n°141 - septembre / octobre 2016

Biodiversité et droit : des avancées à approfondir

Par Pauline VERRIERE

Publié le 06/09/2016

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Le droit pour la protection de la biodiversité s’étoffe depuis quelques dizaines d’années, mais il est souvent remis en cause par des intérêts commerciaux. S’il existe quelques outils à disposition des citoyens pour lutter contre ces atteintes, le droit international reste relativement difficile à mettre en œuvre et contribue à favoriser un modèle économique dominant sans le remettre en cause fondamentalement. C’est pourtant ce modèle qui est principalement responsable des atteintes à la biodiversité.

La prise en compte de la biodiversité par le droit, comme objet à protéger, est apparue dans la seconde moitié du XXe siècle, pour tenter de répondre aux atteintes toujours plus importantes et plus visibles qui lui sont portées.

Si le droit de l’environnement se préoccupe de la biodiversité sous l’angle de sa protection, d’autres textes, dont ce n’est pas l’objectif principal, peuvent néanmoins avoir un impact très important. C’est par exemple le cas du droit de la propriété intellectuelle qui intervient directement sur les questions de biodiversité cultivée [1].

Cette prise en compte par le droit a commencé de manière sectorielle en protégeant un milieu ou une espèce en particulier, compte tenu de sa fragilité et de son importance intrinsèque [2]. Mais plus récemment, l’approche sectorielle a laissé place à une approche globale de la protection du vivant sous toutes ses formes, entérinant le concept même de biodiversité avec l’adoption, en 1992, de la Convention sur la diversité biologique (CDB). Une convention qui a donné naissance à plusieurs protocoles en relation avec les biotechnologies. C’est le cas notamment du Protocole de Cartagena qui applique aux OGM le principe de précaution énoncé par la CDB et permet aux États de règlementer les mouvements transfrontières de ces organismes. Des organisations de la société civile, notamment françaises, s’appuient sur ce texte pour justifier d’inclure l’ensemble des nouvelles techniques de modifications du vivant dans la définition d’OGM. 

Ces dernières années, le droit de l’environnement s’est considérablement étoffé. Il existe différents outils pour permettre aux organisations de la société civile de le faire respecter.

Avoir accès à l’information

L’information fait partie des prémices essentielles à toute action. Son accès a pris une place importante au niveau français et régional mais il est souvent remis en cause par le « secret des affaires ».

Adoptée en 1998, la Convention d’Aarhus regroupe aujourd’hui 47 Parties, dont l’Union européenne et l’ensemble de ses États membres. Le texte formalise les conditions d’informations et de participation du public aux décisions qui portent sur l’environnement. Son objectif : garantir l’accès à l’information et la participation du public « pour contribuer à protéger le droit de chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être ». La convention facilite cet accès à la fois sur le fond mais également sur la forme (par exemple, il n’est pas nécessaire de justifier d’un intérêt particulier…).

Elle précise cependant des exceptions à ce principe d’accès à l’information : secrets commercial et industriel peuvent par exemple justifier un refus de communication.

Ces restrictions ont été renforcées récemment. Le Parlement européen a en effet voté, le 14 avril 2016, une directive pour étendre la protection du « secret des affaires » et faciliter le recours des entreprises contre la divulgation abusive de données qui en relèvent. Une définition trop large de ce concept fait craindre une restriction de la liberté d’expression pour les journalistes, lanceurs d’alerte et citoyens, sans parvenir à leur assurer une véritable protection.

Le secret industriel est en effet souvent invoqué dans des domaines comme ceux de la propriété intellectuelle et des biotechnologies, au détriment du principe de transparence.

Avant que ce texte n’entre en vigueur pour faciliter les recours judiciaires, certaines entreprises utilisaient déjà ce recours par le biais de « poursuites baillons » : elles multiplient les actions judiciaires pour éteindre et dissuader les voix critiques qui disposent rarement des mêmes moyens pour y faire face…

Participer à l’élaboration du droit

La Convention d’Aarhus envisage également la participation des citoyens au processus décisionnel. Le texte préconise la consultation du public suffisamment en amont de la prise de décision pour permettre une prise en compte effective. Lorsque l’avis du public n’est pas suivi par la décision finale, l’autorité publique doit justifier sa prise de position. De fait, la France a intégré cette consultation sur de nombreux sujets (par exemple sur les OGM). Un projet d’ordonnance est actuellement en cours de discussion pour compléter cette participation à d’autres sujets touchant au domaine de l’environnement [3].

De façon plus générale, les structures de la société civile participent à l’élaboration du droit à travers leurs actions de plaidoyer [4].

Faire respecter le droit ?

Si le droit est en place mais qu’il n’est pas respecté, il est possible de saisir les tribunaux. Ce que s’emploient à faire certaines associations dont c’est l’objet, en cas d’atteinte à l’environnement. C’est le cas de France Nature Environnement. Destructions d’espèces protégées, dépôts d’ordure, pollutions générées par des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), sports motorisés en pleine nature (eh oui, il est interdit de faire du quad en dehors des voies publiques, a fortiori dans le lit d’une rivière) sont autant d’atteintes à la biodiversité que le réseau juridique de cette association entend ne pas laisser impunies.

Lorsqu’ils sont saisis, les juges français doivent ainsi veiller à l’application du droit français et du droit européen.

Pour le droit international, les choses sont plus compliquées. Ce droit résulte de la volonté des États qui décident souverainement d’y adhérer ou non. En matière de droit de l’environnement, les textes sont souvent généraux. Ils posent de grands principes, « invitent » les États à de meilleures pratiques mais comportent rarement des obligations clairement énoncées. Au niveau national, s’il est possible de rappeler les engagements internationaux d’un État, en l’absence de transposition dans le droit national, il est peu aisé de le faire respecter directement.

D’État à État, c’est au travers du jeu politique que ces engagements peuvent se faire respecter.

Les textes internationaux sont parfois assortis de secrétariat chargé de leur suivi, et plus rarement d’organe de règlement des conflits (c’est le cas de l’OMC). Il n’existe pas pour les crimes contre la biodiversité de Cour internationale, à l’instar de la Cour pénale internationale. Certaines associations, comme End of Ecocide, militent pour la reconnaissance d’un crime d’écocide, à l’échelle internationale.

Le droit international en matière de protection de la biodiversité, s’il a le mérite d’exister, reste souvent empreint de bonnes intentions sans réellement contraindre les États. Il a également tendance à être un outil au service d’un paradigme dominant sans le remettre en cause alors qu’il est bien souvent à l’origine même de ces atteintes à l’environnement.

Une tendance qui se dessine actuellement en matière de protection de la biodiversité est d’aller vers des mécanismes de compensation (« éviter, réduire, compenser », concept réaffirmé récemment en France). Une entreprise va détruire un écosystème pour s’y implanter, construire des logements, une route ? Pas de souci, elle pourra contribuer financièrement à restaurer ou protéger un autre écosystème. Un mécanisme vertement critiqué par les associations. Ce mécanisme instaure, selon elles, un droit à détruire et donne un prix à la nature en le faisant entrer dans une logique de marché. Il banalise la biodiversité en laissant entendre qu’il existe des équivalences. Mais surtout, constatent ces associations, il ne marche pas et provoque une perte de biodiversité certaine alors que les « gains » futurs pour la biodiversité sont souvent tardifs lorsqu’ils ne sont pas inexistants. Les compensations partielles, ou non réalisées, sont rarement pénalisées et lorsque les compensations existent, elles instaurent une double peine : elles privent dans un pays les habitants locaux de l’accès à l’écosystème détruit, et interdisent dans un autre pays, l’accès à la population locale, au nom d’une protection absolue.

On est donc bien loin de l’objectif initial de protection de la biodiversité. Il est pourtant vital pour l’être humain de trouver une façon de vivre en harmonie avec l’environnement sous peine d’hypothéquer sa survie en tant qu’espèce…

[1voir , « La biodiversité menacée par les droits de propriété », Inf’OGM, 6 septembre 2016

[2Quelques exemples : Convention Ramsar sur les zones humides (1971), Convention de Bonn sur les espèces migratrices (1979)…

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