n°118 - septembre / octobre 2012Fiche technique / Etat des lieux

Blé OGM : risques trop élevés pour les marchés (partie 2)

Par Christophe NOISETTE et Rachel Dujardin (Greenpeace)

Publié le 08/10/2012

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On a vu que le blé, céréale à forte signification culturelle, est un objet de convoitise pour toutes les entreprises semencières qui souhaitent déposer des brevets sur des nouvelles variétés, « améliorées » ou transgéniques [1]. Cette seconde partie porte sur les oppositions au développement de telles variétés, notamment en Australie et au Canada, oppositions en partie issues des risques scientifiques.

En Australie, l’un des essais les plus controversés concerne une autorisation de dissémination volontaire de blé – nom de code DIR093 – qui inclut des tests d’alimentation sur des êtres humains. Greenpeace a demandé des éclaircissements sur ces tests à l’Agence nationale scientifique d’Australie (CSIRO) via la loi d’accès à l’information (Freedom of Information Act 1982).

Les oppositions en Australie

Après une correspondance de plus de trois mois, le CSIRO a notifié à l’association de protection de l’environnement que ces informations tombaient sous le sceau du secret commercial. Cette réponse est pourtant en totale contradiction avec les éléments disponibles sur le site du CSIRO puisque les essais sont présentés comme étant à visée de recherche et non à vocation commerciale. Le 27 juin 2011, huit scientifiques et médecins de différentes nationalités publient une lettre ouverte au Président Directeur Général du CSIRO, Megan Clark, lui demandant de ne pas procéder aux tests sur les humains avec ce blé transgénique car ils considèrent le système d’évaluation des risques complètement inadéquat [2]. Cette recherche est menée par ARISTA (une entreprise commune entre le CSIRO, Grains Research and Development Corporation et Limagrain).

Le 14 juillet 2011, face à l’absence de transparence autour de ces recherches, Greenpeace décide de mettre fin à un groupe d’essais incluant le DIR093, près de Canberra. Deux militantes s’introduisent sur le site et neutralisent les cultures. La nouvelle fait grand bruit et le cas du blé GM commence enfin à être connu du grand public. Les militantes ont été jugées mais la sentence finale n’est pas encore connue. A noter que Greenpeace a déjà versé une somme de 280 000 dollars australien (231 000 euros) au CSIRO suite à la destruction [3].

En février 2012, invités par une coalition de groupes australiens opposés aux OGM, deux agriculteurs canadiens membres de la National Farmers Union (NFU), un syndicat défenseur de l’agriculture familiale et membre de La Via Campesina, ont évoqué bien sûr les conséquences financières catastrophiques d’une contamination génétique inévitable en prenant l’exemple du colza et du lin [4], mais ont également expliqué pourquoi le blé génétiquement modifié (GM) a été rejeté par les agriculteurs canadiens : leurs clients internationaux n’en voulaient pas, et les importateurs de blé canadien menaçaient d’arrêter ces importations à cause des risques de contaminations du blé conventionnel ou biologique par le blé GM. Or le Canada, tout comme l’Australie, exporte environ les 2/3 de sa production de blé. Selon Peter Eggers, l’un des agriculteurs de la NFU, poursuivre la recherche sur le blé transgénique est un non-sens. « Aucun marché au monde n’a jamais dit qu’il accepterait le blé GM, pourquoi, alors, gaspiller tout cet argent ? ».

Blé GM australien : exportations en danger

- Dès 2002, des études ont montré l’impact économique défavorable qu’aurait eu le blé GM que le Canada était sur le point d’autoriser. Ainsi, quatre études réalisées par l’Université de Saskatchewan montrent que l’introduction du blé GM pourrait coûter aux agriculteurs canadiens plus de 185 milliards de dollars canadiens (81 milliards d’euros) par an de pertes à la vente, à cause de la méfiance des consommateurs et des surcoûts des semences brevetées [5].

En 2010, l’Australie a exporté près de 75% de son blé, pour une valeur marchande évaluée à 3,3 milliards de dollars australiens (2,5 milliards d’euro) [6] : près de 25% en Indonésie, près de 10% au Viêt-Nam, 7% au Japon, et en quantité moindre en Corée du Sud, Yémen, Bengladesh, Malaisie, Chine, Soudan, Egypte et Thaïlande. Ces pays seraient-ils prêts à acheter du blé OGM ? Pour nombre de ces pays, il y a peu d’informations disponibles sur la sensibilité aux produits GM.

L’opposition est forte, en revanche, au Japon, qui a déjà mis en place un étiquetage obligatoire des produits contenant des OGM. D’après un discours de Mr Yokowama, président de l’industrie japonaise de la minoterie (Japanese Flour Milling Industry), « une étude d’opinion commandée par le gouvernement japonais en 2007 a montré un sentiment d’insécurité vis-à-vis des PGM, avec 70% du public se déclarant inquiets ». L’industrie de la minoterie a donc conclu que « le marché japonais n’acceptera ni farine ni produits contenant de la farine contenant ou pouvant contenir du blé GM » et a décidé qu’elle n’utilisera pas ce produit [7].

Par ailleurs, en février 2012, le Conseil d’Etat chinois a rendu publique une proposition de loi qui vise à établir un encadrement strict de la recherche, des essais en champ, de la production, de la vente, de l’importation et de l’exportation de semences GM. Ce document stipule qu’aucune organisation ou personne ne peut utiliser de technologie OGM dans des cultures majeures en Chine. Cela inclut le riz mais aussi le blé. Cela confirme la nouvelle provenant de l’Economic Observer, un hebdomadaire financier Chinois, qui citait une source proche du Ministère de l’agriculture déclarant, en octobre 2011, que la Chine suspendait l’autorisation de commercialisation de la version génétiquement modifiée de ses produits de base pour 5 à 10 ans [8]. L’Australie a exporté 704 514 tonnes de blé en Chine en 2010 et pourrait donc perdre ce marché si elle décide de cultiver commercialement du blé GM sur son territoire.

Le marché domestique australien semble lui aussi assez méfiant vis-à-vis du blé transgénique. En effet, certains fabricants de pâtes indiquent d’ores et déjà sur leurs emballages que celles-ci ne sont pas issues de blé GM. C’est le cas de San Remo et de Zafarelli. Bakers Delight, la plus grande chaîne de boulangerie australienne a également déclaré ne pas avoir l’intention d’utiliser de blé GM dans ses produits [9].

En avril 2011, Grain Growers Limited, l’un des acteurs privés majeurs de l’industrie des céréales en Australie, montre dans un rapport [10] réalisé avec le ministère de l’Agriculture que le mar-ché (Asie, Moyen-Orient et Europe) est plus que réticent à l’idée d’importer du blé GM. Ce qui fait dire à Greenpeace qu’au moins 80% des marchés importateurs de blé (en valeur) n’achèteront pas de blé GM dans un futur proche [11].

Des risques réels de contamination

Les risques de contamination des blés conventionnels et biologiques à partir d’essais de blé GM en champ sont bien réels, malgré les « strictes conditions de confinement pour minimiser [leur] dissémination potentielle et [leur] persistance dans l’environnement » imposées par le bureau en charge de l’autorisation des plantes génétiquement modifiées (PGM), l’OGTR [12]. L’auto-fécondation est certes le mode de reproduction le plus fréquent chez le blé mais ce n’est pas le seul. Une étude considère qu’ « un taux de 10% ou plus de fécondation croisée peut se produire suivant la densité de la population, le génotype, et les conditions environnementales » et des cas de pollinisation croisée à des dizaines de mètres ont été observés [13]. Un autre chercheur, Sylvan Rieben, confirme [14] que les croisements se font, mais avec un taux de seulement 3,4%. Par ailleurs, une étude de 2011 [15] précise que les variétés de blé Bobwhite ou Frisal contenant le transgène Pm3b se croisent six fois plus que les variétés non transgéniques. Il semblerait que ce taux varie en fonction du transgène inséré, suggèrent les auteurs.

Cependant, la pollinisation croisée n’est pas nécessairement la source de contamination du blé la plus probable. Celle-ci peut provenir de l’utilisation de matériel mal nettoyé, d’une mauvaise ségrégation, ou d’erreur humaine (mauvais étiquetage ou mauvaise lecture des étiquettes). D’après une compilation des données de l’OGTR faite par Greenpeace, environ 60% des cas de contamination officiellement reconnus et provenant d’essais en champ sont dus à des erreurs humaines.

Par ailleurs, N. Schoenenberger, alors thésard à l’Université de Neuchâtel, a observé le phénomène d’introgression [16] chez le blé par passage du transgène d’une PGM à des parents sauvages de cette plante. Un tel passage d’un gène modifié à l’espèce sauvage peut devenir très problématique si ce gène est porteur d’une résistance à un herbicide. Dans sa thèse, N. Schoenenberger explique les mécanismes de cette introgression entre un blé et deux graminées (Aegilops cylindrica et Ae. geniculata) qui envahissent les champs de blé aux Etats-Unis ou au sud de l’Europe.

D’autres études d’impact ont été réalisées. Ainsi, dans le cadre du programme de recherche d’Etat (PNR59), une équipe de l’Université de Zurich, en Suisse, a cultivé sous serre et en plein champ des lignées de blé GM pour résister à l’oïdium (gène Pm3b). Les chercheurs [17] ont constaté qu’en serre et en l’absence de traitement fongicide, le blé transgénique a un rendement jusqu’à deux fois plus important que le blé non transgénique et non traité, mais qu’en plein champ, la tendance s’inverse : les blés transgéniques ont eu jusqu’à 56% de baisse de rendement par rapport aux blés non GM. Au-delà de la baisse du rendement, ils ont aussi observé chez les blés GM des modifications de la forme des épis sur certaines lignées et l’augmentation d’attaques d’un autre champignon, l’ergot du seigle (Claviceps purpurea). Les chercheurs notent que l’infestation par l’ergot était, en plein champ, jusqu’à 40 fois plus importante sur les blés GM que sur leur équivalent classique. Une autre étude, menée avec un blé GM pour lutter contre la rouille des feuilles, avait montré que ce transgène pouvait être responsable d’une baisse de 12% de rendement [18]. Ainsi, les chercheurs concluent : « Nos résultats démontrent que, en fonction de l’insertion, un transgène particulier peut avoir des effets importants sur le phénotype d’une plante et que ces effets peuvent parfois être inversés lorsque les plantes sont cultivées en serre ou en champ ». Les chercheurs font l’hypothèse que ces variations peuvent être dues aux différents niveaux d’expression du transgène Pm3b qui, à leur tour, pourraient avoir été causés par différentes positions d’insertion du transgène dans le génome.

En revanche, le programme PNR59 a refusé de sélectionner un certain nombre de projets étudiant le devenir des protéines transgéniques après digestion ou leur évolution dans le sol (cf. par exemple un projet du Pr. Angelika Hilbeck de l’École Polytechnique de Zurich [19]. StopOGM, association suisse qui soutient le moratoire, constate que « le PNR59 n’a pas traité les questions relatives à l’évaluation sanitaire des OGM qui sont pourtant une question centrale du dossier. L’argent et le temps étaient pourtant suffisant pour effectuer ces recherches » [20].

Des impacts sur les espèces non cibles

Une préoccupation associée à la culture de PGM est leur impact négatif sur des organismes non ciblés. Des chercheurs [21] ont évalué cet impact sur des insectes nourris avec différentes variétés de blé de printemps GM pour résister à l’oïdium. L’étude a été réalisée pendant deux saisons consécutives, sous serre et en champ. Si l’oïdium a été réduit sur les lignées Pm3b transgéniques, ce n’est pas le cas pour les autres lignées GM. Par ailleurs, les chercheurs ont noté plus de pucerons sur les blé GM Pm3b que sur leurs contreparties conventionnelles. Des études supplémentaires en laboratoire soulignent cependant que « les pucerons préféraient les blés moins touchés par l’oïdium ». Les chercheurs ont aussi noté que les lignées de blé GM n’avaient pas d’incidence sur d’autres insectes. D’autres études, elles aussi réalisées dans le cadre du PNR59, qui s’intéressaient aux répercussions sur les bactéries auxiliaires du sol et sur les champignons mycorhiziens, concluaient que « le stade de développement des plantes, la variété de blé, le site et l’année d’essai avaient une influence nettement plus importante sur la taille des populations des bactéries Pseudomonas étudiées que la présence de la modification génétique dans la plante ».

Des alternatives existent

Pourquoi prendre tant de risques en développant du blé transgénique alors que des alternatives existent déjà ? D’après le CSIRO lui-même, la tolérance à la sècheresse est complexe et « beaucoup de traits contribuent à permettre à une variété de blé de faire face à un manque d’eau » [22]. Et des variétés de blé utilisant la technique dite de sélection assistée par marqueurs (SAM) ont déjà donné des résultats très encourageants. En mars 2012, une autre équipe de chercheurs australiens de l’Université d’Adélaïde et du CSIRO a réussi à isoler un gène d’une ancienne variété de blé dur, vieille de 10 000 ans, tolérante aux sols salins. Ils l’ont ensuite insérée via des croisements classiques dans une variété actuelle. Ainsi face aux multiples risques liés à la transgénèse, face à l’incertitude des marchés, les nombreux essais en champs évoqués dans la première partie de cet état des lieux semblent tout simplement incompréhensibles… à moins que la prise de brevets, pierre angulaire des PGM, soit la réelle raison du développement de ces blés GM.

[1cf. partie 1, Noisette, C., Dujardin, R., « Blé transgénique : des recherches tous azimuts », Inf’OGM 117, juillet-août 2012, pp.6-7

[10cf. note 6

[15Rieben S., Kalinina O., Schmid B. and Zeller SL, 2011. « Gene Flow in Genetically Modified Wheat ». PLoS ONE 6(12) : e29730.

doi:10.1371/journal.pone.0029730

[18Simon Zeller, Olena Kalinina, Susanne Brunner, Beat Keller und Bernhard Schmid (2010). Transgene × Environment Interactions in Genetically Modified Wheat, PLoS One, http://www.plosone.org/article/info… 

[19Meunier, E., « Suisse : programme de recherche controversé », Inf’OGM n°87, mai-juin 2007, SUISSE – Programme de recherche controversé 

[20Communiqué de presse de StopOGM du 28 août 2012 sur le Rapport de synthèse du PNR 59 – le moratoire se justifie toujours

[21Álvarez-Alfageme F, von Burg S, Romeis J (2011) Infestation of Transgenic Powdery Mildew-Resistant Wheat by Naturally Occurring Insect Herbivores under Different Environmental Conditions. PLoS ONE 6(7), http://www.plosone.org/article/info… 

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