n°153 - janvier / février 2019

Pétanielle : jardiniers et paysans sauvegardent 
la biodiversité

Par Michel Metz Michel Metz, 
 Pétanielle - Réseau Semences Paysannes

Publié le 20/03/2019

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L’association Pétanielle réunit depuis 2011 des paysans et des jardiniers d’Occitanie (surtout Tarn et Haute-Garonne) pour conserver et développer essentiellement des céréales panifiables (blé…), mais aussi orge, avoines, maïs, et potagères. Cette alliance singulière, aux résultats très encourageants (plus de 100 variétés conservées), se revendique comme un « commun ». Explications.

Depuis quelques décennies, l’appauvrissement de la biodiversité cultivée d’une part, et la mainmise des semenciers industriels d’autre part, inquiètent un nombre croissant de paysans et de consommateurs. Différentes initiatives pour que les paysans se réapproprient la gestion de leurs semences ont alors vu le jour, avec notamment en France, en 2003, la création du réseau semences paysannes (RSP) pour les mettre en réseau (voir encadré ci-dessous).

Idée de génie : faire travailler, ensemble, paysans et jardiniers

En 2009, des paysans et jardiniers se regroupent pour conserver et développer des céréales panifiables. Deux ans plus tard, ils créent l’association Pétanielle [1]
, du nom d’une variété de blé, la Pétanielle noire de Nice. En 2018, l’association compte une trentaine de paysans et 180 jardiniers, confirmant ainsi la volonté affirmée dès le début de faire vivre des liens entre paysans et jardiniers dans le partage des différentes tâches. Ils entretiennent et développent la collection de Pétanielle, constituée par une centaine de variétés cultivées.

Comment y sont-ils parvenus ? Chaque année, Pétanielle se procure des variétés pour les intégrer à sa collection, récupérées notamment au Centre de ressources biologiques des céréales à paille (Inra de Clermont-Ferrand) mais aussi auprès d’autres membres du RSP ou de réseaux étrangers et occasionnellement chez des paysans les ayant conservées dans leurs champs. C’est l’étape de collecte.

Il faut ensuite les conserver, les pré-multiplier (voir plus loin), puis les multiplier, en bref, en obtenir des quantités suffisantes pour régénérer la diversité perdue et pouvoir, par exemple, tester leurs qualités boulangères. Ces quatre actions sont réalisées selon des règles d’usage et une mise en œuvre qui sont propres à l’association Pétanielle.

La conservation est assurée en majeure partie par les jardiniers qui sèment les variétés sur des micro-parcelles (1 m²) dans leurs jardins (une à deux variétés par jardin). Chaque variété est distribuée à plusieurs jardiniers (cinq ou six) assurant ainsi une certaine sécurité face aux aléas climatiques ou culturaux et permettant à la variété d’exprimer et de conserver sa diversité génétique intrinsèque. En recevant ces graines, les jardiniers s’engagent à mener à bien leur récolte en s’appuyant sur la fiche de conseils qui leur est fournie en même temps et à restituer tout ou partie de leur récolte sous la forme d’une gerbe.

Ils sèment également une soixantaine de ces variétés sur un lieu chaque année différent, en général la ferme d’un paysan. Cette « collection semée » donne lieu à des travaux collectifs (semis, entretien, récolte). Elle fait également l’objet d’une visite commentée vers la fin juin à un moment où tous les épis expriment le mieux leur diversité de formes et de couleurs.

Toutes ces variétés sont rassemblées en vue d’un battage collectif d’environ 200 gerbes d’une quarantaine de variétés différentes. Accueil/vérification, répartition par variétés, battage, ensachage, étiquetage : c’est la grande journée de Pétanielle !

Pour évaluer certaines variétés, il faut une étape de pré-multiplication. Ce sont les jardiniers qui la prennent en charge en réponse à une demande de paysans intéressés par le développement d’une variété particulière. Les semences de cette variété, tels que le blé Gentile Rosso ou le blé de Castelnau, sont alors distribuées à une vingtaine de jardiniers pour constituer un premier stock de quelques kilos qui sera donné au paysan demandeur. Étape chronophage mais indispensable, que les paysans pourraient difficilement assurer seuls.

La multiplication est assurée par les paysans, qui sont des paysans parrains/multiplicateurs. Les règles d’usage sont précisées de façon très formelle dans une convention de parrainage et de multiplication [2]
 signée.

Pétanielle s’engage à mettre à disposition auprès du parrain/multiplicateur la quantité de grains nécessaires pour cultiver un demi-hectare mais assure également une mise en réseau entre les différents paysans pour l’échange de savoirs et de savoir-faire. Le parrain/multiplicateur s’engage à cultiver la variété reçue en pur (pas dans un mélange) en suivant le protocole préconisé et à restituer à Pétanielle l’équivalent de la quantité reçue. Il doit mettre à son tour un lot de grains à la disposition d’un nouveau parrain/multiplicateur. Les échanges ont lieu principalement à l’automne lors de la halle aux grains (voir photo ci-dessous) et au début de l’été lors de la rencontre bouts de champ.

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Pétanielle, un commun

Un « commun », qu’est-ce que c’est ? Il est défini par ce qui lui permet d’exister [3]. Ainsi, il doit y avoir :


• une ressource mise en commun et partagée ;


• le mode d’accès à la ressource et les règles de son partage qui définissent les droits et obligations des usagers ;

• et un mode de gouvernance de la ressource assurant le respect de ces droits et obligations tout en garantissant sa pérennité. 

Avec ses règles d’usage et leur mise en œuvre, Péta-nielle peut ainsi être considérée comme un commun pour des semences paysannes, le Conseil d’administration (ou l’Assemblée générale) en assurant une forme de gouvernance.

Aspect organisationnel et aspect politique

Un commun présente évidemment un aspect organisationnel important.

Mais dans la mesure où il correspond à un droit d’usage sur une ressource partagée, il s’oppose fondamentalement au droit privé exclusif qui est la base juridique de la propriété inscrite dans le Code civil. Un commun présente donc aussi une dimension politique majeure puisqu’il doit pouvoir revendiquer un espace juridique dans lequel :

• le droit d’usage ne doit être soumis à aucun droit de propriété privée comme par exemple un brevet ; 


• le droit d’usage ne doit pas être empêché par la réglementation imposée par l’autorité publique…

Mais ce droit d’usage peut être en contradiction avec les normes imposées par l’autorité publique parce que celles-ci sont conçues dans une vision industrielle basée sur la propriété privée, la standardisation et l’économie d’échelle.

Pour les normes sanitaires par exemple, c’est une vision hygiéniste et d’éradication des pathogènes qui domine (pour le plus grand bonheur des fabricants de pesticides) alors que les paysans et jardiniers bio recherchent une gestion des pathogènes ou des nuisibles en s’appuyant sur les équilibres naturels, la diversité et les multiples capacités d’adaptation des organismes.

Mais s’opposer aux normes ne signifie pas qu’il n’y a pas de règles. Et c’est précisément l’élaboration collective de ces règles (sanitaires ou autres) par une communauté d’usagers qui constitue le fondement même d’un commun et qui donne en même temps sa vision politique.

Pétanielle, et plus généralement le RSP et ses membres, présentent cette double dimension organisationnelle et politique des communs et s’inscrit ainsi dans un vaste mouvement social écologique et solidaire.

[3Voir en particulier « Qu’est ce qu’un commun ? Quelles perspectives le mouvement des communs ouvre-t-il à l’alternative sociale ?, 
Quatre thèses pour nourrir un débat en cours »,
 6 janvier 2015, par Benjamin Coriat

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