n°152 - septembre / décembre 2018

OGM : des outils pour comprendre !

Par Inf’OGM

Publié le 18/01/2019, modifié le 05/12/2023

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Une fois n’est pas coutume : les vilains OGM, tant décriés par les militants, sont ici réhabilités en tant qu’outils de connaissance, en laboratoire. Explication par l’un des meilleurs pédagogues, qui manie des OGM au quotidien, Christian Vélot, chercheur en génétique moléculaire à la faculté des Sciences d’Orsay (Université Paris Sud).

 

La transgenèse (depuis les années 70), et bien avant elle la mutagénèse aléatoire, sont des techniques essentiellement utilisées pour la recherche fondamentale (en biologie bien sûr). On y a recours de façon routinière dans les laboratoires, ce qui permet d’ailleurs à certains biologistes d’assurer, en toute honnêteté, que les technologies OGM sont parfaitement maîtrisées et sans risque. Mais, la maîtrise “technique” d’une pratique ne signifie en rien que l’on en maîtrise les conséquences.

La recherche fondamentale a pour but de comprendre comment « ça » marche, d’acquérir des connaissances indépendamment de toute application. En biologie, il s’agit de décortiquer et de comprendre les processus biologiques, c’est-à-dire les chaînes de montage et de démontage dans les usines cellulaires. Pour cela, il nous faut donc identifier les « ouvriers » qui travaillent sur ces chaînes, c’est-à-dire les protéines. Et comme le secret de fabrication des protéines est contenu dans des gènes, il nous faut identifier des gènes.

Établir la relation entre gène(s) 
et fonction(s)

La recherche fondamentale en génétique moléculaire s’appuie sur deux grandes démarches. La première s’inscrit dans ce qu’on appelle la génétique classique : nous disposons d’une fonction et nous cherchons à identifier les gènes impliqués dans cette fonction, notamment qui détiennent le secret de fabrication des protéines qui assurent cette fonction.

La seconde démarche, qui relève de ce qu’on appelle la génétique inverse, consiste au contraire à rechercher la (ou les) fonction(s) d’un gène qui a été identifié. Autrement dit, nous disposons d’un gène mais nous ne connaissons pas le (ou les) processus biologique(s) dans lesquels il est impliqué, la (ou les) protéine(s) dont il détient le secret de fabrication, et le rôle de ces protéines dans la cellule.

Dans chacune de ces deux grandes démarches, la transgenèse, la mutagénèse et les nouvelles techniques de modification génétique, font partie des outils classiques auxquels les chercheurs ont systématiquement recours.

Imaginons que nous recherchons à élucider la (ou les) fonction(s) d’un gène donné de lapin. Pour cela, nous étudions par exemple les conséquences sur l’organisme (ici, le lapin) de l’inactivation du gène en question. Si cette inactivation résulte par exemple en une stérilité de l’animal, nous en déduirons que ce gène est nécessaire à sa fertilité. Puis nous développerons les stratégies de recherche appropriées pour démontrer sans ambiguïté l’implication du gène en question dans tel ou tel processus.

Isoler le gène, puis le multiplier

Il nous faut donc, dans un premier temps, isoler le gène d’intérêt à partir de l’ensemble des chromosomes de l’organisme étudié. Une fois l’ADN de l’organisme étudié extrait, le gène d’intérêt est « récupéré » grâce notamment à des « ciseaux moléculaires ». Il s’agit en fait d’enzymes – de protéines – (dites de restriction) capables de couper la double hélice d’ADN en des endroits très précis (déterminés par une séquence spécifique, c’est-à-dire un ordre d’enchaînement spécifique des quatre lettres A, G, C, T qui constituent l’ADN).

L’inactivation d’un gène se fait d’abord in vitro (dans un tube à essais). C’est un processus qui nécessite plusieurs étapes, et à chaque étape, il nous faut disposer du gène en grande quantité. Pour en obtenir des grandes quantités, l’astuce consiste à introduire ce gène dans une bactérie (Escherichia coli) qui vit naturellement dans notre intestin. L’introduction d’ADN « étranger » dans la bactérie est techniquement très facile : on peut avoir recours à l’électroporation, c’est-à-dire à un choc électrique de 2500 volts pendant une fraction de seconde occasionnant, dans la paroi des cellules, des trous par lesquels l’ADN « étranger » peut pénétrer. En incluant les petits préparatifs qui doivent être faits avant, et les quelques manipulations nécessaires après l’électroporation, c’est un protocole qui ne prend que deux heures environ. Puis la bactérie se multiplie toutes les 30 minutes environ pourvu qu’elle dispose de nourriture (sucre, azote, vitamines…) et qu’elle se trouve à 37°C. Après une nuit de multiplication, on peut alors « récolter » les bactéries, les éclater, en extraire le gène de lapin (que l’on est capable de séparer des gènes naturels de la bactérie). Celui-ci pourra alors être manipulé in vitro pour l’inactiver (le rendre inopérant) en cassant le message génétique (par une technique dont je passe les détails).

Un nouveau lapin génétiquement modifié

Le gène inactivé est alors réintroduit, à la place du gène normal, dans des cellules souches embryonnaires de l’organisme initial. On comparera alors le nouveau lapin ainsi obtenu au lapin de départ. S’il n’entend plus, on en déduira que l’on a probablement touché un gène impliqué dans l’audition, etc.

Ce n’est pas toujours aussi simple : parfois, l’inactivation d’un gène n’engendre aucun effet visible (en tout cas dans les conditions de laboratoire). Il faut alors en inactiver deux, trois ou plus pour engendrer des conséquences observables sur l’organisme étudié. Parfois, c’est le contraire : on inactive un gène, et les effets sont multiples et concernent divers processus distincts.

Au cours de cette démarche, nous avons bien fabriqué des OGM puisque nous avons introduit un gène de l’organisme étudié (ici, le lapin) dans la bactérie Escherichia coli. Celle-ci est alors devenue transgénique, avec un gène provenant d’une autre espèce. Mais il y a un autre OGM qui a été fabriqué au cours de cette démarche : il s’agit du nouveau lapin dont on a inactivé un gène. Alors que nous n’avons pas nécessairement introduit de gène « étranger » dans ce lapin (le processus d’inactivation d’un gène implique parfois l’introduction d’un transgène mais ce n’est pas systématique), ses caractéristiques génétiques initiales ont bien été modifiées de façon non naturelle (c’est-à-dire par intervention de la main de l’homme) non pas par addition mais par suppression d’un gène : chacune de ses milliards de cellules est dotée d’un gène de moins.
Il s’agit donc bien d’un OGM, mais non transgénique cette fois. L’inactivation d’un gène peut également être obtenue par diverses techniques de mutagénèse consistant à introduire dans ce gène des mutations (c’est-à-dire des changements, des ajouts ou des suppressions de lettres A, G, C, T) pour le rendre inopérationnel.

Des questions scientifiques… et éthiques

Bien sûr, ce n’est pas parce que ces techniques sont utilisées de façon routinière et qu’elles contribuent à l’avancée des connaissances, qu’elles sont incontestables.

D’abord, ces technologies OGM qui ne sont qu’un outil parmi d’autres au service du biologiste, ont bien sûr leurs limites et ne se suffisent pas à elles-mêmes. Comme tout outil, il ne peut avoir d’intérêt que s’il est utilisé en complémentarité avec d’autres. On ne peut pas demander à un mécanicien de démonter un moteur en ne lui mettant à disposition qu’une seule et unique clé de 10. Si un animal devient sourd, cela peut aussi être la conséquence d’effets très indirects qui résultent d’une suite d’évènements en cascade, et pas forcément directement du gène impliqué. Quand on marche sur la queue d’un chien, le chien aboie ; on n’en déduit pas pour autant qu’il aboie avec sa queue ! L’inactivation d’un gène ne sera donc qu’une première étape, mais il faudra développer d’autres stratégies de recherche pour confirmer ou infirmer les hypothèses avancées.

Ensuite, l’utilisation de cette technologie, quel qu’en soit le domaine, pose inévitablement des questions éthiques. Se pose par exemple la question plus générale du droit à utiliser l’animal au service de l’homme, que ce soit pour acquérir des nouvelles connaissances, pour servir de modèle à l’étude de maladies humaines ou encore pour servir d’outil de distraction dans une arène avec un boucher habillé en paillettes…

L’accès à la connaissance ou la recherche médicale ne peuvent être une fin qui justifient tous les moyens, et le débat et les questionnements autour des biotechnologies ne sont donc pas restreints au domaine des OGM agricoles.

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