’OGM

Plus radicale a été la décision de la ville de Zhangye, toujours dans la province de Gansu, prise le 25 octobre 2013, d’interdire la culture ou la vente de semences génétiquement modifiées sur son territoire. Cette interdiction est liée à la politique de la ville en faveur de la production de semences de maïs et des produits « biologiques ». En 2012, la production de semences de maïs à Zhangye (461 000 tonnes), représentait environ un tiers de la production nationale de semences de maïs. Actuellement, aucune variété de maïs GM n’est autorisée à la culture commerciale en Chine. Le seul OGM autorisé à la culture est le coton Bt. En 2012, plus de 80% des champs de coton étaient cultivés avec des variétés transgéniques. Comme nous l’a précisé Michel Fok, chercheur au Cirad, « la production [de coton] de la province du Gansu est en effet mineure, 76 000 tonnes en 2011, contre 2,9 millions tonnes dans la province voisine du Xinjiang ». Il nous a aussi confirmé que dans ces provinces, au nord-ouest de la Chine, « l’infestation en ravageurs cibles du Bt est faible ». Malgré cela, en 2006, 20% des superficies de coton du Xinjiang étaient emblavées avec des variétés Bt, et il est fort probable que ce pourcentage ait augmenté depuis. Le chercheur explique cet état de fait par « l’activisme des marchands », avec comme objectifs de « faire naître le besoin à coup de publicité, faire croire que « plus » est « mieux », avec au début une différence de prix acceptable, [et] (…) petit à petit ne plus offrir le produit ancien ».

D’après la base de données internationale des autorisations gérés par le Center for Environmental Risk Assessment, une organisation de lobby des OGM, la Chine a autorisé à l’importation douze variétés de maïs GM [5]. Cette base de donnée ne recense aucun maïs autorisé à la culture. Mais curieusement, cette base de données ne mentionne pas non plus de coton Bt autorisé à la culture en Chine. Interrogé par Inf’OGM, le gestionnaire de cette base de données nous expliquait : « Nous veillons à ce que les autorisations listées dans la base de données soient validées par une documentation appropriée, c’est-à-dire qui permette de véritablement confirmer l’autorisation. Alors que pour la plupart des pays, cette information est facilement accessible, il y a des pays comme la Chine, le Pakistan, où nous n’avons pas été capables de valider ce critère nécessaire à l’inclusion dans la base de données. Cela ne signifie pas que l’événement n’a pas été autorisé mais simplement que nous n’avons pas reçu la documentation afférente à ces autorisations ». Les événements autorisés en Chine sont des événements chinois, non recensés par cette base. Cela laisse donc planer un doute quant aux autorisations de maïs GM. De son côté, l’Isaaa [6] annonçait en 2012 que la Chine avait cultivé du coton Bt, de la papaye et des peupliers GM. 

La Chine rejette des cargaisons d’OGM non autorisés

Il apparaît de plus en plus évident que la Chine hésite à s’engager dans une politique trop favorable aux plantes génétiquement modifiées (PGM). Après avoir autorisé, développé et cultivé du coton Bt, les autorités ont, à plusieurs reprises, montré leur volonté de contrôler les frontières. Ainsi la Chine a, officiellement, une politique stricte quant au suivi des importations de maïs. En septembre 2013, la Chine a renvoyé à l’expéditeur un chargement de luzerne contaminée par des OGM. Les agriculteurs de l’État de Washington ont exigé des compensations au ministère étasunien de l’Agriculture (USDA) qui a refusé, en précisant qu’il s’agissait d’une question commerciale [7].

Le 19 novembre 2013, l’ONG Center for Food Safety annonçait [8] que la Chine avait refusé une cargaison de 60 000 tonnes de maïs en provenance des États-Unis, car les douanes avaient détecté la présence d’un transgène non autorisé, le Mir162 (ou AgrisureViptera) de Syngenta. A noter que le Mir162 est en attente d’autorisation en Chine depuis deux ans.

Enfin, le 23 décembre 2013, l’USDA a précisé que la Chine avait bloqué, entre novembre et décembre 2013, 545 000 tonnes de maïs étasunien, et que les exportations de maïs vers la Chine ont diminué, et vont continuer de diminuer du fait des refus chinois successifs. Toujours selon l’USDA, le Japon a accepté 41 100 tonnes de ce maïs rejeté, mais en Corée du Sud, Nonghyup Feed Inc., la plus importante entreprise de fabrication d’alimentation pour bétail, a rejeté 70 000 tonnes de ce maïs qui venait d’être refusé par leur voisin [9].

Au final, d’après Zhi Shuping, directeur de l’Administration générale d’État pour le contrôle de la qualité, l’inspection et la quarantaine, en 2013, ce sont douze cargaisons, représentant 600 000 tonnes de maïs, soit près du quart des importations annuelles, qui ont été renvoyées à l’expéditeur. Idem avec 2000 tonnes de drêches de distillerie sèches (un résidu de la production d’éthanol qui peut servir d’aliment pour bétail). La Chine s’est permise de refuser ces cargaisons, notamment car sa récolte de maïs avait été en 2013 particulièrement bonne, en hausse de 2% par rapport à 2012. Ceci lui permet d’attendre que les prix internationaux continuent de baisser. En effet, les récoltes de maïs ont aussi explosé aux États-Unis, en Russie, en Ukraine. Un contraste par rapport à 2012 où des aléas climatiques avaient engendré des pertes énormes. Les décisions chinoises renforcent donc cette chute des cours du maïs (- 40 % au cours de l’année 2013 selon la banque Morgan Stanley).

Ainsi, comme le souligne Claire Fage, journaliste à RFI, si « la diminution de la facture est une bonne nouvelle pour les pays importateurs, elle n’en est évidemment pas une pour les pays exportateurs, au premier rang desquels les États-Unis. Les « farmers » américains, grisés depuis trois ans par des prix élevés, font d’autant plus grise mine que les importateurs chinois font la fine bouche » [10].

Courant décembre, une réunion entre la Chine et les États-Unis – dans le cadre de la Commission mixte annuelle sur le commerce – a été organisée afin de trouver une solution à ces refus. Au cours de cette réunion, la synchronisation des autorisations entre la Chine et les États-Unis a été abordée, et selon un reportage de CCTV [11], « un accord serait possible » entre les deux pays. En janvier 2014, Tom Vilsack, le secrétaire étasunien à l’Agriculture, précisait que la Chine avait récemment renouvelé plusieurs autorisations pour l’importation de maïs GM. Pour lui, c’est un signe encourageant montrant que les deux États vont résoudre rapidement la dispute commerciale actuelle [12] : « Ces renouvellements étaient sur le bureau des ministres depuis un bon moment, c’est donc une étape positive », a-t-il notamment déclaré. D’autre part, en janvier 2014, la Chine a abandonné les restrictions douanières sur les drêches de distillerie et 155 600 tonnes de maïs ont été importées par la Chine. Malgré tout, les estimations étasuniennes du ministère de l’Agriculture concernant les exportations vers la Chine ont été revues à la baisse, passant de sept à cinq millions de tonnes.

[3Chang, X. (2007). « Labeling policy and impact on consumer’s purchasing behavior in China : A case study of vegetable oils in Nanjing », in International Food Policy Research Institute (IFPRI) and Research and Information Systems for Developing Countries (RIS), Economic Consideration of Biosafety and Biotechnology Regulations in India, Proceedings of a Conference in New Delhi, August 24–25, 2006 (p.16). Washington, DC : IFPRI.

agbioforum.org/v10n1/v10n1a06-gruere.htm

[5TC1507, T14-T25, NK603, Mon88017, Mon863, Mon810, Mir604, GA21, E3272, DAS59122-7, Bt11, et Bt176

[6Le Service international pour l’acquisition d’applications agricoles biotechnologiques (en anglais International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications, ISAAA) est une organisation internationale non gouvernementale financée par les entreprises de biotechnologies

[11La Télévision centrale de Chine, généralement abrégée en CCTV, de l’anglais China Central Television, est le réseau principal de télévision publique de la Chine

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