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CETA : quand l’Europe et le Canada dialoguent sur les OGM

Par Charlotte KRINKE, Christophe NOISETTE

Publié le 16/04/2021

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En avril 2018, s’est tenu le premier « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies » depuis l’entrée en vigueur provisoire de l’accord de libre échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta). Bien que cet accord ne l’impose pas, le compte-rendu de cette réunion a récemment été rendu public. Mais sans dévoiler grand-chose pour autant. Enfin, trois ans après cette entrée en vigueur provisoire, en 2021, le Sénat français a déposé une résolution pour que le gouvernement mette à l’ordre du jour la question de la ratification du Ceta (voir encadré final).

Le Ceta, accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, est entré provisoirement en vigueur le 21 septembre 2017. Il accorde une large place à la coopération réglementaire entre les deux partenaires commerciaux. Cette coopération concerne les différents domaines couverts par l’accord, et notamment celui des biotechnologies où la coopération réglementaire se déroule dans le cadre du « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies » (voir encadré).

Échange d’informations pour réduire les entraves au commerce


Le « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies » a pour objectif l’échange d’informations sur des sujets tels que l’adoption d’une nouvelle législation dans le domaine des biotechnologies ou l’approbation des OGM sur le territoire du Canada ou de l’Union européenne. Ce dialogue doit ainsi « favoriser l’utilisation de processus d’approbation des biotechnologies efficaces et fondés sur des données scientifiques » et « réduire au minimum les répercussions commerciales négatives des pratiques réglementaires relatives aux produits de biotechnologie » [2]. Le Dialogue bilatéral trouve son origine dans le différend commercial qui a opposé ces deux partenaires commerciaux dans les années 2000. La solution convenue d’un commun accord en 2009 dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) pour mettre fin au différend était la mise en place d’un « dialogue sur les questions concernant l’accès aux marchés pour les produits biotechnologiques ».

Un dialogue pour faire pression ?

La coopération réglementaire dans le domaine des biotechnologies suscite cependant des inquiétudes, exprimées notamment dans un rapport remis au Premier ministre en septembre 2017 [3] [4]. Ce rapport relevait que le Ceta « semble inciter à l’ouverture de négociations sur […] en particulier la commercialisation des produits issus de biotechnologie ». Selon le rapport, le Ceta pourrait donc avoir des effets sur la réglementation permettant aux États membres d’interdire la culture d’un OGM sur leur territoire, mais aussi sur la position de l’Union européenne concernant les organismes issus des nouvelles techniques de modification génétique (les nouveaux OGM). Il invitait par conséquent à « rester vigilant par rapport au risque de pressions qui pourraient être exercées au travers des différents comités de coopérations mis en place par le Ceta ».

D’où l’intérêt de regarder de plus près le compte-rendu de la réunion du « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies » qui s’est tenue par visio-conférence le 26 avril 2018, la première depuis l’entrée en vigueur provisoire du Ceta.

Le Ceta n’impose nullement que l’agenda et le compte-rendu des réunions soient rendus publics [5]. Cette publication permet de savoir quels sujets ont été abordés : présentation de l’état des autorisations d’OGM dans l’Union européenne, présentation des évolutions législatives dans l’Union européenne et au Canada, traçabilité des exportations canadiennes d’OGM vers l’Union européenne ou encore nouvelles techniques de modification génétique [6].

Le compte-rendu de la réunion est toutefois succinct et assez peu instructif [7].

Concernant les nouvelles techniques de modification génétique, la Commission européenne a ainsi confirmé au Canada qu’il n’y avait pas d’évolution législative dans l’Union européenne en ce domaine et que la question préjudicielle était actuellement examinée par la Cour de justice [8]. Il ressort toutefois du compte-rendu que la Commission souhaite discuter plus avant de l’approche canadienne qui consiste à ne pas soumettre les OGM à une législation spécifique, quelle que soit la technique utilisée pour les obtenir, et à privilégier une évaluation du produit final plutôt que du procédé [9]. La Commission chercherait-elle des réponses à la question du statut des nouveaux OGM dans l’approche canadienne en matière d’OGM ? Ces discussions auront-elles lieu dans le cadre du « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies » du Ceta ou en dehors de celui-ci ?

Manifestation contre le CETA, février 2017
Manifestation contre le CETA, février 2017
Crédits : Campact

Pas (encore ?) de saumon GM dans l’Union européenne

Quant à la question de la traçabilité, la Commission européenne a demandé au Canada des renseignements spécifiques au sujet du saumon transgénique. Selon le compte-rendu de la réunion, « le Canada a réaffirmé que les produits exportés vers l’Union européenne, y compris le saumon, doivent remplir les conditions d’importation de l’Union européenne ». Le Canada a également affirmé que « il n’y a eu qu’un nombre limité d’importations jusqu’à présent ». Selon l’entreprise AquaBounty Technologies, cinq tonnes de filets de saumon transgénique auraient été vendues sur le marché canadien en 2017 [10] [11]. L’Union européenne n’est a priori pas concernée par ces importations. En effet, pour pouvoir être commercialisé dans l’Union européenne, le saumon transgénique doit avoir préalablement reçu une autorisation de mise sur le marché conformément au règlement 1829/2003. Or à ce jour, selon les services de la Commission européenne contactés par Inf’OGM, aucune demande de mise sur le marché n’a été déposée dans l’Union européenne [12].

Le Canada a de son côté commenté la réglementation OGM de l’Union européenne (voir encadré ci-dessous).

Le Canada commente la réglement

Le Canada commente la réglementation OGM de l’Union européenne

Pour le Canada, le délai l’évaluation des risques associés aux OGM dans l’Union européenne, y compris des événements empilés, est trop long. Le Canada s’inquiète aussi de l’expiration des autorisations au bout de dix ans, qui requiert de renouveler la demande d’autorisation. En revanche, le Canada est favorable à l’instauration d’une phase de « pré-consultation » entre l’entreprise qui veut mettre un OGM sur le marché dans l’Union européenne et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA). Cette phase de « pré-consultation » fait partie des mesures proposées par la Commission européenne dans sa récente proposition législative touchant à la législation alimentaire générale et à des directives et règlements portant sur des domaines alimentaires précis, parmi lesquels les OGM. Le but affiché de la proposition législative est d’améliorer la transparence et l’indépendance dans la procédure d’évaluation des risques des aliments [13]

Et la transparence des autres comités ?

Le « Dialogue sur les questions d’accès au marché des biotechnologies  » n’est qu’un des différents mécanismes de coopération réglementaire mis en place par le Ceta. L’accord crée en effet plusieurs comités dans les différents domaines couverts par l’accord [14]. Quelles règles s’appliquent à ces comités en termes de publicité des réunions, des décisions adoptées ou de composition ? Le Ceta est silencieux sur ce point et laisse à ces comités le soin d’adopter leurs propres règles de procédure. Mais une première proposition de règles de procédure a d’ores et déjà été élaborée par la Commission européenne [15]. Ces règles auraient vocation à s’appliquer tant au comité mixte qu’aux comités spécialisés.

Selon cette proposition, les décisions, recommandations et interprétations adoptées par les comités devront être rendues publiques, sauf si les renseignements fournis sont considérés comme confidentiels ou protégés contre la divulgation [16]. Par ailleurs, seul un « résumé succinct » du procès verbal devra être rendu public et celui-ci ne mentionnera pas, a priori, la liste des personnes composant le comité ou ayant assisté à sa réunion. Les règles de procédure proposées par la Commission européenne prévoient pourtant que « les coprésidents du Comité mixte [NDLR. et des comités spécialisés] de l’AECG peuvent, par consentement mutuel, inviter des observateurs, y compris des représentants d’autres organes des parties à l’accord ou des experts indépendants, à assister aux réunions du Comité afin de fournir des informations sur des sujets spécifiques. ». Il aurait été pertinent d’en connaître les noms et fonctions afin de pouvoir mettre au jour les éventuels conflits d’intérêts.

Pas sûr, dans ces conditions, que cette proposition permette de répondre aux craintes exprimées dans le rapport de la commission d’experts de 2017 quant au risque de « capture du régulateur ». Pour l’éviter, le rapport préconisait d’apporter un soin « à la désignation de ses membres et en particulier à la vérification de l’absence de conflits d’intérêt, à la transparence des débats et des propositions qui y seront formulées » [17]]]. C’est plutôt mal parti…

CETA – Le Sénat aura-t-il son mot à dire ?


Le 15 avril 2021, le Groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste (CRCE) – a déposé au Sénat une résolution pour inciter le gouvernement à mettre à l’ordre du jour la question de la ratification du CETA.

La résolution commence par un ras le bol vis-à-vis du gouvernement : « Depuis trois ans, des parlementaires de presque tous les groupes demandent des précisions sur le Traité et sur sa date de ratification. Le Sénat a été assez patient : il est temps d’en débattre ! ». La ratification du CETA devait intervenir dans un délai d’un an, précisent les Sénateurs, comme ils soulignent aussi qu’il ne s’agit « pas [d’] un débat sur le contenu du CETA, mais sur la procédure de ratification ». Pour le groupe CRCE, « Il y a urgence : il serait inconcevable que la France prenne la présidence de l’Union européenne le 1er janvier sans avoir ratifié un traité aussi important ».

La résolution rappelle aussi les exigences fixées par la Constitution : « L’article 53 de la Constitution dispose que le Traité ne peut être ratifié qu’en vertu d’une loi, votée par le parlement national, en l’occurrence bicaméral. Le Gouvernement donne pourtant l’impression que l’avis du Sénat ne compte guère. Le Parlement est sans cesse contourné ou malmené. (…) Selon Gérard Larcher, 51 % des textes ont été pris par ordonnance, ce qui est inédit depuis la guerre d’Algérie. Or, puisqu’il faut ensuite les ratifier, le processus des ordonnances est plus long : c’est bien le débat parlementaire qui vous (le Sénateur s’adresse au gouvernement) déplaît ».

L’Assemblée nationale a approuvé le 17 juillet 2019 le Traité par 266 voix contre 213 et 74 abstentions.

La résolution présentée par le groupe CRCE a été adoptée à l’unanimité des 309 suffrages exprimés, fait inédit.

[2Article 25.2 de l’Accord économique et commercial global [NDLR. Accord économique et commercial global, nom français du Ceta.] entre l’Union européenne et le Canada.

[5L’agenda et les comptes-rendus des Dialogues précédant l’entrée en vigueur provisoire du Ceta n’ont pas été publiés. Et à ce jour, nous n’avons pas encore reçu de réponse à notre demande d’accès aux documents.

[6Commission européenne, Comprehensive economic and trade agreement, Agenda of the tenth meeting of Canada-EU dialogue on biotech market issues.

[7Commission européenne, Comprehensive economic and trade agreement, Report of the tenth meeting of Canada-EU dialogue on biotech market issues.

[8La Cour de justice doit rendre son arrêt sur la question le 25 juillet.

[9Par exemple, les aliments dérivés d’un OGM sont qualifiés d’aliments nouveaux dans le règlement sur les aliments et les médicaments. Un aliment dérivé d’un OGM est un nouvel aliment notamment si l’OGM présente des caractères qui n’avaient pas été observés auparavant.

[11Le saumon transgénique AquAdvantage est élevé au Panama. AquaBounty Technologies, Inc. Results for the year ended, December 31, 2017.

[12Dans une réponse à une question parlementaire du 14 juillet 2016, le commissaire européen M. Andriukaitis avait d’ailleurs affirmé que « la Commission confirme qu’aucun animal génétiquement modifié (GM) et/ou produit dérivé n’est autorisé dans l’UE, donc aucune importation d’animaux GM et/ou de produits dérivés n’est autorisée. Cette situation ne sera pas affectée par l’entrée en vigueur de l’accord économique et commercial global entre l’UE et le Canada (AECG) ».

[14Forum de coopération réglementaire, comité mixte et comités spécialisés, tel que le comité de gestion mixte pour les mesures sanitaires et phytosanitaires.

[16Selon la proposition de la Commission, « les parties à l’accord veilleront à ce que les décisions, recommandations et interprétations adoptées par le Comité mixte de l’AECG soient rendues publiques, sous réserve de l’article 26.4 de l’accord ». L’article 26.4 du Ceta dispose que « lorsqu’une Partie soumet au Comité mixte de l’AECG ou à tout comité spécialisé créé au titre du présent accord des renseignements qui sont, selon sa législation, considérés comme confidentiels ou protégés contre la divulgation, l’autre Partie traite ces renseignements comme confidentiels ».

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