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L’aide internationale, cheval de Troie des OGM en Afrique ?

Par Pauline VERRIERE

Publié le 07/06/2016

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En 2014, l’Union européenne a investi plus de un milliard d’euros, et la France 521 millions, afin de lutter contre la pauvreté en Afrique subsaharienne (programme NASAN). Or, la Commission « Développement » du Parlement européen considère que cette manne financière, loin de bénéficier aux populations locales, profite surtout aux entreprises multinationales en facilitant leur implantation sur ces nouveaux marchés. Le 6 juin, le Parlement européen, en plénière, confirme cette position.

Le 20 avril, la Commission « Développement » du Parlement européen a adopté un rapport [1] sur la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN, voir encadré ci-dessous) dans lequel elle critique vivement ce programme d’aide en Afrique Subsaharienne. Quelques semaines plus tard, c’est au tour du Parlement européen de faire sienne cette position.

L’agriculture paysanne et familiale est la plus à même d’assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire, comme le rappelle la FAO [2]. Elle est pourtant largement négligée depuis plus de 30 ans par les investisseurs. La résolution rappelle que ce modèle agricole et les paysans devraient être au cœur de la NASAN et que les investissements privés dans l’agriculture ne réduisent pas automatiquement la pauvreté ni n’assurent la sécurité alimentaire. Les communautés rurales autochtones (paysans et pêcheurs), en principe cibles de ce programme, ont été largement exclues de la concertation préalable et de sa mise en œuvre.

Semences standardisées et OGM pour lutter contre la faim ?

Dans cette résolution, la Commission « Développement » et le Parlement ont pris plusieurs positions fortes sur la question des semences et des OGM.

Elle souligne l’importance de l’accessibilité des semences pour les paysans (au niveau des prix et des droits de propriété) afin d’assurer la sécurité alimentaire ; et elle souligne aussi le rôle des semences paysannes dans l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Elle déplore donc que les entreprises incitent les institutions régionales à harmoniser les règlementations des pays africains en utilisant les critères de semences industrielles (et notamment les fameuses normes DHS -Distinction, Homogénéité et Stabilité). En effet, l’instauration d’un tel système est un frein à l’échange et au développement des semences traditionnelles, et profite aux semences industrielles [3]. La diffusion des semences certifiées en Afrique augmenterait la dépendance des paysans aux industries semencières et provoquerait une érosion de biodiversité. Des conséquences aux antipodes des objectifs officiellement recherchés par la NASAN.

La résolution conseille enfin fortement aux États membres de l’Union européenne « de ne pas soutenir la culture d’OGM en Afrique », dernier avatar des semences industrielles, protégées par des brevets qui interdisent la reproduction à la ferme. Elle invite les États africains à ne pas adopter sur cette question une réglementation nationale moins contraignante que le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques.

Ce qui n’était encore ’’que’’ la position de la Commission n’a pas manqué de faire réagir Monsanto qui qualifie cette prise de position de « néo-colonialiste et d’anti-business » : aux africains de décider par eux-mêmes si la technologie des OGM peut leur être utile ou non [4]. Mais dans le cadre actuel de la NASAN, ont-ils vraiment le choix ? La Commission du Parlement semble justement penser que ce n’est pas le cas, car le modèle agro-industriel est actuellement le seul promu par cette initiative…

À travers ses critiques, cette résolution a pour objectif d’inciter les États membres à transformer la NASAN « en un véritable outil pour un développement soutenable ». Elle propose que les investissements soient mieux contrôlés et suivis, notamment par la mise en place d’indicateurs pour évaluer les effets des actions menées, de mécanismes de recours pour les populations locales et d’un organe externe de contrôle.

La NASAN en quelques mots

La NASAN est un programme d’aide lancé en 2012 dans le cadre du G8. Son objectif : améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition et aider ainsi 50 millions de personnes en Afrique subsaharienne à sortir de la pauvreté d’ici 2022. L’idée de ce programme est de favoriser des investissements public-privé dans le secteur agricole, notamment en incitant les États africains à rendre leur réglementation moins contraignante : régime fiscal favorable, assouplissements des règlementations (semences, biosécurité…).

Mais, sous couvert d’œuvrer contre la faim et la pauvreté, cette initiative favorise en fait un modèle agricole industrialisé et tourné vers l’exportation au détriment d’une agriculture paysanne et familiale. Au lieu de profiter aux populations locales, ce système facilite l’accaparement des terres et la mainmise sur de nouveaux marchés pour les entreprises multinationales, parmi lesquelles se retrouvent notamment Cargill, DuPont, Monsanto, Nestlé, Syngenta, Unilever…

En dérégulant, ces États se privent de revenus fiscaux nécessaires pour mener des politiques en faveur de populations locales et de réglementations protectrices, notamment de l’environnement.

Un système contre-productif vertement critiqué depuis sa mise en place par de nombreux acteurs [5], auxquels s’ajoute désormais la voix du Parlement européen.

Une telle résolution peut être une position politique d’autant plus importante que l’Union européenne fait partie, avec les États-Unis et la France, du trio de tête des plus gros contributeurs publics de la NASAN. Elle pourrait contribuer à en faire un vrai outil d’aide au développement… ou décider de ne plus la cautionner en la quittant !

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