n°141 - septembre / octobre 2016

Comment enrayer l’érosion de la biodiversité cultivée ?

Par Pierre Rivière

Publié le 21/10/2016

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Deux grandes approches existent pour lutter contre l’érosion de la biodiversité cultivée : la gestion ex situ, c’est-à-dire en dehors des sites de culture et la gestion in situ, c’est-à-dire dans les champs des paysans et dans les jardins. Ces deux approches se fondent sur des visions du vivant très différentes. La gouvernance de tels systèmes est essentielle pour qu’ils soient complémentaires.

La gestion ex-situ consiste à conserver dans des chambres froides ou des congélateurs des graines de variétés sélectionnées initialement par les paysans qui les cultivaient dans leurs champs et les ancêtres sauvages de ces variétés.

La gestion ex-situ : une gestion statique du vivant

La gestion ex-situ est une gestion statique qui vise à conserver les variétés à l’identique, en les coupant des environnements de culture, ce qui conduit à ce que les généticiens appellent un « gel évolutif ». En France, on trouve de telles chambres froides dans des centres de ressources biologiques, comme celui de Clermont-Ferrand qui conserve plus de 10 000 types de semences de céréales. La biodiversité y est cataloguée, rangée, stockée, et devient une « ressource » génétique gérée par des chercheurs à destination principalement des sélectionneurs qui développeront de nouvelles variétés. Ce mode de conservation a été mis en place à partir des années 1960 pour tenter de répondre à une perte sans précédent de la biodiversité cultivée : au niveau mondial, 75% des variétés ont été perdues selon les Nations unies. Cette perte est la conséquence de l’industrialisation de l’agriculture et du système semencier qui l’a accompagnée : effondrement du nombre de paysans, incitations à l’adoption des variétés élites très homogènes, règles de commercialisation très strictes et propriété intellectuelle sur le vivant [1].

La gestion in-situ : laisser évoluer la biodiversité cultivée

La gestion in-situ consiste à gérer de manière dynamique, dans les champs, la diversité. L’idée n’est pas de fixer la biodiversité mais de la laisser évoluer en réponse à son environnement et aux pratiques des paysans et jardiniers qui la cultivent, et de répondre aux goûts des consommateurs qui en achètent les produits finaux. Cette forme de gestion dynamique, également appelée « à la ferme » (on-farm) est reconnue comme importante dans les textes internationaux. Cultiver des variétés dans les champs c’est aussi participer à la conservation et au renouvellement de la biodiversité cultivée. Ce mode de gestion existe depuis la naissance de l’agriculture : les paysans sèment, récoltent, mélangent, sélectionnent, croisent, échangent leurs semences. En effet, chaque paysan a des pratiques différentes qui accompagnent la diversité dans de multiples directions. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, cette gestion n’est plus pratiquée que par une très petite minorité de paysans en France. A tel point que le Bureau des ressources génétiques, qui s’occupait de la biodiversité cultivée jusque dans les années 2000, ne reconnaissait pas la gestion in situ comme un mode de conservation de la biodiversité significatif pour le contexte français.

Ces deux approches complémentaires, l’une fixiste (ex-situ) dans des chambres froides gérées par techniciens au service des sélectionneurs et des chercheurs, et l’autre à la ferme (in-situ), dynamique dans les champs des paysans, nous offrent deux visions du vivant très contrastées.

Les paysans cultivent et sélectionnent la biodiversité

La gestion dynamique, à la ferme, crée une nouvelle biodiversité : on ne peut plus parler strictement de « conservation » mais de « renouvellement ». Les paysans sélectionnaient à la ferme avant la professionnalisation de la sélection. L’avantage de la sélection à la ferme, c’est que les variétés sont adaptées aux environnements particuliers dans lesquels elles sont sélectionnées. Actuellement des programmes de sélection participative se développent timidement mais avec des succès tout à fait notoires : la sélection paysanne peut se faire en collaboration avec la recherche. Ces nouvelles variétés-populations paysannes sont issues d’un travail de sélection à la ferme à partir de variétés hétérogènes ou de mélanges de différentes variétés anciennement cultivées. Ces variétés-populations ont une large diversité génétique interne qui leur permet d’évoluer et de s’adapter à la diversité des climats et des pratiques paysannes sans avoir recours aux intrants chimiques. En plus de ces caractéristiques agronomiques, elles offrent une palette gustative et nutritionnelle très riche. Dans cette approche, la sélection et la gestion de la biodiversité ne font qu’un. Chaque paysan va sélectionner « ses » variétés adaptées à ses besoins. Cette sélection permet d’explorer une diversité qui tendait à disparaître : la sélection est diversifiante.

Une gestion en réseau

Au-delà des aspects que nous venons d’évoquer, la question de la gouvernance est centrale. Qui gouverne cette gestion de la biodiversité ? Et pour quel modèle de société ? La gestion ex-situ a accompagné l’industrialisation de l’agriculture. Gérée par les institutions, elle vise avant tout à conserver des gènes pour répondre aux besoins des sélectionneurs de l’industrie. Certaines parties de ces collections sont accessibles à tous (système multilatéral d’échanges) quand d’autres sont réservées aux acteurs privés. La gestion à la ferme est directement pratiquée et gérée par les paysans. Pour être plus efficace, cette gestion peut se faire en collectifs, regroupés en réseau.

Le Réseau Semences Paysannes (RSP) travaille depuis sa création en 2003 au développement de ces pratiques de gestion à la ferme ainsi qu’à la reconnaissance des droits des paysans sur leurs semences. Un décret récent reconnaît pour la première fois la gestion dynamique comme mode de conservation de la biodiversité. Cette reconnaissance est une bonne chose. Mais il est nécessaire d’aller plus loin. La souveraineté alimentaire dépend en effet de la gestion et de l’accès à ces semences. Celles-ci doivent être gérées par les collectifs de paysans et de jardiniers qui les font vivre et qui nourrissent les peuples. Il est primordial de faire reconnaître des droits liés à la gestion et l’enrichissement de ce « commun » et de protéger les paysans des risques de spoliation, notamment de biopiraterie. Car pendant que les gouvernements refusent d’interdire le brevet sur les « traits natifs » [2] les multinationales continuent de déposer des centaines de brevets sur les gènes des plantes en contournant avec profit le droit actuel.

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