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Vitamine B2 : contamination en cours par une bactérie transgénique

Par Eric MEUNIER

Publié le 07/12/2018

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Le 19 septembre 2018, la Commission européenne refusait d’autoriser l’utilisation d’une vitamine B2 produite par la bactérie transgénique B. subtilis KCCM-1045 en tant qu’additif pour l’alimentation animale. Un refus d’autorisation qui s’explique par la présence illégale de cette bactérie transgénique dans des lots de vitamine B2. Comble de la situation : l’UE aurait pu anticiper le problème dès 2010.

L’information fut relayée par Le Monde le 22 novembre 2018. Huit tonnes de vitamine B2, également appelée riboflavine 80%, contaminées par une bactérie génétiquement modifiée illégale, ont été distribuées dans une vingtaine de pays dont certains dans l’Union européenne. Depuis, c’est le branle-bas de combat pour retrouver les lots contaminés répartis en Europe [1]. Comment en est-on arrivé là ?

Des modes de production variés

La vitamine B2 est une molécule autorisée pour diverses utilisations, que ce soit comme additif dans les denrées pour animaux, comme colorant en cosmétique ou comme aliment ou complément alimentaire comme dans les « aliments transformés à base de céréales et les aliments pour bébés et jeunes enfants » [2]. Mais, en fonction de la méthode de fabrication de cette vitamine, d’autres autorisations peuvent être nécessaires. Ainsi, si un OGM est utilisé, une autorisation doit être également demandée pour pouvoir commercialiser de la vitamine B2 obtenue à partir de cet OGM, conformément au règlement 1831/2003.

Si elle peut être extraite naturellement de différents aliments (elle est présente dans le lait, les œufs ou les légumes à feuilles), la production industrielle de vitamine B2 (riboflavine) s’est surtout faite par voie chimique jusque dans les années 90. L’utilisation de micro-organismes démarra de son côté dès les années 40 par simple mise en culture en fermenteur, suivie dans les années 80 par les premières utilisations de micro-organismes mutés, sans toutefois atteindre le rendement de la production chimique. À la fin des années 90, l’utilisation de bactéries modifiées génétiquement par insertion de séquence fit son apparition [3]. Des bactéries qui aujourd’hui, sont principalement Escherichia coli, Bacillus subtilis, Ashbya gossypii et Candida famata avec une prédominance d’E. coli et B. subtilis [4].

Des lots de vitamines produites par un OGM…

L’actualité tourne justement autour de cette dernière bactérie, Bacillus subtilis, qui peut être modifiée par transgenèse de manière à produire la vitamine B2. Or, cette bactérie transgénique a été, comme nous l’a confirmé la Commission européenne, détectée pour la première fois en 2014 dans des lots de vitamine B2 importés en Europe en provenance de Chine, sans aucune autorisation.

L’histoire de cette contamination remonte à 2010. Cette année-là, l’Association européenne des ingrédients spéciaux pour aliments des animaux et de leurs mélanges (Fefana) [5] demandait à l’Union européenne l’autorisation de commercialiser sa vitamine B2 produite par la bactérie Bacillus subtilis transgénique KCCM-10445. Dans sa demande, Fefana explique notamment que la vitamine B2 est produite par une culture de bactérie transgénique en milieu fermé et que les différentes étapes pour récupérer la vitamine produite (pasteurisation, filtration, purification…) garantissent l’absence de bactéries transgéniques viables.

En janvier 2014, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) publiait un avis positif [6] sur ce dossier : la vitamine B2 produite par Bacillus subtilis KCCM-10455 présente peu de risque sanitaire bien qu’elle puisse être irritante sur la peau, pour les yeux ou le conduit respiratoire notamment car « ni la souche de production ni son ADN recombinant n’ont été détectés dans le produit final ».

… qui contaminent les lots de vitamines vendus

Mais cette même année 2014, une bactérie transgénique est détectée dans des lots commerciaux de vitamine B2 par les autorités allemandes et britanniques [7]. Par la suite, cette bactérie transgénique contaminante a également été détectée dans des échantillons dits de références « soumis au laboratoire de référence en 2010 avec la demande d’autorisation et d’un groupe d’échantillons actualisés, fournis audit laboratoire en 2013 » [8]. Après avoir un temps échangé avec la Commission européenne sur cette contamination, Fefana finira par s’opposer à ce que de plus amples analyses des échantillons stockés dans les frigos européens soient conduites et refusera même « de fournir des échantillons correspondant à l’additif tel que mis sur le marché en 2015 ».

Or, comme le souligne le 5 août 2016 la Commission européenne dans un courrier à l’AESA, « l’évaluation de l’AESA (de 2014, ndlr) reposait sur la présomption, selon les informations fournies par [Fefana] que l’additif était exempt d’ADN recombinant » [9]. Du fait de la détection de la bactérie transgénique, la Commission demandait donc en 2016 à ce que l’AESA confirme ou infirme son avis favorable de 2014. Un second avis qui arrivera en mars 2018, défavorable cette fois [10], confirmant au passage qu’un « laboratoire officiel allemand avait analysé les échantillons de référence conservés par le laboratoire commun de recherche [et avait] trouvé de l’ADN recombinant de la souche de production dans les échantillons de Vitac EEIG (ndlr, devenue, rappelons-le, Fefana) ».

En novembre 2018, la Commission européenne refusait donc, huit années après la demande, d’autoriser la commercialisation de cette vitamine B2 produite par Fefana [11].

Personne n’a vérifié les frigos de l’UE

Lorsque l’AESA rend son premier avis favorable en janvier 2014 basé sur « l’absence d’ADN recombinant (ADNr) et de cellules viables », l’Union européenne a donc dans ses frigos des échantillons fournis par l’entreprise qui contiennent cet ADNr et ces cellules. Mais l’analyse de ces échantillons en novembre 2010 par le laboratoire communautaire de référence [12] porte, selon la législation européenne [13], uniquement sur la vitamine, pas sur la recherche de la bactérie. Aucune recherche n’a donc été faite sur d’éventuelles contaminations par la souche de production comme le montre le rapport publié en novembre 2010 par le laboratoire.

Pourquoi les autorités allemandes ont-elles vérifié des lots commerciaux importés et les échantillons de référence ? La raison se trouve dans ce qui est un véritable secret de Polichinelle : un document de l’AESA daté de 2011 montre en effet que certains États membres de l’Union européenne craignaient des contaminations de l’environnement en cas d’utilisation de micro-organismes génétiquement modifiés en milieu confiné ou de produits dérivés de ces OGM. Des pays comme l’Autriche, l’Allemagne ou encore la Belgique pointaient les risques de contamination par le micro-organisme GM utilisé pour produire un additif. L’Allemagne en particulier soulignait que pour faire face à d’éventuels impacts sur l’environnement de micro-organismes GM ou de produits dérivés (comme des vitamines produites par des bactéries GM), il serait pertinent que des informations complémentaires sur le micro-organisme soient demandées afin de pouvoir « conduire une évaluation des risques liés à une potentielle contamination par des cellules viables » [14].

Cette possible présence du micro-organisme GM dans le produit final est un risque connu. Dans ses lignes directrices [15], l’AESA écrit que « l’absence de cellule viable de la souche de production doit être analysée […]. La présence d’ADN de la souche de production doit être analysée par PCR ».

Résumons-nous : la possible contamination de lots par le micro-organisme producteur, la nécessité de faire des analyses préalables pour vérifier les lots, l’envoi d’échantillons de référence au laboratoire communautaire de référence… : tout est en place. Sauf la vérification de toutes ces données et échantillons fournis par le pétitionnaire ! Cette absence de vérification est due au choix politique de faire confiance aux entreprises et à leurs contrôles internes (exactement comme dans le scandale récent des implants médicaux). Une confiance dont témoigne l’opinion de l’AESA en 2014 sur cette vitamine B2 de Fefana en indiquant qu’aucun « plan de surveillance post-commercialisation n’est nécessaire autres que ceux établis par le règlement d’hygiène des denrées alimentaires et les bonnes pratiques de production industrielle » [16]. Du moment que les entreprises montrent avoir les moyens de contrôler en interne, il n’est donc pas pertinent de vérifier les analyses elles-mêmes. Un audit de la Commission européenne conduit en Chine en 2015 est assez explicite sur ce point [17] : « bien que l’entreprise visitée n’exporte pas vers l’UE (sic !), les contrôles […] ont été présentés comme similaires à ceux des entreprises exportatrices ». Si des inspections annuelles par le gouvernement chinois sont annoncées, l’audit rapporte surtout que « l’entreprise a vérifié sa méthode de production (…) pour s’assurer qu’aucun micro-organisme GM n’était présent dans le produit final. L’entreprise est certifiée par divers standards et dispose d’un système de contrôle interne ». Conclusion de l’audit : l’établissement visité est « sous supervision officielle et dispose d’un système de contrôle interne approprié pour assurer que le produit final ne contient pas de micro-organisme GM ».

Aujourd’hui, la vitamine B2 de Fefana produite par B. subtilis KCCM-10445 est interdite formellement (mais n’a de fait jamais été autorisée). La Commission européenne exige que les stocks de vitamine B2 issue de cette bactérie, présents illégalement dans l’Union européenne comme l’a confirmé une récente alerte des autorités belges [18], soient « retirés du marché au plus tard le 10 novembre 2018 ». Pragmatique, la Commission précise également que les aliments pour animaux contenant cet additif et fabriqués avant le 10 janvier 2019 devront être retirés du marché en juillet 2019 au plus tard. Un pragmatisme justifié dans sa décision de septembre 2018 par la Commission européenne par le fait que « la riboflavine (80 %) produite par Bacillus subtilis KCCM-10445 représente une partie significative du marché de la riboflavine utilisée en tant qu’additif pour l’alimentation animale dans l’Union ». Un retrait qui semble pourtant problématique puisque les lots ont été diffusés dans l’Union européenne et utilisés dans des aliments pour animaux comme l’a rapporté Le Monde.

L’arbre Fefana cache-t-il la forêt des additifs alimentaires ?

Si l’autorisation a finalement été refusée en septembre 2018, le contrôle des additifs alimentaires apparaît tout de même non maîtrisé. Une situation qui pourrait en inquiéter plus d’un : plusieurs modes de production de vitamine B2 faisant intervenir des OGM sont en cours d’autorisation. En 2010, l’entreprise DSM Nutritional Products Ltd déposait une demande de renouvellement d’autorisation pour de la vitamine B2 produite par deux autres souches de Bacillus subtilis transgéniques [19]. De son côté, BASF [20] déposait en 2012 une demande d’autorisation pour produire de la vitamine B2 à partir d’une souche transgénique de Ashbya gossypii. Fefana a un autre dossier en cours, déposé en 2012, pour avoir le droit de commercialiser non de la vitamine B2 mais de la vitamine B12 produite à partir de trois bactéries transgéniques appelées Ensifer adhaerens SCM 2034, Ensifer adhaerens CICC 11008s et Ensifer fredii CMCC (B) 70000. Des demandes qui ont toutes été traitées par l’AESA avec avis favorables à la clef, toujours sur base de la confiance dans les contrôles faits par les industries. Les décisions d’autorisation ou de refus d’autorisation par l’Union européenne sont maintenant attendues…

[1Le Monde, 29 novembre 2018

[3« Biotechnology of Riboflavin Production. Comprehensive Natural Products II », Hohmann, H.-P., & Stahmann, K.-P. (2010). 115–139. doi:10.1016/b978-008045382-8.00667-5

[4« Molecular characterization of an unauthorized genetically modified Bacillus subtilis production strain identified in a vitamin B2 feed additive », Valentina Paracchini et al., Food Chemistry, Vol 230, 1 September 2017, pp681-689

[5Le dossier était initialement déposé par le consortium européen d’intérêt économique pour l’autorisation des vitamines (Vitac EEIG). En 2012, Vitac EEIG déposait le bilan et transférait ses activités à Fefana asbl.

[7RASFF, alertes 2014.1249, 2014.1360 et 2014.1657

[9

Lettre de la Commission européenne à l’AESA / EFSA sur la vitamine B2 (août 2018)

[10

Avis de l’AESA / EFSA sur la vitamine B2 (mars 2018)

[12CRL Evaluation Report on the Analytical Methods submitted in connection with the Application for the Authorisation of a new Feed Additive according to Regulation (EC) No 1831/2003. Ce rapport se réfère à une bactérie appelée CJKB-0001. Il s’agit de la même bactérie que celle appelée KCCM10445. Selon la Commission européenne, CJKB-0001 est le nom utilisé dans la demande de brevet reçue alors que KCCM-10445 est le nom utilisé dans le dossier de demande d’autorisation commerciale.

[13Règlement 1831/2003, art. 7, point 3, point f et règlement 378/2005 art. 5

[14Technical report of Efsa Outcome of the public consultation on the draft Scientific Opinion of the Scientific Panel on Genetically Modified Organisms (GMO) on the Guidance on the risk assessment of genetically modified microorganisms and their food and feed products, Supporting Publications 2011:EN-165

[17

Commission européenne : audit en Chine sur la vitamine B2 (2015)

[18RASFF, Alerte 2018.2755

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