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UE – Pour l’AESA, un rat témoin peut manger de « bons » OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 19/11/2015

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L’équipe du professeur Gilles-Eric Séralini a publié en juillet 2015 une étude [1] qui conclut que les aliments donnés aux rats de laboratoire qui servent de témoins dans différentes études (de toxicologie, par exemple), étaient contaminés par des OGM, des pesticides et des métaux lourds. La Commission européenne a soumis cette étude à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA). Cette dernière conclut « qu’aucun nouvel élément scientifique n’a été apporté qui impacterait la validité des analyses réglementaires d’alimentation dans l’Union européenne » [2]. Circulez, il n’y a donc rien à voir. Pourtant ces constats posent question : ces contaminants ne peuvent-ils in fine biaiser le résultat de nombreux tests de toxicité ?

En 2012, l’équipe du Pr. G.-E. Séralini publiait un article concernant des impacts sanitaires à long terme (deux ans) sur des rats liés à la consommation de maïs génétiquement modifié NK603 et de l’herbicide Roundup [3] [4]. Cette étude a fait l’objet d’une vive polémique, dont Inf’OGM s’était fait l’écho [5]. Les chercheurs ont tenté de répondre aux nombreuses critiques, qui souvent, s’appliquaient aussi aux études produites par l’industrie.

Des rats témoins empoisonnés ?

Parmi les nombreuses remarques, une a plus particulièrement retenu l’attention des chercheurs français : les rats qui avaient été utilisés – des rats Sprague-Dawley – seraient connus pour présenter naturellement beaucoup de tumeurs [6]. L’utilisation de cette race dans des études à long terme serait donc inadaptée. Monsanto, par exemple, a utilisé des rats Sprague-Dawley dans une étude de toxicologie pour le maïs NK603, mais cette étude avait été menée sur 90 jours seulement.

G.-E. Séralini a voulu en savoir plus. Ainsi, avec son équipe, il s’est intéressé à l’alimentation donnée aux rats lors des analyses. Leur hypothèse est simple : si au lieu de développer « naturellement » des tumeurs, les rats Sprague-Dawley tombaient malade car les aliments témoins étaient contaminés ?

Les chercheurs ont donc analysé treize lots de croquettes pour rats de laboratoires en provenance de huit pays répartis sur cinq continents (États-Unis, Brésil, France, Allemagne, Royaume-Uni, Kenya, Chine et Nouvelle-Zélande). Et le résultat publié en juillet 2015 est pour le moins frappant : tous les lots sont contaminés par des pesticides, des métaux lourds, et des OGM. Parmi les OGM détectés, on en trouve qui sont tolérants aux herbicides à base de Roundup (soja RR1 et RR2, maïs Ga21, MON88017, NK603 et colza Gt73), à base de glufosinate (maïs TC1507, T25 et colza Ms8*Rf3) ; et d’autres producteurs de protéine insecticide Bt (maïs TC1507, Mir162, MON810, MON863 et MON88017). Les taux détectés vont de 0,3% à plus de 35%… Autant de contaminants qui peuvent induire des tumeurs chez les rats témoins et masquer « les éventuels effets secondaires recherchés dans les tests » selon G.-E. Séralini [7].

Le problème est grave selon Séralini et ses collègues qui rappellent que « les agences sanitaires considèrent qu’une proportion élevée d’animaux de laboratoire sont prédisposés à développer de nombreuses pathologies, et ceci d’après les archives des industriels appelées « données historiques » » [8]. Une prédisposition qui trouverait donc son origine, selon ces chercheurs, dans la qualité de la nourriture donnée aux animaux témoins…

Dès juillet 2014, G.-E. Séralini contestait les résultats d’une étude réalisée par des chercheurs de l’entreprise DuPont, étude qui visait à démontrer l’innocuité sanitaire du colza transgénique 73496 [9]. En effet, cet article fournit les résultats d’une étude de toxicologie qui compare la santé de rats Sprague-Dawley ayant reçu le colza 73496 dans leur régime alimentaire à celle de rats n’ayant pas reçu ce colza. Mais, selon l’équipe de G.-E. Séralini, les croquettes données aux rats servant de témoins dans cet article contiennent des résidus de Roundup et d’OGM (18% de maïs NK603 et 15% de maïs insecticide MON810). Pour les chercheurs français, il s’agit d’une « erreur expérimentale grave ». Mais ils notent que l’étude « reste publiée [dans la revue Food and Chemical Toxicology] et pourra être utilisée à l’avenir pour justifier la mise sur le marché de nouveaux OGM de DuPont » [10].

Tester l’innocuité : OGM à tester versus… OGM déjà testé !

A la demande de la Commission européenne, l’étude de G.-E. Séralini a été analysée par l’AESA. Dans son avis publié en octobre 2015 [11], l’AESA commence par rendre justice à Séralini et ses collègues : « Cet article apporte des informations additionnelles utiles à la connaissance déjà existante ». Mais… Mais « l’approche méthodologique suivie présente plusieurs limites concernant notamment une insuffisance d’informations sur le matériel testé et la méthodologie utilisée, des données de résultats incomplètes et une interprétation erronée de la législation et des résultats [eu égard au seuil de présence réglementaire] ». Puis de s’intéresser aux résultats eux-mêmes et de déclarer que « la majorité des pesticides [que les scientifiques ont étudiés] étaient absents des lots analysés (sous la limite de détection), et lorsque détectés, les taux de pesticides, métaux lourds et dioxines étaient juste au-dessus de la limite de détection […] mais sous les seuils réglementaires ».

Concernant les OGM détectés dans onze lots sur treize, l’AESA conclut que « la présence d’OGM dans des aliments pour animaux ne constitue pas une problématique sanitaire » ! En clair, aucun souci à ce que des OGM soient présents dans la nourriture de rats censés ne pas en consommer car utilisés comme témoins pour analyser les impacts potentiels… d’OGM ! Et la raison avancée par l’AESA est d’une simplicité déroutante : tous les OGM détectés par les chercheurs français « ont été évalués par l’AESA comme sans risque et aussi nutritifs que leur contre-partie conventionnelle ». En d’autres termes, pour l’AESA : utiliser des OGM comme aliments témoins pour analyser les effets sanitaires d’OGM est possible !

Une situation plutôt « abracadabrantesque » d’autant que, selon Robin Mesnage, un des auteurs de l’article scientifique, « l’AESA ne connaît pas la contamination en OGM des croquettes » données aux animaux de laboratoire lors des analyses de toxicologie faites pour une demande d’autorisation commerciale d’un OGM [12]. Une affirmation confirmée à Inf’OGM par l’AESA elle-même qui explique que « pour les aliments pour animaux de laboratoire, la vérification de la présence de contaminants est effectuée pour les composants qui peuvent avoir une interaction toxicologique ou pharmaceutique […] Dans le cas d’OGM autorisés, leur innocuité ayant été démontrée, ils n’ont pas d’interaction toxicologique et pharmaceutique ». En creux donc, l’AESA ne demande pas à ce que la présence d’OGM dans les aliments pour rats soit vérifiée. Et Robin Mesnage de préciser que « ce sont les mêmes tests de toxicité qui servent de base aux autorisations que ce soit dans l’Union européenne ou aux USA. Il est donc peu probable que le même OGM soit déjà présent dans l’alimentation des rats témoins quand c’est un nouvel OGM dont l’autorisation est demandée, par contre, la même catégorie d’OGM peut être présente et c’est ce que nous avons montré pour une étude de la compagnie DuPont. Ils testaient un OGM tolérant au Roundup, et n’avaient pas mesuré la contamination par d’autres OGM tolérant au Roundup ou par les résidus de Roundup » (cf. plus haut).

Pour l’AESA, fataliste, la contamination « n’est pas inattendue« 

Pour résumer, l’AESA considère que les OGM évalués sans risque peuvent être présents dans l’alimentation de rats servant de témoins lors d’analyse de toxicologie, sans même avoir à tester cette éventuelle présence et même s’ils ont les mêmes caractéristiques que l’OGM à tester. Quand on se rappelle que l’évaluation des risques telle que conduite aujourd’hui par l’AESA est plus que critiquable [13], tout cela laisse songeur. Et on nous parlera encore de science saine [14]

L’étude publiée par les chercheurs français pose enfin une dernière question importante : est-il possible pour des scientifiques de travailler avec des aliments non contaminés par des pesticides (ou leurs résidus), des métaux lourds ou autres OGM ? Pour G.-E. Séralini et son équipe, il est clair que « des efforts pour des pratiques agricoles plus sûres et un meilleur contrôle des contaminants doivent être faits afin de pouvoir produire des régimes alimentaires sains pour les rats de laboratoire ». L’AESA se montre plus fataliste, notant que « considérant l’origine agricole des aliments pour animaux de laboratoire, la présence d’OGM et de quantités détectables de métaux lourds, dioxines et pesticides dans les aliments analysés par Mesnage et al. (2015) n’est pas inattendue »… Avis à tous ceux qui affirment que les contaminations chimiques sont maîtrisables et la coexistence OGM-non OGM possible !

[2« Review of results published by Mesnage et al. (2015) in PLoS ONE and the laboratory findings communicated by Dr Samsel to Farm Wars », 6 octobre 2015, http://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/4258

[3« Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Séralini et al., Food and Chemical Toxicology, 2012

[4« Republished study : long-term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Seralini G.-E. et al., Environmental Sciences Europe 2014, 26:14 (24 June 2014)

[11« Review of results published by Mesnage et al. (2015)… », art.cité

[12Communication à Inf’OGM

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