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Brésil – Syngenta condamnée suite à la mort d’un paysan sans terre

Par Christophe NOISETTE

Publié le 27/11/2015

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Au Brésil, les paysans sans Terre et les paysans de la Via Campesina occupent des terres pour dénoncer une politique foncière qui favorise l’installation des multinationales engagées dans des cultures de rente destinées à l’exportation, au détriment des paysans qui pratiquent une agriculture vivrière. En 2007, une milice – financée, du moins en partie, par Syngenta – tirait sur les occupants d’une exploitation agricole. Bilan : deux morts, un paysan et un « pistolero ». Huit ans après ces faits, la justice a reconnu la responsabilité de Syngenta.

Le paysage agricole brésilien est très contrasté : des monocultures destinées à l’exportation (soja, canne à sucre, etc.) qui s’étendent sur des millions d’hectares côtoient des petites fermes familiales qui alimentent des marchés locaux. C’est dans ce cadre que les paysans sans Terre (MST) et les paysans de la Via Campesina organisent des occupations de terres, et dénoncent l’expansion des cultures transgéniques…

Via Campesina dénonce des cultures de soja génétiquement modifié illégales

Ainsi, le 14 mars 2006, un millier de paysans de la Via Campesina, fédération internationale de syndicats paysans, occupait un terrain à Santa Teresa do Oeste (dans l’état du Paraná) que Syngenta avait ensemencé avec des semences transgéniques illégales [1]. Or ces essais se situaient dans la zone tampon adjacente (à 6 km précisément) au parc national d’Iguaçu, patrimoine de l’Humanité (Unesco), laquelle était interdite aux cultures transgéniques selon l’Institut National pour l’Environnement et les Ressources Naturelles (Ibama). En effet, l’article 1 de la loi 10.814/2003 (qui définit les règles pour la culture et le commerce de soja génétiquement modifié (GM) pour la récolte 2004) rend ces essais non seulement illégaux mais les apparente à un crime contre l’environnement, car le soja GM “est interdit dans les zones de protection de l’environnement ainsi que dans leurs zones tampon adjacentes”.

Le 8 mars, Ibama avait inspecté les terrains de Syngenta et confirmé la présence illégale de 12 ha de soja GM. La Via Campesina demandait alors : l’interdiction immédiate de toute activité de Syngenta dans cette zone ; que les directeurs de Syngenta et l’entreprise soient jugés devant les tribunaux pour cette activité criminelle ; que les membres de la Commission Technique Nationale de Bio-Sécurité soient poursuivis pour avoir autorisé ces cultures dans une zone illégale ; et qu’Ibama mène des inspections autour du Parc d’Iguaçu.

Le 22 mars 2006, Ibama a fait condamner Syngenta à 320 000 euros d’amende. L’entreprise a décidé de faire appel. Monsanto a également été condamnée, suite à une plainte d’Ibama, à 750 000 euros pour avoir mené des expérimentations illégales à Rolandia dans le Ponta Grossa.

Syngenta avait bien entendu contesté cette amende, arguant avoir reçu une autorisation de la CNTBio. Mais pour le pouvoir judiciaire, les opinions ou conclusions de la CTNBio ne peuvent prévaloir sur les dispositions de la loi fédérale qui stipule qu’aucune culture GM ne peut avoir lieu à moins de dix kilomètres d’un parc naturel. Certes cette loi avait été modifiée début 2006, et la distance réduite à 500 mètres, mais, précise l’Ibama, cela ne peut s’appliquer à Syngenta dont l’expérimentation est antérieure à cette modification.

Syngenta expropriée… enfin presque

Le 9 novembre 2006, le gouverneur du Paraná, soutenu par plus de 170 organisations, au Brésil comme à l’étranger, expropriait la ferme expérimentale de Syngenta. Mais le 1er février 2007, le Tribunal de Justice du Paraná annulait cette expropriation.

Le gouverneur Requião décidait alors de faire appel de ce jugement. Cependant, le 25 avril, la juge de Curitiba, Vanessa de Souza Camargo, confirmait l’annulation du décret d’expropriation et imposait une amende de 12 600 euros (50 000 reals brésiliens) au gouvernement s’il n’exécutait par l’ordre d’expulsion des paysans. Pendant ce temps, les militants de Via Campesina continuaient donc leur occupation.

Nouveau retournement de situation. Le 18 mai 2007, le juge Paulo Roberto Hapner, du tribunal du Paraná, suspendait le précédent jugement, au nom de l’incompétence du tribunal mobilisé. Pour lui, l’affaire devait être jugée par le tribunal de Cascavel, district où a eu lieu l’occupation.

Par ailleurs, dans une interview accordée à la Folha de Sao Paulo [2], Pedro Rugeroni, directeur général de Syngenta au Brésil, déclarait qu’en l’absence de garanties juridiques adéquates du gouvernement brésilien, l’entreprise suisse pourrait suspendre ses investissements dans la région. Cependant, Médard Schoenmaecker, porte-parole du groupe, temporisait : « Le Brésil reste un marché clé pour Syngenta. La situation n’affecte en rien notre engagement au Brésil, et n’a aucun impact sur l’ensemble de nos activités » [3]. D’après Via Campesina, le manque à gagner pour Syngenta depuis le début de l’occupation s’élève à 50 millions de dollars. Une campagne de lettres de soutien au gouverneur du Paraná et de protestations à Syngenta avait alors aussi été organisée [4].

Le 18 juillet 2007, les familles des paysans sans terre quittaient les champs de Syngenta pour installer un campement provisoire, baptisé « Olga Benario », situé aussi sur la commune de Santa Tereza do Oeste. Le 21 octobre, 150 agriculteurs de la Via Campesina prenaient le relais et réoccupaient les terres.

Pendant ce temps, la saga judiciaire continuait… Et, en parallèle, Syngenta finançait des services de sécurité, organisés par la Société Rurale de la Région Ouest (Sociedade Rural da Região Oeste, SRO) et le Mouvement des Producteurs Ruraux (Movimento dos Produtores Rurais, MPR). La pression exercée par ces groupes sur les occupants s’accentuaient de jour en jour. Ainsi, le jour même de la réoccupation, une quarantaine de gens armés de l’entreprise « NF Seguridad » attaquaient les paysans. Bilan : deux morts, un paysan, Valmir Motta de Oliveira (dit Keno) et un « pistolero » ; et cinq blessés – dont Isabel de Nascimento de Souza – qui ont été amenés à l’hôpital de la région.

Le 18 octobre, une dénonciation de ces groupes armés a été faite pendant une audience publique, auprès de la Commission des Droits de l’Homme et des Minorités de la Chambre Fédérale des Députés, à Curitiba.

2015 : Syngenta condamnée

Le 17 novembre 2015, le juge Pedro Ivo Moreira, de la Cour Civile de Première Instance de la région de Cascavel (Paraná), a condamné Syngenta [5] à verser des indemnités à la famille de Keno et à Isabel de Nascimento de Souza pour les préjudices moraux et physiques dont l’entreprise est responsable.

Dans son jugement, le juge prend soin de rétablir la réalité des faits. Il ne s’agissait pas, comme le prétend Syngenta, d’une « confrontation » entre des gardes privés et des membres de la Via Campesina, mais, écrit-il, « il n’y a pas de doute qu’en fait il s’agissait d’un massacre déguisé en reprise de la possession. Syngenta avait mis en avant que l’attaque avait été orchestrée par des milices au service des propriétaires terriens et l’entreprise avait cherché à se dédouaner en soulignant le caractère illégal de l’occupation, ce que le juge n’a pas contesté. Mais pour ce dernier, d’une part, Syngenta soutenait financièrement ces milices, ce qui la rend responsable civilement [6] ; et d’autre part, cette entreprise ne pouvait se faire justice elle-même, et imposer la peine de mort. Syngenta aurait dû chercher des moyens légaux pour résoudre ce conflit [7]. Le résoudre soi-même par des moyens illégaux constitue donc un délit.

La saga judiciaire n’est cependant pas encore terminée. L’avocat de Syngenta, Renne Ariel Dotti, envisage de porter ce litige devant le tribunal de l’état du Paraná.

Eduardo Rodrigues, un des responsables du MST du Paraná, espère que cette décision de justice sera non seulement confortée par ce nouveau tribunal, mais aussi qu’elle pourra être étendue aux autres cas où des multinationales ont été impliquées dans des actions de ce genre…

[1Communiqué de presse de Via Campesina, 16 mars 2006

[3www.datas.ch, op. cit.

[6Le jugement dit : « le mauvais choix de service tiers de sécurité, ainsi que le financement indirect des activités illicites, constituent des sources de responsabilité »

[7Le jugement dit : « bien que l’invasion de la propriété soit répréhensible et illégitime, il ne faut pas se faire justice soi-même, en imposant la peine de morts aux occupants, sans chercher de moyens légaux pour des solutions au conflit (…) » (paragraphe 33)

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