n°135 - juillet / août 2015

Résistances des insectes aux PGM Bt : chronique d’un échec annoncé

Par Eric MEUNIER

Publié le 12/08/2015

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Depuis fin 2014, aux États-Unis, le ministère de l’environnement (Environment protection agency, EPA) a reconnu, enfin, qu’un certain nombre d’insectes avaient développé des résistances aux insecticides produits par des plantes génétiquement modifiées (PGM). Ce phénomène est observé dans les champs depuis plusieurs années sans qu’aucune mesure n’ait été prise jusqu’à maintenant, malgré les avertissements y compris de scientifiques. Et les solutions aujourd’hui envisagées pour contrecarrer ce problème ressemblent à une course en avant : empilement de plusieurs résistances dans une seule plante ou mélange de semences de PGM produisant des protéines insecticides différentes. Là encore, les critiques existent déjà.

« Depuis dix ans que ces [PGM] sont cultivées aux États-Unis, force est de reconnaître, au vu des études conduites par les laboratoires et les universités américaines, dans les parcelles, mais également sur la flore et la faune alentour, qu’aucun insecte résistant n’est apparu » [1]. Cette affirmation faite en 2005 lors de la mission parlementaire d’information sur les OGM par Yves Chupeau, alors Président du centre de recherche de Versailles Grignon de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) est restée valable quelques années seulement. En effet, dès 2009, les premiers insectes résistants étaient recensés aux États-Unis [2]. Et six années plus tard, le problème est tel que le ministère étasunien de l’environnement (EPA) envisage d’augmenter les surfaces de cultures de maïs non GM pour tenter de « diluer » tant bien que mal cette résistance.

Mais… Mais deux autres solutions sont aussi envisagées. Ainsi, l’EPA demande aux entreprises de commercialiser plus de maïs GM empilés avec plusieurs protéines Bt produites, avec pour objectif qu’un « maximum d’agriculteurs utilisent les maïs empilés » [3]. Ou de commercialiser des lots de semences mélangées contenant donc un mélange de PGM produisant différentes protéines insecticides et des semences non GM. Pour l’EPA et les entreprises de biotechnologies, ces semences non GM joueront alors le rôle de « zone refuge », lesquelles bien qu’obligatoires sont régulièrement « oubliées » par les agriculteurs cultivant des PGM Bt. En effet, un agriculteur aux États-Unis qui cultive des variétés transgénique Bt doit dédier une partie de son champ à des variétés non transgéniques. « Un sondage estime qu’aux États-Unis, les cultivateurs de maïs étaient 92% à respecter la mise en place de zone refuge entre 2003 et 2005, mais seulement 66 à 78% en 2008. Dans le cas du coton dans le sud des États-Unis, seuls 41% des cultivateurs sondés mettaient en place de telles zones, 32% n’en plantant aucune » [4]. Deux stratégies d’ores et déjà controversées.

Empiler les transgènes ? Gare aux résistances croisées !

Empiler des gènes de Bt revient à faire produire par une même plante une, deux, trois… plusieurs protéines insecticides Bt. Pour l’EPA, si une protéine Bt devient inefficace sur un insecte, la seconde ou les autres prendront le relais. Une conviction qui a d’ailleurs incité l’EPA à autoriser des zones refuges plus petites si l’agriculteur utilise des PGM empilées et non des PGM avec un seul transgène [5]. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Et, comme nous allons le voir, les publications scientifiques avertissant de l’inefficacité de cette stratégie d’empilement commencent à s’accumuler.

En janvier 2015, l’équipe des Pr. Carrière et Tabashnik de l’Université d’Arizona a ainsi publié les résultats d’une analyse de 38 études s’intéressant à dix protéines insecticides Bt ciblant quinze insectes différents [6]. Il s’agit d’une « analyse », selon le terme employé par Y. Carrière avec Inf’OGM, de données issues d’articles scientifiques publiés et non d’une méta-analyse qui aurait impliqué un travail plus poussé (sélection d’articles, traitement statistique des données…). Pour les auteurs, « la survie d’insectes sensibles et d’insectes résistants à une des protéines insecticides est souvent plus importante sur les pyramides [ou OGM empilées] utilisées couramment ». Les raisons possibles ? Des protéines Bt trop similaires, des possibilités de résistances croisées (cf. infra), des zones refuges insuffisantes et des cultures mixant PGM à une seule toxine et PGM à plusieurs toxines.

Ce constat fait écho aux travaux publiés en 2014 par une autre équipe de chercheurs, celle du Pr. Gassmann de l’Université d’état d’Iowa, qui montraient que la résistance développée par des insectes à la protéine Bt Cry3Bb1 pouvait induire une résistance à la protéine mCry3A (une forme synthétique de la protéine Cry3A) [7]. Un phénomène appelé résistance croisée. Pour les scientifiques, cette résistance croisée serait due à une similarité de structure de ces protéines Cry3Bb1 et mCry3A.

S’ils ne remettent pas catégoriquement en cause la stratégie d’empilement, les deux chercheurs appellent donc à une meilleure évaluation des risques potentiels avant dissémination dans l’environnement, notamment en étudiant plus spécifiquement l’homologie des protéines Bt empilées. Dans leur réponse début 2015 à une consultation publique du ministère étasunien de l’environnement sur les problèmes d’apparition de résistance [8], les deux scientifiques plaident également pour de plus grandes zones refuge dans les champs : de 50 % du champ (culture de maïs produisant une seule toxine ou deux toxines à résistance croisée – mCry3A et eCry3.1Ab) à 20 % (culture de maïs produisant deux toxines sans résistance croisée dont Cry34/Cry35Ab1 et une toxine de la famille des Cry3). Une telle augmentation des zones refuge est, selon Carrière et Tabashnik, la seule approche permettant de réduire les risques d’apparition de résistance.

Mélanger des semences GM et non GM accélère parfois les résistances

Autre stratégie, bien que n’intervenant pas au même niveau : la vente de lots de semences mélangées contenant les semences de plantes GM et les x% de semences de plantes non GM qui agiront comme zones refuge, x correspondant à la surface de zone refuge requise. L’objectif est d’assurer que des plants non GM soient effectivement semés dans le champ. Comme Inf’OGM l’a déjà rapporté, Monsanto notamment met en avant cette stratégie, l’entreprise considérant « que cela constitue la solution à l’apparition de résistance » lorsqu’elle est couplée à l’utilisation de PGM empilées [9]. Dans un livre récent [10], un chercheur salarié de Monsanto détaille que « les [producteurs de coton Bt] sont réfractaires à mettre les zones refuge en place malgré les formations et connaissances fournies par les entreprises […] craignant de perdre de la production du fait de ces zones refuges […] car possédant de petites surfaces à cultiver et du fait de difficulté à les implanter ». La stratégie du mélange de semences serait donc la voie à suivre pour ce chercheur qui affirme que cela permet de s’assurer que les zones refuge sont bel et bien implantées dans les champs de culture de coton Bt. Mais de reconnaître que cette stratégie n’est pas « recommandée pour les produits disposant d’une seule toxine ». Pourquoi ? C’est ce que nous allons voir.

Plusieurs facteurs viennent relativiser l’efficacité de cette stratégie. Premièrement, elle ne peut fonctionner pour tous les insectes. En 2014, Denis Bourguet, de l’Inra, expliquait à Inf’OGM que cette stratégie, valable pour la chrysomèle (un coléoptère qui s’attaque aux racines du maïs) qui passe rarement d’une plante à l’autre, « n’est pas envisageable dans le cadre de la lutte contre la pyrale, les larves étant mobiles entre les plantes, se nourrissant alors alternativement sur des plantes non GM puis GM (et inversement) et pouvant donc développer des résistances ». Deuxièmement, comme l’expliquent Carrière et Tabashnik dans leur réponse à l’EPA [11], « des mélanges de semences avec 5% de semences non Bt ne sont pas suffisants pour retarder l’apparition de résistance ». Consistant avec leur réponse concernant les PGM empilées, les deux scientifiques ne s’opposent pas à la stratégie de mélange des semences mais recommandent d’augmenter le % de semences non Bt.

S’ils ne s’y opposent pas formellement, ces deux scientifiques ont malgré tout publié un article, avec Thierry Brévault du Cirad, en 2015 dans le journal Nature [12] dans lequel ils affirment qu’un mélange de semences de coton Bt (Cry1Ac) avec du coton non GM induit une apparition de résistance dominante chez Helicoverpa zea plus rapide et plus forte que dans le cas de cultures avec des zones refuges en blocs (semences non GM non mélangées avec des semences GM). Des résultats qui, selon les auteurs, confirment « des résultats précédents suggérant que les zones refuge en blocs sont plus efficaces que les mélanges de semences pour retarder l’apparition de résistance chez les parasites ayant des larves mobiles et une faible susceptibilité aux toxines Bt ». Discutant également du cas du maïs Bt empilé autorisé aux États-Unis, les auteurs indiquent que même dans le cas de larves ne se déplaçant pas d’une plante à l’autre, la stratégie du mélange de semences pourrait échouer. Car si les larves ne se déplacent pas, le pollen véhicule lui les protéines Bt, conduisant à l’apparition de grain exprimant les protéines. Ce qui pourrait ainsi accélérer l’apparition de résistance chez les larves se nourrissant sur les grains de maïs.

À problèmes technologiques, réponses technologiques…

Face à ces apparitions de résistance maintenant bien documentées, d’autres stratégies biotechnologiques émergent. Il en est ainsi de l’interférence à ARN [13]. Le Pr Raj K. Bhatnagar du Centre international de génie génétique et biotechnologie en Inde, propose d’éteindre l’expression d’une séquence génétique présente chez des insectes ravageurs, en utilisant les technologies de l’interférence à ARN, pour tuer ces derniers [14]. Concrètement, pour lutter contre Helicoverpa armigera, un parasite majeur du cotonnier, les chercheurs ont modifié par transgenèse des plants de tabac afin qu’ils expriment de petits ARN interférents (siRNA) homologues aux ARN endogènes d’Helicoverpa, issus de la séquence génétique codant la chitinase de cet insecte. Lorsque l’insecte se nourrit sur ces plants de tabac transgénique, il ingère ces siRNA transgéniques qui vont alors induire l’extinction de la chitinase des insectes et provoquer la mort des larves. Un maïs transgénique résistant à la chrysomèle (Diabrotica virgifera virgifera) par expression de siRNA est déjà en cours de dérégulation aux États-Unis : le maïs MON87411 [15]. Le souci de cette technique d’interférence est qu’il s’agit d’un phénomène biologique dont la connaissance est encore récente, induisant une capacité d’évaluation des risques potentiels associés restreinte : les insectes peuvent-ils s’adapter et devenir résistants, d’autres insectes non cibles peuvent-ils être « victimes » de ces siRNA ? Les personnes consommant ces PGM peuvent-elles subir des impacts ?… Dans l’Union européenne, l’AESA est toujours en discussion pour arrêter une position sur les analyses à nécessairement conduire pour évaluer de tels risques.

Cette stratégie de modification des plantes pour les rendre résistantes à des insectes via l’interférence à ARN n’est pas la seule voie suivie. Rappelons qu’Oxitec développe actuellement une version transgénique du papillon Plutella xylostella, OX4319 qui était devenu résistant à quatre protéines Bt produites par des PGM [16].

Le phénomène d’apparition de résistance est aujourd’hui suffisamment documenté scientifiquement pour ne plus pouvoir être ignoré. Les situations étasunienne et chinoise par exemple sont telles que les gouvernements ont engagé des actions. En Chine, des scientifiques ont été mandatés pour proposer des solutions aux apparitions de résistance sur le coton mais les propositions faites sont encore et toujours technologiques : zones refuges, insectes rendus stériles par modification génétique et empilement des résistances [17]. Comme c’est le cas avec les résistances aux herbicides [18], l’apparition de ce problème d’insectes résistants aux protéines Bt produites par les PGM ouvre donc la porte à encore plus de biotechnologie. Sauf à ce que les appels à la prudence soient un jour entendus…

[1« Rapport fait au nom de la mission d’information sur les enjeux des essais et de l’utilisation des organismes génétiquement modifiés », http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2254-t2.asp

[3cf. note 2

[4Reisig, D. et al., « Lepidoptera (Crambidae, Noctuidae, and Pyralidae) Injury to Corn Containing Single and Pyramided Bt Traits, and Blended or Block Refuge, in the Southern United States », Journal of Economic Entomology (2015)

[6Carrière, Y., et al., « Optimizing pyramided transgenic Bt crops for sustainable pest management », Nature Biotechnology (2015) 33, 161-168

[9cf. note 7

[10Genetically Engineered Crops in Developing Countries, Eds. : DVR Reddy, P Ananda Kumar, P Lava Kumar, G Loebenstein & C Kameswara Rao, Studium Press LLC, Houston, USA. (2015) 145-160

[11cf. note 8

[12Brévault, T. et al., « A seed mixture increases dominance of resistance to Bt cotton in Helicoverpa zea », Sci. Rep. (2015) 5:9807

[14Agrawal, A. et al., « Transgenic plants over-expressing insect-specific microRNA acquire insecticidal activity against Helicoverpa armigera : an alternative to Bt-toxin technology », Transgenic research (2015), 1-11

[15cf. note 13

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