n°109 - mars / avril 2011

Autorisations d’OGM : dissensions au Parlement européen

Par Eric MEUNIER, Pauline VERRIERE

Publié le 21/03/2011

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En juillet dernier, la Commission européenne (CE) proposait une modification de la Directive 2001/18, pour ouvrir plus largement la possibilité aux États membres d’interdire sur leur territoire une plante génétiquement modifiée (PGM) autorisée au niveau communautaire [1]. Inf’OGM a présenté les réactions variées des États membres et des ONG [2]… puis a analysé la légalité de cette proposition notamment au regard de l’OMC [3]. Nouvelle étape : la consultation de deux commissions du Parlement européen, pour aider ce dernier à formuler son avis… Corinne Lepage, pour la commission « Environnement » [4] et George Lyon, pour la commission « Agriculture » [5], ont présenté en janvier leur rapport respectif sur la proposition de la CE. Analyse de ce nouvel épisode.

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Le 28 février 2011, la commission « Environnement » du Parlement européen se réunissait pour ouvrir ses discussions sur le rapport que lui présentait Corinne Lepage, eurodéputée mais aussi présidente en France de Citoyenneté Action Participation pour le 21° siècle (Cap21). Si ces discussions n’ont pas fait état d’opposition frontale sur le fond, la version finale du rapport dépendra, elle, des amendements qui seront déposés et discutés jusqu’au 7 mars 2011.

Pour Corinne Lepage, priorité doit être avant tout donnée à la CE de répondre aux demandes du Conseil des ministres de l’Environnement, formulées en décembre 2008 : renforcement de l’évaluation des PGM avant autorisation, renforcement des lignes directrices de l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA) et amélioration de son fonctionnement. Selon l’eurodéputée, la directive 2001/18 n’est pas appliquée correctement, notamment au niveau des différentes évaluations qu’elle prévoit. Si la proposition de la CE « poursuit un objectif souhaitable », il est prioritaire d’appliquer la législation existante « avant d’envisager de la changer ». C’est en ce sens que Corinne Lepage propose des amendements à la proposition de règlement soumis par la CE [6].

À l’heure actuelle, une évaluation scientifique est réalisée lors de la procédure européenne d’autorisation d’une PGM. Par la clause de sauvegarde (art. 23, dir. 2001/18), les États peuvent introduire de nouveaux arguments scientifiques pour une interdiction nationale. Mais ces arguments sont difficilement utilisables et souvent recalés par la Commission. La proposition de la CE entend laisser au niveau communautaire cette évaluation scientifique, d’autres types d’arguments devant être utilisés par les États. Corinne Lepage s’insurge : la CE ne peut se contenter d’une liste négative, où seuls sont énoncés les arguments non utilisables par les États (ici, les arguments scientifiques). Deuxième difficulté, l’évaluation scientifique ne devrait pas rester de la seule compétence communautaire. Au contraire, les États devraient pouvoir avancer des arguments scientifiques complémentaires ou différents, spécifiques aux réalités agricoles et environnementales de leur territoire, au même titre que des arguments socio-économiques. En effet, les politiques nationales ou locales, comme l’aménagement du territoire ou la protection de la biodiversité, sont autant de domaines sur lesquels les États membres « conservent des compétences importantes ».

Outre les arguments scientifiques, Corinne Lepage propose d’inclure d’autres arguments comme « des considérations socio-économiques » telle que la faisabilité économique de la coexistence, des « changements dans les pratiques agricoles » ou un « objectif de préservation de la diversité ou de la spécificité des pratiques agricoles ». Le CE semble l’avoir entendue in extremis, en publiant en février, une liste de sept arguments utilisables par les États membres. Ces arguments vont de la moralité publique (considérations religieuses par ex.) à la défense de paysages ou systèmes agricoles conventionnels ou biologiques en passant par des politiques culturelles… Si certains arguments sont toujours flous quant à leur contenu, il semble néanmoins que les États membres pourraient interdire une mise en culture en vue de la « prévention de présence de PGM dans d’autres produits », ce qui concerne les règles de coexistence ! Mais en bout de course, comme le rappelle la CE, seule la Cour de Justice de l’Union est en position de valider la légalité de tel ou tel argument utilisé.

Par cette proposition, Corinne Lepage souhaite que le PE donne une marge de manœuvre plus large aux États pour décider nationalement des interdictions et qu’il rappelle à la CE son obligation à mettre en œuvre correctement une législation existante.

Privilégier l’environnement à la liberté du commerce

Mais la clef du rapport de Corinne Lepage se situe dans le choix de la base légale du règlement modifiant la directive 2001/18. Dans sa proposition, la CE prend comme base légale l’article 114 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). En effet, tout acte règlementaire européen doit s’appuyer sur une base légale issue des Traités de l’UE (TFUE ou Traité sur l’UE, [cf. encadré]], pour justifier que cet acte relève de la compétence de l’UE. L’article 114 du TFUE traite du rapprochement des législations et a pour objectif d’assurer le fonctionnement du marché intérieur et notamment de la libre circulation des marchandises. En citant cet article, la CE donne donc cet objectif à sa proposition. Dans ce cadre, si un État membre estime nécessaire de maintenir des dispositions nationales justifiées par des exigences liées à la moralité publique [7] ou encore relatives à la protection de l’environnement, il le notifie à la CE, laquelle « approuve ou rejette les dispositions nationales en cause ». Cette procédure, qui laisse peu de liberté aux États membres, peut encore être alourdie si l’auteur de l’acte l’estime nécessaire. C’est ainsi que la clause de sauvegarde de la directive 2001/18 est soumise à la procédure de comitologie [8], laquelle donne un poids important à la CE, peu encline à la mise en œuvre des moratoires…

Corinne Lepage suggère, quant à elle, de modifier la base légale de ce futur règlement en utilisant l’article 192 du TFUE. Dès lors, l’objectif de la modification ne serait plus d’assurer le fonctionnement du marché intérieur mais la protection de l’environnement [9]. Or, il est beaucoup plus aisé pour un État, sur la base de cet article, de conserver ou mettre au point des « mesures de protections renforcées », et donc d’interdire des PGM, ces procédures n’étant pas soumises à la procédure de comitologie.

Cette proposition de changement de base juridique enclenche automatiquement la saisie de la commission des Affaires juridiques du PE qui discutera dans les semaines à venir. Le choix de cette base légale présente donc un réel enjeu, laissant une possibilité plus ou moins ouverte aux États membres d’être plus exigeants que la législation européenne.

Réglementation à l’UE : qui décide ?

C’est la Commission qui dispose de l’initiative de proposer un acte règlementaire ou de le modifier. Le Parlement européen (PE), le Conseil ou encore les États membres peuvent également le lui suggérer. Si pour modifier un acte, il faut en principe suivre la même procédure que celle de son élaboration, la CE peut en décider autrement (art. 296 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne – TFUE), selon le contexte politique et juridique.

La proposition de la CE prend pour base juridique l’article 114 du TFUE, lequel prévoit « la procédure législative ordinaire », ou procédure de codécision, décrite à l’article 294 du TFUE :

- en première lecture : le PE formule un avis sur une proposition de la CE, pour lequel il consulte certaines de ses commissions (en général une commission « chef de file » sur le sujet traité, ainsi qu’une autre autre commission intéressée à la question). Son avis, après examen en session plénière, est transmis au Conseil. S’il approuve la position du PE : l’acte est adopté. Dans le cas contraire, le Conseil adopte sa position en première lecture et la transmet au PE.

- en deuxième lecture : le PE peut (a) approuver la position du Conseil ou ne pas se prononcer, l’acte est adopté ; (b) rejeter la proposition à la majorité, l’acte n’est pas adopté ; ou (c) proposer des amendements à la position du Conseil, transmis au Conseil et à la CE. Le Conseil peut approuver les amendements, l’acte est adopté. S’il ne les approuve pas ou n’atteint pas la majorité requise, la procédure de conciliation s’engage. Le comité de conciliation, composé à part égale de membres du Conseil et du PE, doit parvenir à la majorité qualifiée à un accord, sinon l’acte n’est pas adopté.

La commission Agriculture approuve la CE

George Lyon, eurodéputé écossais issu du LibDem, adopte quant à lui une position différente en soutenant clairement la proposition de la CE. Il donne la prépondérance aux arguments scientifiques en précisant que « les approches socio-économiques ou les considérations éthiques ne peuvent se substituer à des décisions sur la sûreté basées sur la science ». L’eurodéputé propose alors différentes modifications pour pallier les deux craintes émises par les juristes du Conseil face à la proposition de la CE : les distorsions de concurrences sur le marché intérieur et la compatibilité avec les règles de l’OMC. Ainsi, George Lyon propose que les décisions nationales ne soient prises qu’au cas par cas et non sur l’ensemble des PGM, et qu’elles soient obligatoirement précédées par l’adoption de mesures nationales de coexistence. Ce qui réduirait encore plus la liste des arguments utilisables, laissant aux États les seules considérations éthiques.

L’avis du PE constitue la première étape d’une longue procédure législative : discussion du rapport Lepage (28 février), discussions sur les deux rapports (11 et 12 avril), puis séance plénière pour fixer son avis final en première lecture (juin 2011). Cet avis donnera-t-il une marge de manœuvre plus grande aux États membres ? La suite au prochain numéro…

[6La CE entend modifier la Directive 2001/18 par la proposition d’un règlement, qui viendra ajouter un alinéa à l’article 26

[7Il s’agit d’une des exigences énoncées à l’Article 36 du TFUE : « moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique […] ».

[9L’article 193, qui constitue avec les articles 191 et 192, le Titre XX (20) environnement du TFUE prévoit que « les mesures de protections arrêtées en vertu de l’article 192 ne font pas obstacle au maintien et à l’établissement, par chaque État membre, de mesures de protection renforcées ».

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