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France – Une loi pour limiter le champ d’un brevet ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 16/05/2017

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Non retenue par les députés lors du vote de la loi pour la reconquête de la biodiversité en 2016, la limitation de la protection conférée par un brevet à un produit contenant ou consistant en une information génétique revient via une proposition de loi du Sénat. Il a en effet proposé, le 20 avril 2017, d’introduire cette limitation dans le Code de la propriété intellectuelle.

En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité suivait une partie des propositions du collectif « Semons la biodiversité » et posait des limites en matière de brevetabilité du vivant [1]. D’une part, elle posait le principe de la non-brevetabilité des produits exclusivement obtenus par des procédés essentiellement biologiques, y compris les éléments qui constituent ces produits et les informations génétiques qu’ils contiennent. D’autre part, elle limitait l’étendue de la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique [2].

Mais la loi définitivement votée ne retenait pas la dernière proposition du collectif visant à limiter la protection conférée par un brevet concernant une information génétique. Cet amendement avait en effet été rejeté lors de la dernière lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale. La proposition de loi présentée le 20 avril 2017, par les sénatrices Évelyne Didier et Gélita Hoarau notamment, vise désormais à introduire cette limitation dans le Code de la propriété intellectuelle [3].

Le fait que la limitation de la protection conférée par un brevet concernant une information génétique n’ait pas été retenue dans le texte de loi définitif laisse entendre qu’il s’agit d’un enjeu de taille. L’information génétique, qui est une information immatérielle, revêt une importance considérable pour les entreprises semencières : de plus en plus, celles-ci s’intéressent en effet davantage à l’information génétique qu’aux semences en tant que telles.

Limiter l’extension des brevets

La proposition de loi est une nouvelle tentative de corriger les dérives des brevets sur le vivant. Elle révèle une volonté politique d’encadrer davantage le brevet dans le domaine des biotechnologies [4]. Par le jeu de la portée de la protection du brevet, des produits qui en tant que tels ne sont pas brevetables, parce qu’issus de procédés essentiellement biologiques, peuvent en effet se trouver couverts par les droits exclusifs conférés par le brevet. La proposition de loi tente donc d’introduire plus de cohérence entre d’une part la non-brevetabilité des produits issus exclusivement des procédés essentiellement biologiques (dont les informations génétiques qu’ils contiennent) et d’autre part l’étendue de la protection conférée par un brevet.

Dans l’état actuel du droit, un brevet qui porte sur une information génétique non obtenue par un procédé essentiellement biologique voit sa protection s’étendre à toute matière dans laquelle l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée.

Cela signifie que si une entreprise détient un brevet sur une information génétique (par exemple la résistance héréditaire à un champignon ou un herbicide) présente dans les plantes d’une espèce donnée, les droits exclusifs de ce brevet s’étendent à toutes les plantes de cette espèce – physiques cette fois – dans lesquelles cette information génétique est présente et exerce la fonction indiquée dans le brevet détenu par l’entreprise. La protection conférée par le brevet peut ainsi s’étendre à des plantes qui contiennent naturellement cette information génétique, ou suite à des croisements et/ou un travail de sélection.

Compte tenu de l’enjeu que représentent les brevets sur l’information génétique, la limitation du droit exclusif d’exploitation accordé par un brevet, seulement en ce qui concerne la matière biologique, n’était donc pas suffisante.

La proposition de loi du 20 avril propose donc d’ajouter une exception à l’étendue de la protection conférée par un brevet pour préciser que cette protection « ne s’étend pas aux matières biologiques exclusivement obtenues par des procédés essentiellement biologiques […], dans lesquelles l’information génétique est contenue et exerce la fonction indiquée, ni aux produits issus de cette matière biologique ».

La sénatrice Mme Évelyne Didier, contactée par Inf’OGM, admet que « Bien-sûr, les avancées scientifiques, comme la sélection assistée par marqueurs déjà ancienne, ou plus récemment des techniques comme CRISPR/Cas9 véritables ciseaux génétiques, nous enseignent la plus grande prudence dans l’appréciation de l’efficacité des garde fous juridiques que nous mettons en place. ». Pourtant, continue-t-elle, « En déposant cette proposition de loi nous espérons cependant faire encore avancer la législation française sur ces questions. ». La sénatrice espère également que cette proposition de loi permettra de « de populariser la question de la brevetabilité du vivant, de lui donner de la visibilité, pour éviter qu’elle reste un sujet d’experts. ».

Déposée en première lecture au Sénat le 20 avril, la proposition de loi a été envoyée à la Commission des affaires économiques. Celle-ci devra examiner la proposition avant sa lecture en séance publique. La date de cette lecture n’est pas encore connue.

[2Ainsi, « la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées, ne s’étend pas aux matières biologiques dotées de ces propriétés déterminées, obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication ». Article L613-2-3 al.3 du Code de la propriété intellectuelle.

[4En novembre 2016, la Commission européenne publiait son Avis concernant certains articles de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, dans lequel elle affirmait que les plantes issues de procédés essentiellement biologiques devaient être exclues de la brevetabilité (voir Charlotte KRINKE, « La Commission européenne critique l’Office européen des brevets », Inf’OGM, 25 novembre 2016). Cet Avis a été accueilli favorablement par le Conseil de l’Union européenne.

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