Actualités

ÉTATS-UNIS – Vers une commercialisation d’un blé OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 17/04/2018

Partager

Le 20 mars 2018, le ministère étasunien de l’Agriculture informait l’entreprise Calyxt que son blé génétiquement modifié issu de plantes transgéniques (le deuxième du genre) était un OGM mais que sa commercialisation ne serait pas règlementée par le ministère. Une première étape vers une première commercialisation ? Pas avant 2020 et les éventuels feux verts des ministère de l’alimentation ou de l’environnement !

Début février 2017, l’entreprise Calyxt écrivait [1] au ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) pour savoir si un blé génétiquement modifié pour contenir plus de fibres et produit à partir de blé transgénique serait soumis aux requis de la législation américaine, à savoir une évaluation des risques par exemple. Aux États-Unis, la commercialisation d’un OGM est encadrée règlementairement dans trois cas : a) s’il a été obtenu à partir d’un parasite végétal ; b) en utilisant du matériel provenant d’un parasite végétal ; c) et/ou s’il est lui-même un parasite végétal. Et, si ce premier critère est avéré, l’administration détermine si son utilisation a un ou des impacts sur l’environnement ou la santé (après analyse de risque donc) et alors seulement, la commercialisation de cet OGM est encadré.

Un blé transgénique « sans transgène »

Dans son courrier, Calyxt détaille comment elle a obtenu ce blé dont le nom précis n’est d’ailleurs pas rendu public. L’entreprise a cultivé in vitro des « embryons immatures » [2] de blé puis les a bombardés avec des particules sur lesquelles sont « collées » deux constructions transgéniques. La première exprime un gène de sélection et la seconde exprime une protéine, appelée TALEN, qui coupe l’ADN. Cette protéine va couper l’ADN du blé de manière à enlever certaines briques du génome (des nucléotides). Mais impossible de savoir quelle séquence génétique est ciblée précisément : l’USDA a en effet supprimé dans la lettre rendue publique ce « détail » considéré comme confidentiel.

Enfin, ces cellules ainsi modifiées sont traitées par des « techniques standards de culture de tissus » végétaux pour régénérer une plante de blé entière. La plante génétiquement modifiée obtenue (avec quelques nucléotides en moins) est ensuite croisée avec elle-même par auto-pollinisation. De tels croisements dont le nombre n’est pas précisé permettent à Calyxt de sélectionner ensuite dans la descendance les plants de blé qui ont toujours la modification génétique mais plus les transgènes, du moins théoriquement.

Dans sa réponse à Calyxt [3], le ministère explique de manière très succincte, voire lacunaire, les raisons qui l’ont poussé à conclure que la commercialisation de cet OGM ne sera pas réglementée aux États-Unis. Il renvoie à « de précédentes réponses à des demandes similaires » sans préciser lesquelles [4]. Le ministère précise cependant que le blé n’est pas un parasite végétal et qu’il n’y a « aucune raison de croire que l’altération génétique de ce blé à nutrition améliorée augmenterait un caractère envahissant du blé ». Et si ce blé se croise avec une plante sexuellement compatible sauvage considérée comme « mauvaise herbe », comme une égilope ? Le ministère déclare, à nouveau, que « il est très improbable que […] cela la rende encore plus envahissante ».

Non évalué, ce blé ne sera pas encadré

Le ministère annonce que sa mission est de « protéger la santé » tout comme « les valeurs de l’agriculture américaine et les ressources naturelles ». Cependant, aucun élément de sa réponse comme de la lettre de Calyxt ne fait état d’une absence de risque. Mais ce n’est pas le sujet du ministère car, ce dernier ayant conclu à l’absence de parasite végétal, il n’a pas légalement à évaluer l’impact de cette plante. La lettre de Calyxt ne fait d’ailleurs état d’aucune analyse de risque.

Par ailleurs, Calyxt affirme dans sa lettre que les transgènes sont absents de la plante génétiquement modifiée qui sera commercialisée. Le ministère reprend à son compte cette affirmation, sans avoir vu les analyses qui permettent à Calyxt de l’affirmer [5]. Des mutations liées à certaines étapes techniques de modification génétique sont-elles présentes ? Les analyses de séquences conduites par Calyxt sont-elles exhaustives ? Le ministère ne saurait finalement pas le dire…

Retrouvera-t-on ce blé dans l’UE ?

Dans son communiqué de presse du 21 mars 2018, Calyxt annonce que ce blé est sur « des rails d’une commercialisation à partir de 2020/2021 » [6]. Pourra-t-il être exporté vers l’Union européenne ? L’importation d’un tel blé pourrait ne pas échapper à un encadrement en Europe. Ce qui explique peut-être la prise de position de Bernice Slutsky de l’Association étasunienne de commerce des semences qui explique en effet avoir « le sentiment que [les plantes génétiquement « éditées » – comprenez obtenues par les nouvelles techniques… ndlr] ne devraient pas être traitées comme des OGM »… Sauf que dans le cas de ce blé, son « matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » : or c’est ainsi que la directive européenne 2001/18 définit ce qu’est un OGM. Il doit donc en théorie être considéré comme OGM, et donc évalué et autorisé à l’importation en Europe, puis étiqueté comme OGM. Sous réserve bien sûr que l’Union européenne dispose des outils (analyse biologique et/ou documents) nécessaires pour le détecter et le tracer alors même qu’il ne contient – théoriquement – plus de transgène.

Il reste maintenant à suivre les étapes que ce blé et son prédécesseur, un blé génétiquement modifié par Calyxt pour résister au mildiou selon le même procédé, franchiront en vue d’une éventuelle commercialisation. Et surtout d’observer les réactions de la filière blé et des gouvernements aux États-Unis et ailleurs dans le monde. On se souvient en effet que l’annonce de la mise au point d’un blé GM avait déchaîné un tollé international de protestations [7]

[2La technique de culture d’embryons immatures permet d’éviter la phase de maturation de la graine. En effet, par cette technique, les embryons sont prélevés quelques jours après la fécondation et non à maturité de la graine et cela permet ainsi de réaliser plusieurs générations par an.

[4L’USDA n’a pas répondu à nos sollicitations d’informations plus détaillées.

[5L’USDA dit n’avoir reçu que cette lettre et celle-ci ne contenait aucun résultat d’analyses.

Actualités
Faq
A lire également