n°140 - juillet / août 2016

Biotechnologies : non, tout n’est pas permis !

Par Christophe NOISETTE

Publié le 22/08/2016

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Si Inf’OGM croise différents regards sur le dossier des OGM, nous constatons néanmoins dans ces débats une prépondérance du « scientifique » qui court-circuite la réflexion éthique. Analyse.

Au nom de la complexité du sujet, aux confins de plusieurs disciplines techno-scientifiques, le gouvernement, les médias et le grand public considèrent, pour des raisons différentes, que seuls les experts sont en mesure de se prononcer. Les élus, eux-mêmes, reconnaissent fonder leur décision sur la science, qui n’est pas unanime et qui se laisse facilement instrumentaliser. Par exemple, les experts scientifiques – notamment réunis au sein du Comité scientifique du Haut Conseil sur les Biotechnologies (HCB) – sont sollicités pour éclairer les prises de décisions politiques sur les nouveaux OGM. Mais c’est mettre la charrue avant les bœufs. Les experts peuvent être utiles pour accompagner une innovation mais, en amont, la science n’est pas l’outil utile à la décision politique. Nous avons besoin, en amont, d’une réflexion éthique sur ces techniques et leurs fruits. Or, l’éthique n’est pas une compétence, ni la somme de l’ensemble des compétences. Elle est une interrogation perpétuelle et dynamique du contexte dans lequel les actions ont lieu. L’évaluation éthique diffère de l’évaluation technique, elle doit la précéder et ne peut être accaparée par quelque spécialiste que ce soit. Ce qui nous intéresse n’est pas tant de savoir si les Crispr/Cas9 peuvent ou non soigner les maladies génétiques (ce qui semble un objectif louable) mais pourquoi ces techniques méritent d’être questionnées indépendamment de leur finalité.

Concrètement, « l’amélioration végétale », expression consacrée dans le domaine agricole pour évoquer la sélection variétale et les modifications génétiques des plantes, est un mot qui comporte un jugement de valeur qu’on ne peut pas discuter car il est implicite. L’idée sous-jacente est que ce qui est « nouveau » va nécessairement vers le « mieux » et doit donc être adopté. Pourtant ceci ne va nullement de soi et constitue l’un des a priori culturels de la modernité. L’évaluation éthique consiste justement à interroger le cadre sous-jacent qui justifie a priori nos jugements de valeur. Malheureusement, les comités d’évaluation se concentrent sur la gestion du comment et des impacts et oublient le contexte dans lequel ces technologies émergent…

Poser les bonnes questions en amont

Une partie du travail des sélectionneurs publics ou privés a été depuis plusieurs décennies d’augmenter la capacité d’une plante à utiliser les apports d’engrais azotés de synthèse. Les experts sont donc invités à se prononcer sur les risques sanitaires, l’efficacité des molécules, etc. alors qu’en amont, l’éthique aurait voulu qu’on aborde la pertinence de cet outil (les engrais de synthèse) : faut-il utiliser l’énergie fossile – ressource limitée dont l’utilisation engendre diverses pollutions – pour produire, transporter, appliquer des engrais de synthèse ?

Des variétés rendues tolérantes à un herbicide sont-elles « meilleures » si elles sont issues de la mutagénèse dirigée par oligonucléotide ou de la transgenèse ? Avec ou sans apport de gène étranger ? Ces deux questions n’ont de sens que si le contexte d’utilisation à outrance d’énergie fossile et d’herbicides n’est pas remis en question.

Ainsi, ces « améliorations » n’ont donc de sens que dans une vision utilitariste et réductionniste dont l’agriculture intensive est une des facettes. Pour le condamné, la guillotine est une «  amélioration  » par rapport à la hache, dans une culture où la peine de mort est validée. Si le contexte culturel change, la validation éthique de l’outil change. Or, le contexte dans lequel est né l’agriculture intensive est celui de la volonté de maîtriser la Nature pensée comme extérieure à l’être humain et comme possédant une résilience infinie (elle s’adaptera quelles que soient les actions humaines). Derrière les herbicides se joue un des désirs les plus enfouis de l’humanité, celui d’éradiquer les « nuisibles » et les « ravageurs ».

Les nouvelles techniques prétendent donc adapter le réel aux désirs de l’être humain, qu’ils soient futiles (modifier la couleur d’un œillet – une plante transgénique qui peut être légalement importée en Europe) ou fortement ancrés dans nos inconscients (la volonté de supprimer la mort et la maladie). Les biotechnologies sont vendues comme pouvant rendre de plus en plus réalisables un certain nombre de ces désirs, sans qu’il soit même possible de les remettre en question.

L’époque où ces désirs se sont forgés, où l’Humanité a construit son rapport au monde, est fondamentalement différente de la nôtre. Passer de l’âge de pierre à la biologie de synthèse implique des changements notoires dans notre rapport au monde. Historiquement, dans un monde qui évoluait lentement, ce qui a marché dans le passé pouvait être validé. Avec le développement fulgurant des techniques, l’expérience longuement acquise avant d’être transmise par la coutume est maintenant obsolète. La temporalité de la techno-science actuelle n’a rien en commun avec la sélection paysanne. Les techniques se succèdent tellement rapidement qu’on n’a plus le temps d’observer quoique ce soit et les plantes ne sont plus en co-évolution avec leur milieu. Les innovations peuvent se disséminer sur l’ensemble de la planète très rapidement, ce qui n’était pas le cas il y a encore un siècle. Enfin, la puissance de frappe des techniques s’est emballée. La différence entre une charrue tirée par un cheval et un tracteur de plusieurs centaines de chevaux n’est pas seulement quantitative mais aussi qualitative. Ce qui était impossible le devient. Il ne s’agit donc plus seulement d’évaluer la pertinence de la finalité d’une technique (lutter contre un virus) mais la technique elle-même. Le fait que les désirs à l’origine de notre « progrès » soient (presque) à notre portée fait que ce progrès n’a plus le même sens.

Aucune technique n’est neutre

Le contexte a changé, sans qu’on ait pris le temps de ré-examiner la faisabilité des désirs et des possibilités. Le progrès et les innovations techniques ne peuvent donc plus être qualifiées de bons a priori. L’usage d’une technique peut être bon ou mauvais : un marteau peut être détourné de son objectif et servir comme arme, mais ce détournement ne modifie pas la validation a priori de cet outil… Ce que nous questionnons ici, c’est la nature de la technique. Prenons encore un exemple : l’usage du canon peut être questionné moralement en tant qu’usage (peut-on tuer un peuple qu’on veut assujettir ?)… mais de fait entre un canon et une bombe atomique, la portée et la puissance n’ont rien en commun. Ces techniques sont de nature différente. Le canon ne menace pas l’humanité dans son intégralité comme le fait la bombe atomique. Ce qui nous préoccupe avec les nouvelles techniques, c’est leur impact en soi et non plus leur usage ou leur finalité… et le fait qu’elles modifient fondamentalement notre rapport au monde en tant qu’espèce.

Les nouvelles techniques de modification génétique s’inscrivent parfaitement dans une vision matérialiste, réductionniste et mécaniste de la Nature. Elles sont le dernier avatar de cette volonté de reprogrammer la Nature pour l’adapter à nos ambitions millénaires : produire plus, sans limite…, et sans s’interroger sur ces limites… Si cette interrogation n’avait pas lieu d’être du temps de la sélection massale, ou du canon, elle devient fondamentale du fait de ce changement de nature de la technique et de son pouvoir sur le monde.

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