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Sélection variétale : vive la biodiversité cultivée

Par Frédéric PRAT

Publié le 29/07/2015

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Les résultats d’une recherche publiée par une équipe mixte Inra/CNRS vont-ils changer le paradigme de la sélection variétale ? C’est en tout cas ce que prétend un récent article de la revue Science et avenir, intitulé de façon un peu tapageuse « 60 ans que l’agriculture a tout faux » [1]. Selon les chercheurs qui ont publié une lettre dans Nature Plants, la sélection variétale aurait sans doute intérêt à creuser la piste des cultures plurispécifiques (mélange d’espèces) ainsi qu’à forte diversité intraspécifique (génotypes différents d’une même espèce). Compliqué ? Pas tant que ça.

Posons la question plus clairement : en agriculture, vaut-il mieux une super variété élite, qui, dans certaines conditions va produire un super rendement, ou plutôt une culture hétérogène au rendement moyen mais constant dans le temps ? Question trop vaste et imprécise bien sûr, mais qui nous sert ici à caricaturer deux options tranchées : celle, d’une part, d’une agriculture intensive qui a recherché depuis 50 ans des rendements maximums dans des conditions stéréotypées ; et celle, d’autre part, d’une sélection paysanne, parfois moins productive à court terme, mais aux rendements durablement constants. Car au fond le paysan (pas le « manager »), a toujours cherché à optimiser ses rendements plutôt qu’à les maximiser.

Dans une « lettre », publiée le 30 mars 2015 dans Nature Plants, intitulée « Complementary effects of species and genetic diversity on productivity and stability of sown grasslands » (effets complémentaires de la diversité spécifique et génétique sur la productivité et la stabilité de prairies artificielles), l’équipe mixte CNRS [2] et Inra [3] [4]a posé un nouveau jalon pour montrer la meilleure stabilité d’une agriculture biodiverse [5].

En gros, avec un dispositif expérimental complexe (voir encadré ci-dessous), l’équipe de recherche montre deux choses : qu’un mélange interspécifique de plantes fourragères obtient un rendement plus élevé que celui des monocultures lorsque ces mélanges sont soumis à la sécheresse, et ce, quel que soit le nombre de génotypes par espèce. Et qu’un mélange intraspécifique (jusqu’à 10 génotypes d’une même espèce) stabilise le rendement par rapport à une culture pure, ou même à des espèces mélangées, et ce, dans les deux situations, de sécheresse et de non-sécheresse.

Un dispositif expérimental ambitieux


Pour arriver à ces conclusions, l’équipe a monté un dispositif expérimental avec 124 micro parcelles, en culture pure ou en mélanges inter et intraspécifiques, arrosées ou non, avec les espèces suivantes : ray-grass anglais (Lolium perenne), fétuque élevée (Festuca arundinacea), dactyle (Dactylis glomerata), trèfle blanc (Trifolium repens) et luzerne (Medicago sativa), avec pour chaque espèce dix génotypes d’origines très diverses, allant des gradients de latitude du nord de l’Algérie jusqu’à la Russie.

50 micro parcelles ont été cultivées avec cinq espèces en monocultures (dix répétitions par espèces) ; et 74 micro parcelles étaient cultivées en peuplements plurispécifiques.

Chaque culture monospécifique était un mélange de 10 génotypes. Mais pour les cultures plurispécifiques, il y avait trois niveaux de diversité génétique : un, cinq ou dix génotypes.

Six coupes ont été effectuées, et après la quatrième, la moitié des micro-parcelles a subi un stress hydrique (six semaines sans irrigation). L’irrigation a été rétablie après la cinquième coupe.

Même si les chercheurs relativisent l’extrapolation de leurs résultats, à cause de la faible durée de l’expérimentation (un an et demi) dans un environnement restreint (station expérimentale), ils concluent que « la diversité taxonomique et la diversité génétique peuvent jouer des rôles complémentaires lorsqu’il s’agit d’optimiser la production fourragère des prairies gérées, et [ils suggèrent] que les deux niveaux de diversité devraient être pris en compte dans les programmes d’amélioration des plantes destinés à accroître la productivité et la résilience des prairies gérées face à l’augmentation des risques environnementaux ».

Selon le communiqué de presse de l’Inra [6], « les scientifiques de l’Inra de Lusignan reproduisent désormais cette expérimentation sur des micro-parcelles au champ, mais ils ont d’ores et déjà montré que diversité spécifique et génétique pourraient jouer des rôles bénéfiques et complémentaires pour l’optimisation de la production de fourrage dans les prairies semées. Ce sont ces deux niveaux de diversité qui pourraient être valorisés dans des programmes d’amélioration et de sélection de plantes destinés à accroître la productivité et la stabilité des cultures face aux aléas climatiques ».

Cyrille Violle, biologiste au CEFE (CNRS), explique quant à lui que « le meilleur rendement des polycultures est dû au fait que plusieurs espèces sur une même parcelle permettent de mieux exploiter les ressources du sol ; les plantes n’extrayant pas l’eau et les nutriments à la même profondeur dans ce sol ». Quant au rendement plus stable avec plus de génotypes, « on peut penser qu’un cocktail de différents génotypes augmente les chances qu’au moins l’un d’eux résiste mieux en cas de sécheresse et diminue ainsi les risques d’une baisse du rendement global » [7].

Pour Guy Kastler, délégué général du réseau semences paysannes (RSP), « il est toujours intéressant de voir des chercheurs officiels redécouvrir l’eau chaude que les paysans et quelques chercheurs réfractaires à la pensée dominante connaissent et utilisent depuis toujours. De là à penser que cette découverte va « changer le paradigme de la sélection variétale », il reste encore à modifier les principales motivations du paradigme de la sélection de la variété élite homogène et stable et de l’éradication des hors types ». Pour le RSP, ce changement de paradigme trouvera donc son aboutissement quand on en aura fini avec les trois objectifs suivants, issus de la sélection classique :

- « remplacer l’énergie du travail paysan par l’énergie fossile en adaptant les plantes à l’unique paquet technologique qu’elle offre (engrais et pesticides chimiques, mécanisation, irrigation, transport des marchandises tout autour de la planète…) au lieu de les adapter à la diversité et à la variabilité des terroirs et des climats ;

- remplacer l’adaptation des plantes à la diversité des besoins humains par leur adaptation aux besoins homogénéisés des filières agroalimentaires ;

- et uniformiser et stabiliser les plantes afin de pouvoir garantir les titres de propriété industrielle des semenciers
 ».

Isabelle Goldringer, directrice de recherche à l’UMR de Génétique Végétale du Moulon, Inra de Versailles-Grignon, spécialiste de la sélection participative en céréales, acquiesce aux propos de Guy Kastler, mais confirme cependant certaines pistes qu’ouvre ce travail : « En ce qui concerne les résultats sur la diversité génétique (intra-spécifique), ce travail confirme l’abondante littérature qui existe déjà montrant les bénéfices des associations variétales chez les céréales notamment, pour réduire les attaques de maladies, des bioagresseurs, pour la stabilisation du rendement et de la qualité en panification.

Sachant que ces résultats sont généralement obtenus en associant des variétés sélectionnées classiquement pour leur valeur en culture pure et sans bien connaître les mécanismes d’interactions entre plantes qui peuvent être bénéfiques ou défavorables, je pense que l’on pourrait encore bien améliorer les performances des associations variétales ou de populations hétérogènes en sélectionnant en amont des ensembles de génotypes particulièrement complémentaires. C’est l’un des objectifs de notre de recherche Wheatamix
 ». Wheatamix, projet de recherche de l’ANR Agrobiosphère, étudie en effet l’intérêt des associations variétales de blé pour renforcer la durabilité de la production agricole dans le Bassin parisien, ce dans le contexte des changements globaux. Ce projet multidisciplinaire réunit dix laboratoires de recherche et six Chambres d’Agriculture. Il s’attache à mieux comprendre les interactions entre variétés, et avec le milieu, pour obtenir des associations performantes, que ce soit en terme de rendement et de qualité, de services écosystémiques ou encore de débouchés pour la production. Il vise notamment à établir, de façon participative, des règles d’assemblage des variétés, et à évaluer leur pertinence dans différents contextes de production [8].

En ce qui concerne la diversité spécifique, Isabelle Goldringer poursuit : « cela permet de quantifier et surtout d’étudier l’interaction entre diversité génétique et diversité spécifique. [Les chercheurs] montrent en effet que dans les mélanges à cinq espèces, plus de diversité génétique pour chaque espèce permet de créer des peuplements moins synchronisés (avec un développement plus étalé dans le temps entre espèces) qui s’avèrent plus stables ».

Même s’il ne représentent qu’une étape, très partielle, du changement global de paradigme en agriculture, ces résultats sont donc encourageants. Ils confirment au passage les intuitions et pratiques paysannes, notamment d’associations de cultures et de cultures de mélanges pratiqués, surtout, par les agriculteurs bios [9].

[2CEFE, Montpellier

[3Lusignan

[4Iván Prieto, Cyrille Violle, Philippe Barre, Jean-Louis Durand, Marc Ghesquiere et Isabelle Litrico

[9voir aussi les expérimentations des années 80 autour de la méthode Pochon : lire par exemple La prairie temporaire à base de trèfle blanc, Éditions CEDAPA-ITEB, 1996

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