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La recherche sur les OGM entachée de conflit d’intérêt

Par Christophe NOISETTE

Publié le 19/12/2016

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Ce n’est pas une association ou un syndicat, opposés aux OGM, qui le disent : une étude réalisée par des chercheurs de l’Institut public de recherche agronomique (Inra) conclut que « 40% des publications étudiées présentent un conflit d’intérêt financier ». Les chercheurs de l’institut se sont intéressés aux études « scientifiques » qui traitent de l’efficacité ou de la durabilité des plantes transgéniques Bt, génétiquement modifiées pour produire un insecticide.

Ont été analysés en détail 672 articles publiés entre 1991 et 2015 dans des journaux scientifiques à comité de lecture [1]. Ces études sélectionnées portaient « sur l’efficacité ou la durabilité – c’est-à-dire le maintien de cette efficacité dans le temps – des plantes OGM Bt [qui] produisent des protéines toxiques contre des insectes qui les infestent » et plus spécifiquement les maïs MON810 et MON1076 de Monsanto, Bt11 de Syngenta et 59122 de Dow AgroSciences et DuPont Pioneer. Les chercheurs ont voulu savoir dans quelle mesure ces entreprises ont influencé la littérature scientifique.

L’article publié dans la revue PlosOne [2], le 16 décembre 2016, est précis, clair et sans appel : « 40% des publications présentent un conflit d’intérêt financier car les études présentées dans ces publications ont été menées ou financées, entièrement ou en partie, par les industries de biotechnologies qui développent et vendent ces plantes ». Ce résultat est intermédiaire entre ceux rapportés dans deux autres études : celle réalisée par Sanchez (25,8%) [3] et celle réalisée par Diels (47%) [4].

Par conflit d’intérêt, les chercheurs entendent « un ensemble de circonstances qui créent un risque que le jugement professionnel ou les actions concernant un intérêt principal soient indûment influencés par un intérêt secondaire «  [5]. Concrètement, cela implique des auteurs affiliés à une entreprise commercialisant des plantes génétiquement modifiées (PGM) ou des études financées en partie par de telles entreprises.

Des chercheurs sous influence ?

Tout d’abord, et sans réelle surprise, les auteurs de l’article montrent que dans « les publications présentant un conflit d’intérêt, les conclusions sont plus fréquemment favorables aux intérêts des industries semencières (+50%) que pour celles sans conflit d’intérêt ». Ce résultat – corrélation entre un conflit d’intérêt et une conclusion favorable à l’objet étudié – avait déjà été mis en avant par l’étude de Diels & al.

Ils montrent aussi qu’en fonction de la présence ou non d’un conflit d’intérêt, l’étude s’intéresse plus à l’efficacité des PGM qu’à sa durabilité. Ils écrivent en effet : « Les études ayant un COI [= conflit d’intérêt] ont étudié l’efficacité 70% plus fréquemment que les études sans COI. En outre, les résultats étaient 104% plus susceptibles d’être favorables pour les articles axés sur l’efficacité que pour ceux qui explorent la durabilité ».

Plus original, les chercheurs ont réussi à déterminer que « cette tendance générale se vérifie à l’échelle du chercheur : les conclusions des publications d’un même chercheur sur un même sujet sont en moyenne plus souvent favorables aux intérêts des industries de biotechnologies pour les publications présentant un conflit d’intérêt ».

Les analyses menées ne permettent cependant pas de déterminer si les conflits d’intérêt financiers sont la cause de la plus grande fréquence de conclusions favorables aux intérêts des industries de biotechnologies. « Même si l’effet causal des conflits d’intérêt sur les conclusions des publications scientifiques a été démontré dans d’autres domaines (tabac, énergie, pharmacologie), il ne peut être exclu qu’un autre facteur non connu soit la cause à la fois des conflits d’intérêt et des conclusions plus souvent favorables des publications concernant les plantes transgéniques » relate ainsi le communiqué de presse de l’Inra [6].

Taxer les entreprises pour une recherche indépendante

Les auteurs considèrent que leur étude a plusieurs limites. Premièrement, ils n’ont pris en compte que des études qui traitent de l’efficacité ou la durabilité des OGM Bt. Sanchez et Diels, eux, se sont concentrés sur des études sur les impacts sur la santé et ont trouvé comme dit précédemment des résultats analogues. Deuxièmement, ils ont utilisé comme détermination des affiliations des auteurs seulement l’adresse électronique desdits auteurs. Or, notent-ils, « les auteurs peuvent avoir des affiliations d’autres types, être membres de conseils consultatifs, consultants, ou co-détenteurs de brevets, ce qui pourrait également avoir un impact significatif sur les résultats des études sur les OGM ». Troisièmement, ils n’ont tenu compte « que des liens entre les auteurs et les entreprises qui commercialisent des OGM. D’autres parties prenantes (par exemple, Greenpeace, The Non-GMO Project, The Organic Consumers Association, The Network of European GMO-free Regions) (…) sont ouvertement contre l’utilisation des cultures génétiquement modifiées. On pourrait donc s’attendre à une relation inverse entre les résultats des études sur les cultures génétiquement modifiées et la présence de COI relatives à ces parties prenantes. Nous n’avons pas pu tester cette hypothèse parce que nous n’avons pas identifié d’intérêts financiers ». Enfin, quatrième limite identifiée par les auteurs, « cette étude a porté exclusivement sur les COI financiers. Les COI non financiers, également connues sous le nom de COI intrinsèques ou intellectuelles – pour des raisons personnelles, politiques, académiques, idéologiques ou religieuses – pourraient également avoir un impact significatif sur les résultats des études de recherche ».

Autre résultat de cette étude : un manque de transparence notoire. Les auteurs soulignent que « seuls 7% environ (…) des articles [soit 46] contenaient une déclaration de COI, mais environ un cinquième (…) des 672 [soit 141] articles avait au moins un auteur d’une entreprise de culture GM ».

Les chercheurs proposent « de mettre en place un fonds de recherche qui, tout en étant financièrement abondé par les industries concernées, en serait indépendant lors du choix des études à financer ». Ce fonds permettrait alors peut-être d’éviter autant de conflit d’intérêt et donc de redorer le blason passablement terni de la science…

[1Les auteurs avaient sélectionnés 1227 études mais en ont exclues de nombreuses pour diverses raisons.

[2Guillemaud T., Lombaert E., Bourguet D. (2016), « Conflicts of Interest in GM Bt Crop Efficacy and Durability Studies », PLoS ONE 11(12) : e0167777. doi:10.1371/journal.pone.0167777

[3Sanchez MA. Conflict of interests and evidence base for GM crops food/feed safety research. Nat Biotech. 2015 ; 33 : 135–137.

[4Diels J, Cunha M, Manaia C, Sabugosa-Madeira B, Silva M. Association of financial or professional conflict of interest to research outcomes on health risks or nutritional assessment studies of genetically modified products. Food Policy. 2011 ; 36 : 197–203

[5Field M.J., Lo B., « Conflict of interest in medical research, education, and practice », National Academies Press, 2009

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