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OGM : les entreprises ne jouent pas franc jeu

Par Eric MEUNIER

Publié le 29/12/2017

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Troisième volet de notre série sur le suivi des demandes d’autorisation commerciale d’OGM dans l’Union européenne, Inf’OGM se penche aujourd’hui sur deux dossiers montrant que les entreprises ne fournissent pas toutes les analyses de risques qu’elles ont en leur possession. Deux exemples d’omission qui interrogent la bonne foi scientifique de ces acteurs.

Le dossier que dépose une entreprise pour commercialiser une plante transgénique doit contenir un certain nombre de données. Ce sont des données fournies par l’entreprise qui sont examinées par les experts nationaux et européens et sur lesquelles ils fondent leur avis. Or, comme nous allons le détailler à travers deux exemples précis, les entreprises ne fournissent pas toujours les données en leur possession, même lorsqu’un comité d’experts souligne que leur absence porte préjudice à la demande.

Une analyse de toxicologie non soumise car ne répondant pas aux exigences scientifiques réglementaires ?

Début 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit expertiser un soja transgénique de Bayer, le soja A5547-127. Ou plutôt, doit le ré-expertiser car l’agence avait en fait déjà délivré un premier avis défavorable. En effet, en 2008, elle expliquait ne pas pouvoir « se prononcer sur la sécurité sanitaire » du transgène A5547-127, Bayer n’ayant pas fourni d’études « de toxicité sub-chronique de 90 jours chez le rat ». Malgré cette absence de donnée, les experts européens de l’AESA avaient, eux, rendu un avis favorable trois ans plus tard, en 2011, et le soja A5547-127 fut finalement autorisé le 10 février 2012 par la Commission européenne.

Mais cet avis défavorable de l’Anses en 2008 pose « problème » car ce transgène A5547-127 se retrouve dans plusieurs plantes empilées qui risqueraient donc de faire l’objet d’un avis défavorable de l’Anses. L’Anses est donc sollicitée pour réviser son avis de 2008, d’autant qu’un dossier de soja à plusieurs évènements transgéniques contient une nouvelle étude concernant l’évènement A5547-127.

En effet, on peut lire dans l’avis de l’Anses publié le 7 juillet 2017, que « le dossier du soja MON87708 x MON89788 x A5547-127 […], déposé en 2016, contient une étude de toxicité sub-chronique de 90 jours réalisée avec le soja A5547-127 ». Une étude réalisée en 2009 et qui se trouve être précisément celle dont l’Anses avait souligné l’absence dans son avis de 2008. Du côté du demandeur d’autorisation, Bayer explique fournir une telle étude en 2016 car le droit européen l’y oblige depuis 2013 (règlement 503/2013). Si légalement, Bayer pouvait ne pas avoir fourni cette étude avant 2013, rien ne l’empêchait de le faire pour que la décision d’autorisation soit prise en se basant sur « la bonne science », concept cher aux entreprises… L’Anses ne s’y trompe d’ailleurs pas et déclare, en juillet 2017, « regrettable que [Bayer] ne l’ait pas fournie dans le cadre de l’évaluation du soja A5547-127 […] qui ne s’est terminée qu’en avril 2011 ». Car de fait, l’étude en question a été réalisée un an après l’avis défavorable de l’Anses et trois ans avant que la Commission européenne ne délivre l’autorisation.

Pourquoi Bayer n’a-t-elle pas présenté cette étude aux experts français et européens ? L’explication n’est peut-être pas que réglementaire. Dans son avis de juillet 2017, l’Anses souligne que cette étude n’est pas « jugée recevable » scientifiquement. Parmi les raisons évoquées : une origine inconnue des graines de soja utilisées, une quantité de soja utilisée inférieure au requis de l’AESA, des données brutes non fournies au format électronique, un nombre d’animaux étudiés insuffisant et inférieur aux recommandations des experts français et européens… Bref, un travail scientifique qui ne répond pas aux exigences de la bonne science réglementaire. L’avis de 2017 de l’Anses est donc à nouveau défavorable.

Une étude citée pour justifier… de ne pas la communiquer !

On retrouve une situation presque analogue avec la demande d’autorisation pour le maïs empilé Bt11 x 59122 x Mir604 x 1507 x Ga21. Mais cette fois-ci, le paradoxe est poussé encore plus loin. L’existence des données non communiquées n’est pas tenue secrète par Syngenta…. mais au contraire, elle est mise en avant pour justifier de ne pas les fournir.

Ce maïs empilé et ses 20 sous-combinaisons ont fait l’objet d’un avis défavorable de l’Anses en 2016 et favorable de l’AESA en 2017. Mais l’avis favorable de l’AESA contient une opinion divergente d’un des experts OGM de l’AESA, celle de Jean-Michel Wal. Ce chercheur confirme d’abord les propos de l’AESA et de l’Anses : Syngenta n’a fourni aucune donnée scientifique précise pour permettre d’évaluer les risques des sous-combinaisons de la plante empilée étudiée. Le droit européen prévoit qu’une telle omission de données sur des sous-combinaisons est légale si elle est argumentée. Interpellée par la Commission européenne, Syngenta évoque dans sa réponse de 2014 [1] des données scientifiques complémentaires – qu’elle ne communique pas – montrant qu’il est inutile… de fournir des données scientifiques complémentaires : « L’analyse des taux d’expression des protéines confirme que le croisement des maïs à un seul évènement […] ne conduit pas à des interactions entre [les protéines] dans le maïs Bt11 x 59122 x Mir604 x 1507 x Ga21 et les sous-combinaisons » ! Un argument dont Jean-Michel Wal ne manque pas de souligner le paradoxe, notant que « si ces données ont été produites comme indiqué par le pétitionnaire, elles auraient dû être fournies »…

Sur le seul plan scientifique, il est frappant de constater que des entreprises puissent ne pas fournir les données scientifiques pourtant en leur possession et qui permettraient d’évaluer les risques liés à un OGM selon les experts français et certains experts européens. Un comportement qui n’est pas exactement ce que l’on pourrait appeler de la « bonne science »…

[1La lettre de 2014 de Syngenta n’a pas été rendue publique.

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