n°140 - juillet / août 2016Fiche technique / Etat des lieux

La papaye transgénique à la conquête du monde

Par Claire CHAUVET, Frédéric GUERIN

Publié le 20/06/2016

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La papaye est l’un des premiers fruits génétiquement modifiés à avoir été autorisé à la commercialisation. Développée dans l’état de Hawaii (États-Unis) pour résister à un virus, elle a été cultivée dès 1998 et représente aujourd’hui plus de 90% de la production de l’archipel. Entre expansion et contamination, où en est-on une vingtaine d’années plus tard ?

Originaire d’Amérique centrale, le papayer, Carica papaya, est aujourd’hui cultivé dans toutes les régions tropicales du monde. L’accroissement récent de sa culture commerciale en monoculture intensive a favorisé le développement des ravageurs et maladies. Trois variétés couvrent la quasi-totalité de la production commerciale : Maradol en Amérique latine, Tainung en Asie, et Solo la plus cultivée dans toutes les régions du monde. Cet appauvrissement variétal, couplé à de mauvaises pratiques culturales (mécanisation et utilisation d’intrants chimiques) a favorisé les agressions parasitaires, maladies fongiques et virus. Le virus des taches en anneaux, plus communément appelé de son nom anglais, le Papaya Ringspot Virus (PRSV) est un des plus virulents. La voie biotechnologique qui a été promue à la fin des années 90 semble vouée à l’échec dans la mesure où elle permet le maintien d’une agriculture intensive responsable de la prolifération de ce virus. Les papayes GM ne sont résistantes qu’à une souche du virus, plus vulnérables aux maladies fongiques que les papayes non-OGM, moins résistantes au transport.

Création de la papaye transgénique à Hawaii

En 1989, l’université d’Hawaii, en collaboration avec l’université Cornell, modifie par transgénèse la variété Solo et crée les variétés GM résistantes au Ringspot Virus : SunUp, Rainbow et Laie Gold. La papaye GM est adoptée en un temps record. Les premiers essais sont réalisés en avril 1992. Par ailleurs, un mois après, le virus du PRSV est détecté pour la première fois dans le district de Puna sur l’île principale Big Island. La production commerciale démarre vraiment en 1998.

Débute alors une campagne agressive de distribution des semences (prêtes avant même les autorisations accordées), à grand renfort de propagande principalement auprès des petits producteurs. Distribuées gratuitement la première année (les planteurs hawaiiens n’ayant pas l’habitude d’acheter des semences), elles sont désormais vendues.

Les papayes GM représentent aujourd’hui près de 90% des papayes cultivées dans l’archipel. La papaye hawaiienne ne représente que 0,1% de la production mondiale… mais Hawaii est aujourd’hui la place forte de l’industrie des biotechnologies.

Depuis l’arrivée de la papaye GM, les surfaces et la production de ce fruit à Hawaii ont fortement diminué alors qu’elles augmentaient au niveau mondial (en 2010, la production était de 35% plus importante qu’en 2002). Problème de débouché ou technique ? On notera en effet une chute des exportations vers le Japon avec l’arrivée de la version transgénique, et une hausse vers le Canada… Le Japon a préféré les papayes des Philippines et l’autorisation en 2011 n’a pas modifié la donne.

Des essais dans 22 pays

Surfant sur la vague d’une prétendue « success story », la papaye GM s’exporte, promue par l’équipe du Dr Gonsalves, l’un de ses créateurs. Pourtant, le PRSV a une très grande diversité génétique en fonction de sa localisation géographique. De nombreuses recherches sont donc menées dans une vingtaine de pays, principalement portées par trois groupes – l’équipe de recherche de Hawaii, l’ISAAA et le Centre Australien pour la Recherche Agricole Internationale (ACIAR) – afin de tester la résistance des variétés hawaiiennes aux souches virales de ces pays ou de développer d’autres variétés en utilisant les souches locales du virus.

Asie, Afrique, Amérique latine, Caraïbes, Pacifique, aucune zone tropicale n’y échappe. En 2006, l’Université Agricole de Canton en Chine, elle, développe trois variétés transgéniques, dont la Huanong N°1. Résistante elle aussi au PRSV, elle est cultivée aujourd’hui dans trois provinces chinoises. Une étude menée en 2012 auprès de 223 planteurs rapporte que 72% d’entre eux ignorent que leurs papayers sont transgéniques et qu’environ 50% ne réduisent pas les épandages de pesticides pour lutter contre le PRSV. Les vendeurs préfèrent en effet omettre de préciser la nature de les plants… Les chinois, comme les européennes, restent très largement hostiles aux OGM.

Difficile de savoir où en sont les recherches. Elles ont été abandonnées au Mexique où les producteurs s’estiment satisfaits des méthodes de lutte classique. La Jamaïque, Cuba ou le Brésil, eux, poursuivent dans cette voie. Des plantations et des essais en plein champ ont été détruits par des opposants notamment au Venezuela et en Thaïlande.

En marche vers la contamination

Cette foison d’expérimentations a ainsi abouti à d’importantes contaminations aux quatre coins du globe. Une enquête menée par l’ONG GMO Free en 2004 révélait un taux de contamination des parcelles non-GM d’Hawaii de 50%, et de 1% des semences non-GM vendues par l’université d’Hawaii. La contamination s’est répandue dans l’archipel par le pollen (beaucoup de variétés hybrides sont des hermaphrodites qui s’autofécondent mais la majorité des variétés traditionnelles sont dioïques, les fleurs mâles et femelles sont sur des pieds différents) ; et par les graines (quoi de plus naturel que de semer les graines du fruit consommé ?).

En Thaïlande, la papaye GM n’a jamais été officiellement autorisée à la culture mais a fait l’objet d’essais en champ de 1999 à 2004. En 2004, Greenpeace révélait que près de 4% des papayes prélevées dans des champs commerciaux (8912 échantillons) étaient transgéniques. Un échec (malheureusement difficilement réversible) qui a sonné la fin des essais de papayes GM en Thaïlande, mais aussi l’adoption d’un moratoire national sur les cultures transgéniques.

Plus récemment, le ministère de l’Agriculture de Hong-Kong a mené une étude de 2011 à 2015 : 60% des papayes importées sont transgéniques, en provenance de Hawaii, de Chine, mais aussi de Thaïlande, Malaisie, et Fidji, où leur production n’est pourtant pas autorisée. L’étude va plus loin : sur les 1400 pieds de papayers testés dans l’archipel, 54% étaient contaminés alors que les semences GM ne sont pas disponibles localement… ce qui confirme un mode de propagation par graines à partir des fruits importés et vendus sur les marchés. L’étude conclut qu’il est impossible de maintenir l’interdiction de culture des variétés GM vu l’étendue de la contamination.

Ces papayes GM se retrouvent aussi dans l’alimentation des européens, bien que cette plante transgénique ne soit pas autorisée : une trentaine d’analyses et de saisies de papayes GM ont été signalées depuis 2012, en provenance de Thaïlande, de Hawaii et d’Inde. La papaye peut être importée sous d’autres formes : jus concentré, conserve, fruits séchés.

Bio ou OGM : il faut choisir !

Le principal problème réside dans les failles réglementaires des États exportateurs. La plupart des agences de coopération internationale, telles que la FAO, l’USAID, ou le CIRAD, encouragent l’utilisation de variétés de papayes Solo dont on ne sait si elles sont OGM ou pas… bien souvent dans des pays où il n’y a pas de réglementation des OGM. Depuis 2008, l’ACIAR soutient les îles du Pacifique dans le développement de leur filière papaye pour l’exportation, avec par exemple le « Fiji Papaya Project ». Le rapport du 3e Symposium International de la Papaye de 2011 décrit les perspectives : Fidji doit se tourner vers la papaye biologique, mais précise « il est possible que des semences GM soient importées (de Hawaii) »… Le projet reçoit un accompagnement technique du Dr. Manshardt, l’un des créateurs de la papaye GM. À ce jour, l’Université d’Hawaii est toujours agréée comme fournisseur de semences de papayes par les autorités fidjiennes. Au moment où la Communauté du Pacifique encourage le développement de l’agriculture biologique certifiée, les États jouent gros. C’est tout le mouvement bio régional naissant qui serait touché si des papayes « bioGM » étaient détectées.

Qu’en est-il des Pays et Territoires d’Outre-mer (PTOM) européens qui pour beaucoup sont situés en zone tropicale, où les papayers poussent dans presque tous les jardins ? En effet, si la commercialisation de la papaye GM est interdite en Europe, sa culture l’est aussi. Pour La Réunion, Mayotte, les Antilles et la Guyane, la situation est floue… En Polynésie, Wallis et Futuna, et en Nouvelle-Calédonie, la situation est des plus sérieuse, les semences de papayes d’Hawaii « non OGM » sont encore importées et même encouragées par les institutions. Les PTOM, d’une façon générale, sont vulnérables, la réglementation européenne ne s’appliquant pas. Notons pour finir qu’il est très facile de commander sur Internet des semences de papayes GM d’Hawaii.

Beaucoup de papayers sont encore indemnes de contamination, mais pendant combien de temps encore ? Le « fruit des anges » deviendra-t-il l’enfer transgénique des paradis tropicaux ?

Repères

La papaye est une herbe géante semi-ligneuse qui aime les sols de types forestiers, riches en matière organique, aérés et bien drainés. Ses fruits sont consommés crus ou cuits, verts ou mûrs. Les racines, feuilles, écorce et graines sont utilisées dans de nombreuses pharmacopées traditionnelles, et la papaïne, enzyme contenue dans le latex, dans l’industrie alimentaire et cosmétique.

4e fruit tropical commercialisé dans le monde avec 10 millions de tonnes produites annuellement.

Principaux pays producteurs : Inde, Brésil, Indonésie et Nigeria

Principaux pays exportateurs : Mexique, Guatemala, Brésil et Belize

Principaux pays importateurs : États-Unis, Union européenne, Singapour, Canada, Chine

Pays où la papaye GM est cultivée :

- États-Unis : environ 450 ha en 2013 soit 56% de la sole nationale,

- Chine (Provinces de Guangdong, Hainan et Guangxi) : 6275 ha en 2012 soit 60% de la sole nationale

Pays où elle peut être importée : Canada (2003), États-Unis (1997) et Japon (2011)

Pays où elle a été testée en champs : Bangladesh, Belize, Brésil, Chine, Cuba, États-Unis (Hawaii et Floride) Guatemala, Inde, Indonésie, Jamaïque, Japon, Kenya, Malaisie, Mexique, Ouganda, Pérou, Philippines, Taïwan, Tanzanie, Thaïlande, Venezuela, Viêt Nam

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