n°144 - mars / avril 2017Interview / débat contradictoire

Un petit semencier confronté aux brevets

Par Charlotte KRINKE

Publié le 07/02/2017

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De Bolster, petite entreprise semencière néerlandaise, protège ses obtentions par les certificats d’obtention végétale (COV) mais se trouve de plus en plus confrontée aux brevets dans ses activités de sélection, notamment depuis que l’Office européen des brevets (OEB – EPO en anglais) a reconnu la brevetabilité des produits issus des procédés essentiellement biologiques. Son co-fondateur, Bart Vosselman, nous explique les moyens nécessaires pour s’assurer que les variétés qu’il commercialise ne sont pas concernées par un brevet et nous livre sa réflexion quant aux bouleversements actuels en matière de sélection variétale (rapprochement du régime du COV sur celui du brevet, brevetabilité des produits issus des procédés essentiellement biologiques, fusions/acquisitions…).

Interview avec Bart Vosselman, entreprise De Bolster (semencier néerlandais)

Inf’OGM – Le brevet vous oblige à demander une licence payante pour travailler à partir d’une ressource brevetée. L’avez-vous déjà fait ? Si oui, avec quelles éventuelles difficultés ? Le prix a -t-il été négocié ? Le prix est-il un obstacle ? La solution d’un « club des brevets » (licence accordée obligatoirement) est-elle bonne et pourquoi ?

Bart Vosselman – Nous essayons de garder notre assortiment libre de brevets. C’est une position de principe mais la question est bien sûr combien de temps nous pourrons la tenir. En tout cas, nous ne déposons nous-mêmes pas de brevets, pas même en tant qu’autodéfense. Certaines grandes entreprises semencières néerlandaises, comme Bejo et Rijk Zwaan, déposent des brevets selon leur propres dires en tant qu’autodéfense (elles demandent des droits de licence pour l’utilisation).

La négociation sur l’utilisation de brevets et les droits de licence se déroule surtout, au niveau de l’Union européenne, entre les parties membres de l’International Licensing Platform (ILP). En tout, il y a treize membres parmi lesquels certaines entreprises non titulaires de brevets, entre autres Holland Select et Pop Vriend. Ces dernières sont très opposées aux brevets sur les plantes mais ont peur de «  rater le coche ». Je sais par exemple que Lara Timmermans, directrice de Pop Vriend, a eu des négociations difficiles il y a un an et demi sur le montant des droits de licence avec une entreprise également membre de l’ILP. Le prix doit donc être négocié, mais un membre de l’ILP ne peut pas refuser d’accorder la licence à un autre membre. L’ILP est souvent présenté comme un système formidable grâce auquel des entreprises plus petites peuvent également avoir accès à toutes sortes d’innovations. Mais les petites entreprises font elles aussi d’importantes innovations, sinon elles ne pourraient pas tenir la concurrence. Ces innovations/propriétés sont toutefois librement et gratuitement accessibles à tous du fait du système du COV.

Je n’ai pas d’information sur le montant des droits de licence ; il y a quelques années, Syngenta demandait environ 5 % du chiffre d’affaires des variétés contenant un brevet, et parfois un prix fixe par semence. Il faut en outre signer un contrat qui prévoit notamment que Syngenta dispose d’un droit de regard dans la comptabilité.

Quant au système de licences obligatoires, il ne fonctionne pas. Les procédures sont longues et coûteuses.

L’exception du sélectionneur en droit des obtentions végétales fait du COV un outil plus ouvert que celui du brevet. Certains gros semenciers souhaiteraient cependant faire disparaître l’exception du sélectionneur les cinq premières années d’un COV : y êtes-vous favorable et pourquoi ?

B. V. – Je n’en avais pas entendu parler, mais la proposition de ne faire jouer l’exception du sélectionneur qu’à partir de la cinquième année du COV me paraît assez curieuse. En effet, il est impossible de déterminer à partir de quand une personne commence à croiser une nouvelle variété protégée par un COV (croisement suivi d’une sélection, etc.). En tout cas, c’est impossible dans la sélection classique, il en va sans doute autrement avec les techniques de « reverse breeding » (rétrocroisement).

Comment faites-vous concrètement pour vous assurer que les variétés que vous commercialisez ne sont pas protégées par un brevet ?

B. V. – Problème épineux. Il faut être constamment au courant des nouvelles demandes de brevets et des brevets qui ont été octroyés. Heureusement, depuis quelques années, il est possible de faire usage d’un abonnement chez Plantum [interprofession semencière néerlandaise] grâce auquel nous obtenons régulièrement une vue d’ensemble des brevets nouvellement octroyés et des nouvelles demandes de brevets. Il faut en fait être un vrai spécialiste pour faire ce travail soi-même à partir du site de l’Office européen des brevets (OEB). À partir de l’information de Plantum, nous pouvons déterminer quels brevets nous devrons étudier plus en détail, ce qui demande là aussi une connaissance spécialisée.

Dans tous les cas, nous n’utilisons pas des variétés avec des propriétés brevetées. Mais cela ne nous garantit pas que tout notre matériel d’amélioration est libre de brevets.

Vous étiez présent au colloque organisé par le gouvernement néerlandais en mai 2016, en coopération avec la Commission européenne, consacré à la question de l’équilibre des droits des détenteurs de COV et des titulaires de brevets qui se pose du fait de l’émergence des biotechnologies modernes. Vous satisfaites-vous de l’avis de la Commission européenne affirmant qu’admettre la brevetabilité des produits issus des procédés essentiellement biologiques va à l’encontre de la volonté du législateur européen ? Pourquoi ?

B. V. – Nous sommes évidemment très heureux avec cet avis. Une question importante est maintenant de savoir comment va réagir l’OEB et quelle sera l’interprétation et l’application concrètes de l’avis. Bart Swinkels (spécialiste des brevets de NLO – un bureau de conseil européen spécialisé dans les droits de propriété intellectuelle) affirme que l’avis de la Commission européenne ne changera rien car il n’est pas juridiquement contraignant. Cela me semble toutefois invraisemblable. L’OEB souffre déjà d’un grand problème d’image, et cela ne ferait que s’aggraver s’il ignorait les positions du Parlement européen et de la Commission européenne.

Comment voyez-vous l’avenir de la sélection variétale et du COV ? Comment voyez-vous les fusions/acquisitions dans le secteur semencier en ce moment ? Est-ce une réelle menace pour vous à court ou moyen terme ? 

B. V. – Je suis certainement positif quant à l’avenir de notre entreprise et des autres petites entreprises semencières si le système du COV reste en vigueur et que les brevets sont davantage encadrés. Que les grandes multinationales deviennent encore plus grandes et puissantes du fait de fusions ou acquisitions est devenu un problème majeur de société, cela ne met pas vraiment notre entreprise en difficulté. Nous sommes entièrement spécialisés dans les semences biologiques, un marché auquel ne s’intéressent pas vraiment les multinationales. Le développement de nouvelles variétés est également devenu une importante spécialité de notre entreprise. Nous travaillons désormais avec quatre sélectionneurs plein-temps avec un intérêt particulier dans les tomates, les courgettes et les citrouilles. En coopérant avec un certain nombre d’autres petites entreprises, et entreprises de sélection variétale indépendantes, nous pouvons offrir un assortiment de semences potagères biologiques bien plus grand.

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