n°140 - juillet / août 2016

Quel encadrement juridique dans l’Union européenne ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 22/08/2016

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Les législations – internationale et européenne – définissent un OGM comme étant un organisme dont le génome a été modifié de façon non naturelle. Aussi clair ce cadre soit-il, des rumeurs ont circulé sur la volonté de la Commission européenne d’exclure de la législation OGM certaines des nouvelles techniques.

Faute de consensus scientifique sur le statut OGM ou non OGM des produits issus des nouvelles techniques de modification génétique, la Commission européenne a initié en 2012 un vaste chantier juridique. L’objectif ? Fournir une interprétation juridique de la directive 2001/18 pour savoir si ces produits sont des OGM soumis au champ d’application de la législation, ou non.

Les législations, internationale et européenne, sont claires

Internationale ou européenne, les législations affirment que tout procédé non naturel de manipulation du génome donne des OGM. Ainsi, le Protocole de Cartagène considère qu’est OGM « tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite obtenue par recours à [l’application] de techniques in vitro aux acides nucléiques » par exemple, in vitro signifiant « hors » d’un organisme vivant. Dans l’Union européenne, la directive 2001/18 établit qu’un OGM est un « organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Si elle dresse une liste ouverte des techniques donnant des OGM, elle exclut du champ d’application de la législation deux techniques que sont la mutagénèse et la fusion cellulaire, car elles ont « été traditionnellement utilisées pour diverses applications et [leur] sécurité est avérée depuis longtemps ». À la condition que ces techniques ne soient pas mises en œuvre en utilisant des OGM ou de l’acide nucléique recombinant… Un recul historique auquel aucune de ces techniques récentes ne peut prétendre.

Le statut OGM est donc défini par le procédé utilisé pour modifier un génome, quelles que soient les caractéristiques du produit final. Cette approche reconnaît que, même si les caractéristiques peuvent apparaître naturellement comme dans le cas de mutation, le procédé doit être pris en compte pour évaluer des risques potentiels, respectant ainsi le principe de précaution qui préside sur le dossier OGM dans l’Union européenne (contrairement à l’équivalence en substance qui induirait de ne s’intéresser qu’au produit final).

Aucune déclaration officielle de la Commission européenne…

La Commission européenne, depuis 2012, n’a cessé de repousser la sortie de son analyse et n’a donc encore fourni aucun document ou contenu provisoire de son analyse. C’est indirectement, et donc partiellement, qu’a pu être suivi son travail. Ainsi, la Commission européenne pourrait exclure certaines des nouvelles techniques de la législation européenne sur les OGM en élargissant, par exemple, l’exemption de la mutagenèse à d’autres techniques. Une possibilité entre-aperçue dans une question que la Commission a posée à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (et confirmée publiquement par des membres de la DG Santé) pour savoir si certaines techniques visant à insérer une mutation (mutagénèse dirigée par oligonucléotide, nucléases dirigée sur site – cas 1 et 2 [1]) sont ou non équivalentes à la mutagénèse provoquée avec des produits chimiques ou ionisants appliqués à l’extérieur de la cellule.

Pour la société civile, toutes ces techniques donnent des OGM

En janvier 2015 et en mars 2016, une coalition d’organisations environnementales et agricoles européennes a fait part de sa position à la Commission : toutes les nouvelles techniques listées sur le site de la Commission européenne doivent être considérées comme devant être soumises au champ d’application de la législation sur les OGM. Une décision qui serait respectueuse de la législation elle-même et qui serait le seul moyen d’assurer une évaluation des risques avant commercialisation, un étiquetage obligatoire permettant aux « consommateurs, agriculteurs et obtenteurs » de savoir ce qu’ils achètent et donc d’éviter les OGM. Les organisations rappellent qu’aucun malentendu ne doit exister : ce sont les brevets qui entravent l’innovation, pas la législation sur les OGM [2].

L’industrie et les États-Unis sapent la législation sur les OGM

De son côté, l’industrie pousse pour que ces nouveaux OGM ne soient pas, dans la majorité des cas, soumis à la législation. Pour la « plateforme sur les nouvelles techniques d’amélioration », qui regroupe des entreprises (comme Syngenta ou KeyGene) et des instituts de recherche (comme Rothamsted Research), les nouvelles techniques sont un outil indispensable pour lutter contre la faim et le changement climatique. Les soumettre à la législation serait un désastre pour le secteur de « l’amélioration » végétale et créerait une importante barrière commerciale. L’Association européenne des semenciers (Esa), les céréaliers (Coceral) et les lobbys agricoles industriels (Copa-Cogeca) poussent aussi dans ce sens. L’industrie argumente que seules les propriétés du produit final doivent être prises en compte. Elle promeut une interprétation de la législation basée sur le produit, où un OGM ne serait OGM que s’il est différent d’un produit obtenu par un procédé non encadré par la loi (dont la mutagénèse) et s’il contient la modification génétique. Deux arguments contraires à l’approche européenne qui se base sur le procédé d’obtention tout autant que sur le produit.

D’après trois ONG, fin 2015, la Commission européenne a retardé la parution de son opinion juridique suite à des pressions du gouvernement des États-Unis car il redoute que la législation OGM soit appliquée.

Dans tous les cas, l’industrie reste claire sur un point : elle ne veut pas que ses produits soient encadrés légalement en tant qu’OGM, mais elle revendique la même protection par brevet que pour les OGM.

Que disent les États membres ?


En France, en février 2016, le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) rendait au gouvernement un rapport provisoire de son Comité Scientifique et une liste de contributions des organisations alors membres de son Comité Économique, Éthique et Social (CEES). Huit organisations (Amis de la Terre, CNAFAL, Confédération paysanne, FNAB, FNE, Greenpeace, Réseau Semences paysannes, Union de l’Apiculture française), ont démissionné du CEES, pour dénoncer « un vrai-faux avis scientifique totalement partial ». Et le gouvernement semble considérer ce travail provisoire comme définitif… Cette note pose plusieurs problèmes pour les démissionnaires : elle sous-évalue les effets hors-cibles liés à ces techniques, propose une approche basée sur le produit final sans prendre en compte le procédé, etc. Elle a été rédigée sans réel débat au sein du Comité scientifique et le groupe de travail qui l’a préparée ne représente aucunement la divergence des points de vue. Au contraire, il est composé de six personnes toutes impliquées dans le développement de ces techniques. Au final, ce rapport conclut que toute technique qui permet de produire une plante non distinguable d’une autre plante de même espèce, et qui aurait pu être obtenue par croisement conventionnel ou par sélection de mutants naturels ou induits, ne devrait pas faire l’objet d’une étude systématique calquée sur le modèle des OGM. C’est le cas des techniques de mutagénèse ciblée.

Le HCB propose de ne pas soumettre à la législation sur les OGM les produits issus des techniques dites nucléases dirigées sur site (cas 1 et 2, [3]), la mutagénèse dirigée par oligonucléotides (MDO), la greffe, et la méthylation de l’ADN via ARN s’il n’y pas d’insertion de séquences génétiques. Le cas 3 des « ciseaux à ADN » sera donc considéré comme donnant des OGM. Enfin, la cisgenèse sera considérée ou non comme OGM au cas par cas.

Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède et l’Allemagne ont officiellement annoncé que les plantes issues de la MDO n’auraient pas à être soumises à leur législation sur les OGM. En Allemagne, cette décision est contestée devant un juge.

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