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Variétés populations : très peu peuvent être inscrites au catalogue

Par Frédéric PRAT

Publié le 04/04/2017

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Une « variété population  » de maïs, appelée « population Lacaune  », a été inscrite en 2012 au catalogue français des espèces et variétés par l’entreprise semencière RAGT. Pourtant, pour être inscrite au catalogue, une variété doit être notamment homogène et stable, ce que n’est pas, par définition, une population. Le catalogue aurait-il assoupli ses critères d’inscription ?

Au cours d’un récent débat radiophonique [1], Delphine Guey, responsable des affaires publiques et de la presse du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis), lâche au responsable semences de la Confédération paysanne, Guy Kastler : « il y a un semencier qui a commercialisé des variétés population de maïs, il a fait la démarche et il a inscrit [au catalogue] ses variétés population, donc ça peut fonctionner ».

Vérification faite, il s’agit d’une seule variété, nommée « population Lacaune » (pour la définition d’une variété population, voir le lexique de notre FAQ), inscrite par l’entreprise semencière RAGT en 2012 sur la liste C du catalogue, qui est la liste des variétés de conservation [2] (voir encadré ci-dessous). À cette époque, le président du directoire de RAGT était Daniel Segonds, qui était également président du Gnis. Quel était alors l’enjeu ?

Liste de variétés de conservation (Listes C et c)


Ces listes ont été créées en 2008 pour les plantes de grandes cultures (liste C) et 2010 pour les légumes (liste c). « Les directives européennes 2008/62/CE et 2009/145/CE ont introduit certaines dérogations pour l’admission de races primitives et de variétés naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétiques. Ces directives ont été transcrites en droit français par l’arrêté n° AGRG0828328A du 16 décembre 2008 (1) pour les variétés de grandes cultures et par l’arrêté du 20 décembre 2010 (2) pour les variétés potagères. Ces variétés sont traditionnellement cultivées dans des localités ou régions spécifiques. Lors de l’inscription, une « région d’origine » doit être définie dans laquelle doit se faire la sélection conservatrice et la multiplication de semences. Des restrictions sur les quantités de semences autorisées à la mise en marché sont prévues. Elles sont commercialisées sous forme de semences certifiées ou standard » (3). À noter que, contrairement à l’inscription sur les listes A ou B du catalogue (4), l’inscription d’une variété sur la liste de conservation ne lui donne pas accès au catalogue européen : ses semences ne peuvent être commercialisées que dans la région d’origine ou les régions voisines, voire transfrontalière (5). Émilie Lapprand, du Réseau semences paysannes (RSP), souligne que cette restriction géographique, doublée d’une restriction sur les quantités permises à la vente font que « ces listes ne sont pas adaptées à la possibilité de vendre en quantité suffisante les semences de variétés inscrites sur la liste C pour permettre un vrai entretien de la biodiversité cultivée ».

Actualisée au 1er févier 2017, la réunion des deux listes C et c comporte onze variétés : une de maïs, sept de pomme de terre et trois de légumes (une chicorée, un haricot et un poireau).

1, Arrêté n° AGRG0828328A, 16 décembre 2008

2, Arrêté N°ARGRG1031808A du 20 décembre 2010

3, Extrait du site du Gnis.

4, Voir la définition des différentes listes du catalogue.

5, « Si la région d’origine est située dans plus d’un État membre, elle est déterminée d’un commun accord par tous les États membres concernés et l’État membre ou les États membres procédant à la détermination de la région d’origine communiquent la région déterminée à la Commission », article 8 de la Directive 2009/145/CE de la Commission du 26 novembre 2009.

Le commerce ou l’échange, même à titre gratuit (sauf pour expérimentation, sélection, conservation/gestion dynamique à la ferme [3], jardinage amateur) des semences de variétés cultivées requiert que ces variétés soient inscrites au catalogue des espèces et variétés. Or l’inscription d’une variété au catalogue exige que cette variété soit, outre distincte (D) des autres variétés inscrites au catalogue, homogène (H) et stable (S). Ces critères écartent donc de fait toutes les « variétés paysannes », appelées populations, car non homogènes et non stables [4], ce que dénoncent différents acteurs soucieux du maintien de la biodiversité cultivée, dont les paysans sélectionneurs du réseau semences paysannes (RSP).

L’arrivée de la liste des variétés de conservation au catalogue a été présentée comme un allègement des critères DHS d’inscription (voir ci-dessous), avec la contrainte supplémentaire d’une production de semences localisée à la région d’origine de la variété, telle que définie par le déposant (la région d’origine peut-être la France si la variété avait été commercialisée largement). La RAGT a alors inscrit la variété population Lacaune de maïs, en 2012 [5]. Lacaune est la première population adaptée à l’Europe. « Sélectionnée pour sa précocité, elle est à l’origine de toutes les populations qui se sont développées par la suite en France » [6]

Liste des variétés de conservation : encore loin d’être adaptée aux variétés populations

Pour l’inscription sur la liste C, la dérogation au taux d’homogénéité se limite à 10% de hors type [7], ce qui veut dire que 90 % des individus doivent présenter les mêmes caractères phénotypiques : rien à voir avec l’hétérogénéité des populations paysannes, pour lesquelles s’applique donc une autre règle : celle de « l’uniformité relative » (voir plus bas).

Pour Guy Kastler, « il n’y a aucune dérogation concernant la stabilité [et seulement 10 % de hors-type pour l’hétérogénéité] de ces caractères, ce qui élimine toute population diversifiée multipliée en pollinisation libre qui évolue de ce fait suivant les conditions pédoclimatiques de l’année et les terroirs. Les populations paysannes ne sont pas stables pour les caractères phénotypiques imposés par le catalogue et dont le but est avant tout la traçabilité de la propriété industrielle (distinction) ». D’où sa conclusion : « Même si [les populations paysannes] sont pourvues de manière stable de nombreuses facultés qui intéressent les paysans (adaptabilité à certains terroirs, aux changements climatiques, aux transformations artisanales, tolérances aux pathogènes entre autres grâce à leur variabilité et diversité « intravariétales », goût, qualité nutritionnelle, absence d’OGM…), la plupart d’entre elles ne peuvent donc pas être inscrites au catalogue ».

Mais comment la population Lacaune, qui est, selon Guy Kastler, « une sélection paysanne sommairement homogénéisée », a-t-elle pu être inscrite avec de tels critères ? Delphine Guey, du Gnis, nous informe que « dans le cas d’une population de maïs, la règle qui s’applique est celle indiquée dans le protocole de l’Office communautaire des variétés végétales [8] ». Selon les règles Upov [9], « cette règle s’applique à toutes les variétés populations » ajoute-t-elle. C’est-à-dire que pour vérifier l’homogénéité des variétés à pollinisation libre, ce qui est le cas de la variété Lacaune, « la variabilité à l’intérieur de la variété ne doit pas dépasser celle des variétés comparables déjà connues » [10] (règle d’uniformité relative, article 4.2.3). Cet article n’est pas détaillé et l’on se doute qu’il laisse une certaine latitude aux contrôleurs… Le Règlement technique d’examen des variétés de conservation ajoute que « en ce qui concerne la fluctuation intra-variétale, les experts l’examineront au regard du niveau d’homogénéité qui s’appliquait à l’époque d’utilisation de la dite variété » [11]. Le catalogue admettait en effet au début des années 1950 un niveau d’homogénéité adapté aux populations. Pour Guy Kastler, « ce seul critère révèle comment le catalogue des variétés de conservation exclut tout autant l’adaptation paysanne permanente des variétés aux évolutions climatiques et des conditions de culture que les sélections paysannes récentes ».

D’autres populations ont été inscrites dans des catalogues nationaux de pays de l’Union européenne, et leurs semences, présentes également dans le catalogue commun européen, peuvent donc être commercialisées en France : Peredovick, une vieille variété population de tournesol des années 50, inscrite au catalogue espagnol ; une population de maïs, le Jaune de Bade (Gelber Badischer Land en allemand) inscrite en liste A avant les hybrides F1 dans les années 50 au catalogue allemand ; et au moins deux autres « variétés » de maïs population, OPM11 et OPM12 (voir encadré ci-dessous)…

Les « variétés population » de maïs OPM11 et OPM12

OP signifie « pollinisation ouverte », et OPM « open pollinisation maize », par opposition aux hybrides issus de croisements de lignées homozygotes (pollinisation dirigée). C’est donc une variété population, car composée d’individus tous différents, mais issue d’une sélection moderne opérée au sein de la fondation bio-dynamique Suisse GZPK [12] depuis une vingtaine d’années. Elle est aujourd’hui commercialisée par la coopérative Sativa Rheinau [13], en Suisse et en Allemagne [14], et a été ajoutée récemment à la liste des variétés de conservation allemande [15].

En Allemagne, OPM a été inscrite au catalogue, sous le nom d’Evolino, sans problème, à l’instar de plusieurs autres variétés de conservation nouvellement inscrites chaque année. L’Autriche et le Luxembourg, sur simple dépôt des résultats d’essais d’inscription allemand, ont également obtenu cette inscription.

En France, malgré une même législation européenne, il semble nettement plus compliqué d’obtenir l’extension à un zone géographique plus large. Une entreprise semencière française nous confie que depuis trois ans, elle tente d’inscrire plusieurs variétés de plusieurs espèces (blé, épeautre, pois, seigle), sans succès à ce jour.

Si donc pour le Gnis, cela prouve qu’il est possible d’inscrire une variété population au catalogue, en revanche, pour le RSP, « l’appréciation du respect des critères DHS n’est que petits arrangements entre concurrents. Ces populations de tournesol et maïs ont été inscrites avant que les critères DHS ne se resserrent avec la généralisation des lignées pures et des F1. Des populations, ou des variétés moins homogènes, sont aussi inscrites au catalogue encore aujourd’hui pour des espèces comme les légumineuses fourragères, carottes… où on ne peut pas faire facilement de lignées pures ou des hybrides F1 de bonne valeur commerciale. Il suffit pour cela que les « experts » se mettent d’accord pour accepter un taux d’hétérogénéité plus important » [16].

Suite à un travail de caractérisations de quelques variétés de maïs avec les critères du catalogue, dans les années 2010 – 2011, Rémy Lebrun, de l’association AgroBioPérigord, constate en effet que « le principal frein est la précision de la description demandé par le Geves-Upov [17], car les populations sont évolutives. Il faudrait même parler de métapopulation au sein desquelles il existe plusieurs écotypes, modelés par la pression de sélection du terroir et de l’agriculteur. De plus, certaines sont davantage identifiées par leur usage et leur histoire qu’uniquement des caractères phénotypiques ».

Vers une évolution de la réglementation

La Commission européenne a voté le 18 mars 2014 une décision autorisant certaines dérogations à la directive 66/402 relative à la commercialisation des semences de céréales, dans le cadre d’une expérimentation temporaire, en vue de la commercialisation de populations.

Dans le cadre de cette expérimentation, la production en vue de la commercialisation de semences de populations s’affranchit :

- de l’obligation de commercialisation de semences officiellement certifiées « semences de base », « semences certifiées », « semences certifiées première génération », « semences certifiées deuxième génération » (art. 3, paragraphe 1 de la directive 66/402/CEE),

- des dispositions sur la présence d’étiquettes et de notice officielle (art. 10 de la directive 66/402/CEE).

En parallèle de l’expérimentation européenne à laquelle la France participe, et dans le cadre du Plan Semences et plants pour une agriculture durable du ministère de l’Agriculture, un groupe de travail [18], sous pilotage de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), a été mis en place durant l’été 2016. Il travaille sur les critères de caractérisation de « populations hétérogènes évolutives » dans le but, entre autres, de « définir les critères d’identification de variétés hétérogènes dont un certain nombre de caractères phénotypiques ne sont pas stables » [19].

Ce groupe de travail suit notamment une expérimentation avec deux populations de blé tendre, semées à l’automne 2016. D’après Christian Leclerc, secrétaire général du comité technique permanent de la sélection (CTPS), « les premières conclusions seront obtenues à la fin de la campagne 2016/2017. Le groupe de travail se réunira alors, pour un retour d’expérience sur les conditions de production, de contrôle et de commercialisation de ces populations ». À suivre…

[2Variété de conservation : voir le lexique de notre FAQ sur les semences

[3« La « gestion dynamique » consiste à cultiver une population hétérogène dans des milieux différents pour qu’elle évolue dans des directions différentes, avec comme résultat globalement un élargissement de la diversité génétique par rapport à la population initiale. De tels résultats valident la gestion dynamique participative à la ferme comme une stratégie efficace à la fois pour maintenir la diversité cultivée et pour répondre aux besoins variétaux d’agriculteurs aux environnements, pratiques et usages diversifiés ». In Christophe Bonneuil, Elise Demeulenaere. « Une génétique de pair à pair ? L’émergence de la sélection participative ». F. Charvolin, A. Micoud et L. K. Nyhart. Les sciences citoyennes. Vigilance collective et rapport entre profane et scientifique dans les sciences naturalistes, Ed. de l’Aube, pp. 122-147, 2007.

[4sur la définition et l’examen de ces critères, voir Inf’OGM, « Qu’est-ce qu’une variété distincte, homogène et stable ? », Inf’OGM, 30 mars 2017

[5Il s’agit en outre d’une «  inscription gratuite jusqu’à ce jour car prise en charge par le ministère et pas de droits de maintien  » nous a communiqué Delphine Guey du Gnis.

[7Selon les règlements techniques, « si le niveau d’homogénéité est déterminé sur la base des plantes aberrantes une norme de population de 10 % et une probabilité d’acceptation d’au moins 90 % s’appliquent ».

[8L’Office communautaire des variétés végétales (OCVV ; en anglais : Community Plant Variety Office, CPVO) est une agence communautaire créée par le règlement 2100/94. Elle assure la mise en œuvre et l’application du régime communautaire de protection des obtentions végétales. L’OCVV est une agence décentralisée de la Communauté, dispose d’une personnalité juridique propre et s’autofinance, principalement sur la base de taxes versées par des personnes physiques ou morales, désireuses d’obtenir un titre de protection intellectuelle pour de nouvelles obtentions (ou variétés) végétales.

[9Union pour la Protection des Obtentions Végétales

[10Upov, Genève, maïs code upov : zeaaa_may, Zea mays L. Principes directeurs pour la conduite de l’examen de la distinction, de l’homogénéité et de la stabilité, page 6, 1er avril 2009.

[11Règlement technique d’examen des variétés de conservation en vue de leur inscription au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées (homologué par arrêté du 16 décembre 2008 paru au Journal officiel du 6 janvier 2009).

[12Getreide züchtung Peter Kunz, http://www.gzpk.ch

[13Voir leur catalogue.

[17Geves : Groupe d’Étude et de contrôle des Variétés Et des Semences

[18Acteurs concernés : GEVES, ITAB, Réseaux agriculteurs et de jardiniers, GNIS/SOC, UFS, CTPS, GNIS, syndicats agricoles.

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