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OGM – La condamnation d’un journaliste de Marianne pour diffamation confirmée en appel

Par Christophe NOISETTE

Publié le 07/09/2016

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Le 25 septembre 2015, s’est tenu à Paris un nouveau procès pour diffamation mettant en scène les OGM, le professeur Gilles-Éric Séralini et le journaliste de Marianne Jean-Claude Jaillette. Rendu le 6 novembre 2015, le jugement condamne l’auteur de l’article, ainsi que le directeur de publication du journal Marianne, Maurice Szafran, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public [1]. Le 7 septembre 2016, la Cour d’appel a confirmé le jugement de la première instance.

C’est la « chambre de la presse », ou plus précisément la 17° chambre du tribunal de Grande Instance de Paris, spécialisée dans les contentieux en lien avec les médias, qui a accueilli ce 25 septembre 2015 un nouveau procès dans la longue saga judiciaire des organismes génétiquement modifiés (OGM). Les débats qui entourent ces fameuses plantes transgéniques sont généralement consacrés à leurs risques directs, qu’ils soient environnementaux ou sanitaires. Mais les passions qui entourent ces débats sont aussi, elles-mêmes, sujettes à polémique. Les enjeux ne sont pas anodins. Il en va de la façon dont la presse, en l’occurrence ici le mensuel Marianne, a traité l’étude du Professeur de l’Université de Caen, Gilles-Éric Séralini. Ce dernier est un critique connu des OGM, car en tant que chercheur, il montre dans ses recherches les faiblesses de l’évaluation des OGM. Dans une étude, publiée en 2012 (avant d’être dé-publiée [2] puis re-publiée), il conclut que des rats nourris avec des plantes génétiquement modifiées (PGM) pour tolérer des pulvérisations de Roundup présentent différentes lésions.

Cette étude a eu un écho retentissant au niveau mondial. Et si, d’un côté, des nombreux gouvernements et organisations de la société civile ont brandi cette étude pour demander, a minima, un moratoire sur ces OGM en vue d’aller plus loin dans l’analyse précise et indépendante de leurs conséquences sanitaires, de l’autre côté, une vaste campagne de dénigrement et de diffamation a été orchestrée, notamment grâce aux services des lobbyistes du Science Media Center [3].

En France, le journal Marianne publiait le 29 septembre 2012 (n°806) une tribune, signée par une quarantaine de chercheurs, sous le titre « l’étude choc sur les OGM déclenche un tollé mondial ». G.-E. Séralini a reconnu que le contenu de cette tribune « bien que virulent [à mon égard et celui de mon équipe] relève du débat scientifique ». Mais en revanche, il estime « diffamatoire à son égard le chapeau de ladite tribune, signé J.-C. J. dans lequel on trouve les mots « opération de communication », « une fraude scientifique où la méthodologie sert à conforter des résultats écrits d’avance ». C’est donc ce chapeau que visait ce procès, chapeau rédigé par Jean-Claude Jaillette [4].

Pour le juge, démontrer le caractère diffamatoire d’un propos suppose que celui-ci concerne un « fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne identifiée », ce qui est le cas ici. Il précise que la notion de « fraude scientifique » est « une des plus graves parmi celles pouvant être portées à l’encontre de chercheurs et ne ressortant aucunement des termes mêmes de la pétition des scientifiques ».

Aucune fraude scientifique reconnue

Pour sa défense, J.-C. Jaillette a « contesté être l’auteur des propos incriminés » et précise que le secrétaire de rédaction a coupé le texte qu’il avait transmis, notamment « la source des propos litigieux, tenus par des scientifiques américains et rapportés par des journalistes également américains ». Il a aussi, au cours de l’audience, indiqué « que les propos placés entre guillemets avaient été tenus par un scientifique, Henry Miller » dans la revue Forbes. Le juge n’a pas tenu compte de ces deux remarques et estime au contraire que « Jean-Claude Jaillette doit être considéré comme l’auteur, au sens commun de ce terme, des propos poursuivis ».

Le juge s’intéresse ensuite au caractère de « bonne foi » de l’auteur des propos. En effet, précise le jugement « les imputations diffamatoires sont réputées, de droit, faites avec intention de nuire, mais elles peuvent être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi, en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à un certain nombre d’exigences, en particulier de sérieux de l’enquête, ainsi que de prudence dans l’expression, étant donné que la bonne foi ne peut être déduite de faits postérieurs à la diffusion des propos et que l’ensemble des critères requis est cumulatif ». Le juge reconnaît donc que J.-C. Jaillette poursuivait un but légitime, l’étude étant sujette à une vive controverse sur la méthodologie utilisée, qu’« aucune animosité personnelle ne [pouvait] être retenue en l’espèce », et que les prévenus ont apporté des éléments, comme les avis de l’AESA ou du HCB, montrant des critiques de l’étude en question. Cependant, précise encore le jugement, «  force est de constater que la quasi-totalité des très nombreux documents versés ou les témoignages produits à l’audience, se bornent à évoquer les failles méthodologiques de l’étude critiquée et la surprise engendrée par sa publication », et que seul l’article de Forbes évoque « une tentative de fraude » ou que « les chercheurs avaient l’intention d’obtenir un résultat erroné et préétabli ». Enfin, précise encore le jugement, leurs auteurs, Henry Miller et Bruce Chassy « sont connus pour leurs liens avec de grands industriels, dont Monsanto, notamment via le financement par ceux-ci de leurs travaux ». De même Marc Mennessier, journaliste au Figaro, témoin de la défense, a précisé à l’audience « qu’il n’avait jamais personnellement proféré des accusations de fraude à [l’] encontre [de M. Séralini] », même s’il pensait que « M. Séralini n’avait pas eu un comportement de scientifique ». Le juge conclut donc : « dans ces conditions, il y a lieu d’estimer que l’imputation précise de fraude scientifique n’est étayée par aucun élément suffisant, que les prévenus ne peuvent, partant, exciper utilement de leur bonne foi et doivent être reconnus coupables de diffamation publique envers un fonctionnaire public ». 

Ainsi, Jean-Claude Jaillette est condamné à une amende de 500 euros avec sursis, et Maurice Szafran à 1000 euros sans sursis (ayant déjà été condamné). Ils devront aussi verser 6000 euros à G.-E. Séralini pour « dommages et intérêts ». Enfin J.-C. Jaillette devra verser à la partie civile 1000 euros et M. Szafran, 2000 euros (sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale).

Contacté par Inf’OGM, J.-C. Jaillette n’a pas souhaité faire de commentaire sur ce jugement. Il nous a cependant annoncé vouloir faire appel.

Deux autres procès sont en cours

G.-E. Séralini a également porté plainte pour diffamation contre Daniel Dubost, ancien maître de conférences à l’Université d’Angers et de Caen et éditeur du site internet La lettre du Cotentin, qui avait qualifié G.-E. Séralini de « fou dangereux », « gredin de la science », « bouffon scientifique », « guignol de l’Université de Caen, mon université » et avait indiqué qu’il exigerait « qu’il soit rayé des cadres et interdit d’exercer dans la fonction publique. Une procédure d’internement pourrait s’en suivre ». L’affaire a été reportée en octobre 2016.

Enfin, le 25 novembre, le Tribunal de Paris a décidé de mettre en examen Marc Fellous, ancien président de la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), pour « faux » et « usage de faux » dans un procès qu’il avait perdu en diffamation contre G.-E. Séralini [5]

[1selon l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881

[4J.-C. Jaillette reconnaît avoir été « directement impliqué dans la conception de la Une de Libération du 1° novembre 1996 : « Alerte au soja fou » », en pleine controverse sur la vache folle. Il considérait alors « le soja OGM comme aussi dangereux pour le consommateur que le prion responsable de la transmission de la vache folle », mais s’est rétracté ensuite dans un livre Sauvez les OGM, (éd. Hachette), pour demander aux «  scientifiques de prendre la parole et d’oser affirmer que les OGM peuvent contribuer à sauver l’humanité de la famine et de la surconsommation des pesticides »

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