n°135 - juillet / août 2015

Non mais laissez-moi manger ma banane !

Par Pauline VERRIERE

Publié le 12/08/2015

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On l’oublie souvent, tant ce fruit est largement répandu dans les supermarchés et à notre table, mais la banane est un fruit exotique produit à plusieurs milliers de kilomètres de la France métropolitaine. Le fruit est si répandu à travers le monde qu’il représente la 4e production agricole mondiale, après le riz, le blé et le maïs [1]. Mais cette production de masse n’est pas sans conséquence sur l’environnement et sur les travailleurs dans les plantations… Elle est aussi menacée par de nombreux virus et autres champignons. Face à ces risques et à l’importance notamment économique de cette production, les sirènes du génétiquement modifié sont de plus en plus tentantes pour l’industrie agro-alimentaire. Mangerons-nous demain de la banane GM ?

Il existe différentes sortes de bananes. La plus connue et consommée dans les pays occidentaux est la banane dessert, dont l’immense majorité est issue d’une seule et même variété, la Cavendish, qui représente 97% des bananes qui entrent dans le commerce international [2]. Parmi les bananes sucrées, existent également, mais sont plus rares sur nos étals, les bananes grandes naines et petites naines, bananes figue rose… Mais c’est principalement en tant que légume à cuire (dont la plus répandue est la banane plantain), qu’elle est consommée comme aliment de base dans de nombreux pays tropicaux, notamment pour sa valeur nutritionnelle importante et parce qu’elle se récolte toute l’année. Contrairement à sa cousine sucrée, il en existe près de 1000 variétés différentes [3].

Source de revenus… et de pollutions

Qu’elle soit sucrée ou à cuire, la banane représente un poids économique considérable. Elle participe tout d’abord à la sécurité alimentaire de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, soit près de 400 millions de personnes [4]. Il s’agit, dans ce cas, principalement de systèmes de production traditionnelle destinée à la consommation locale [5]. La banane dessert quant à elle est produite de manière intensive pour l’exportation et requiert l’utilisation de nombreux intrants chimiques. À tel point que la banane est aujourd’hui, après le coton, le deuxième produit agricole le plus traité au monde [6]. Dans certain cas, la banane dessert peut être traitée contre les champignons qui menacent sa culture jusqu’à une fois par semaine [7].

Si la production de la banane représente une source importante de revenus pour les pays exportateurs (mais qui ne bénéficie qu’à une minorité), cette culture n’est pas sans conséquence pour l’environnement ni pour la santé des travailleurs, des populations riveraines, et des consommateurs. L’application systématique d’intrants chimiques, parfois extrêmement toxiques, pollue le territoire pour de très nombreuses années. On se souvient notamment de l’affaire du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe [8]. Les conditions de travail dans les plantations sont aussi dénoncées par plusieurs associations [9]. En tirant toujours plus vers le bas le prix de ce « produit d’appel », les supermarchés agissent directement sur les conditions de travail dans les plantations. C’est à ce prix là que l’on peut manger à moindre coût des bananes en Europe [10]

La banane illustre une fois de plus [11] comment en tant que consommateurs, par le biais des filières de distribution, nous pouvons influencer directement, et pour le pire, les conditions de vie là-bas. La filière de l’ananas, bénéficiant du système d’acheminement et de distribution de la banane, est en train de suivre un chemin similaire. Pour pallier cela, des filières de banane biologique et équitable se mettent en place. Les menaces parasitaires qui mettent en péril la filière justifient aujourd’hui pour les entreprises de biotechnologie, l’exploration de la transgenèse ou de la mutagénèse.

Les champignons à l’attaque des bananes

La variété Cavendish ne produit pas de graine (résultat, comme la plupart des variétés de bananes, d’une sélection millénaire qui a favorisé les fruits avec plus de chair et moins de graines). Le bananier se reproduit en effet par rejets du bananier mère. Les repousses sont des clones identiques génétiquement au bananier mère dont ils sont issus (comme c’est également le cas d’une bouture). Il existe ainsi très peu de diversité génétique au sein de la variété Cavendish. L’absence de diversité génétique combinée à des monocultures sur plusieurs centaines ou milliers d’hectares fait que les bananiers sont extrêmement vulnérables en cas d’attaque d’un virus ou d’un champignon. Le recours systématique aux produits de lutte chimique provoque une résistance progressive des parasites à ces mêmes produits et installe la filière dans une spirale infernale. Pourtant, la filière tient à la variété Cavendish. En effet, l’ensemble de la filière de production, conditionnement, acheminement et distribution est calée sur les spécificités de cette variété : l’introduction d’une nouvelle variété impliquerait donc d’importants investissements pour réorganiser la filière.

La maladie de Panama [12] avait déjà failli détruire la production dans les années 60 et a contraint la filière à abandonner certaines terres et la variété Gros Michel pour se tourner vers les Cavendish et des terres encore non contaminées (impliquant au passage déforestation et accaparement des terres au détriment des paysans). Mais une nouvelle forme pathogène de ce champignon s’attaque désormais à la Cavendish et inquiète particulièrement la filière. Du fait d’une plus grande diversité génétique, les autres variétés de bananes, bien que touchées, sont moins vulnérables à ce champignon.

Pour le Cirad [13], la combinaison de plusieurs méthodes préventives (nettoyage des outils) et de confinement des foyers, le respect de certaines règles lors de mouvements de matière végétale et la production de vitroplants (plants de bananier sains obtenus en laboratoire [14]) permettent de ralentir efficacement la propagation du champignon, mais il n’existe à ce jour aucun remède chimique pour en venir à bout. L’association STOP OGM Pacifique [15], qui s’intéresse particulièrement aux productions agricoles concernant ces territoires, lance une alerte contre les recherches menées pour produire des bananes génétiquement mutées résistantes à ce champignon, sans savoir toutefois quelle technique précise est utilisée.

Interrogé par Inf’OGM, le département en charge de la gestion durable des bananiers au Cirad nous affirme s’orienter dans la recherche de méthodes alternatives. Il est possible que la mutagénèse soit utilisée par d’autres départements du Cirad à des fins de recherche pour la compréhension des mécanismes, mais le Cirad ne souhaite pas en faire des variétés commerciales.

La recherche sur la banane par le biais de la mutagénèse existe depuis une quarantaine d’années [16]. Plusieurs variétés de bananes mutées sont disponibles sur le marché et concernent l’amélioration de certaines qualités de la banane dans un but économique [17]. On trouve notamment la banane Klue Tom Thong KU1, commercialisée en Thaïlande depuis 1985, issue d’une mutation de la variété Gros Michel afin de produire un régime de bananes plus gros ; la Novaria, commercialisée en Malaisie depuis 1993, issue d’une mutation de la variété Grande naine pour permettre une maturation plus rapide ; et la Al Belly, commercialisée depuis 2007 au Soudan, mutée pour accroître la productivité. Il s’agit ici vraisemblablement de mutagénèse aléatoire. D’autres projets de bananes mutées sont en cours d’élaboration pour répondre à des besoins agronomiques spécifiques de Cuba, Malaisie, Philippines et Sri Lanka. De l’aveu du programme FAO/ AIEA, les recherches en terme de lutte contre ce champignon n’ont pas encore donné de résultats probants.

Pour Alistair Smith, fondateur de l’association Banana Link [18], il est possible de mettre en place des méthodes d’agriculture biologique efficaces, notamment contre ce champignon, mais principalement dans les zones sèches (notamment dans le nord du Pérou et en Équateur). Pour les zones humides, qui représentent la grande majorité des zones de production de la banane, la pression des maladies est très forte. Le Cirad estime qu’il est malgré tout possible de combiner plusieurs méthodes de prévention, de rotation des cultures, de stimulation de l’auto-défense du bananier pour réduire les intrants et obtenir de bons résultats.

Autre menace, autre modification génétique

La banane dessert et légume est également touchée par une bactérie (Xanthomonas wilt) qui tue le bananier et rend ses fruits impropres à la consommation en provoquant un flétrissement de ses feuilles. La FAO préconise un certain nombre de méthodes alternatives pour venir à bout de la bactérie (utilisation de cendre pour traiter le bananier, techniques pour couper le bourgeon mâle sans risque de propager la maladie…), tout en réduisant l’utilisation d’intrants chimiques [19]. La FAO se félicite d’avoir endiguer la maladie dans plusieurs zones concernées, suite à la mise en place de stages pratiques pour former les paysans confrontés à cette maladie. Malgré ces résultats encourageants, des expérimentations de bananes transgéniques rendues résistantes à cette bactérie, par l’insertion de deux gènes issus du poivron, ont été réalisées en Ouganda, notamment par des chercheurs de l’Institut International de l’Agriculture Tropical [20]. Cette variété GM n’est pas encore autorisée à la commercialisation.

Réduction d’intrants chimiques : un enjeu pour la filière

Suite au scandale du chlordécone, le ministère de l’Agriculture et les collectivités locales de Guadeloupe et de Martinique ont mis en place un Plan banane durable [21], avec pour objectif la réduction drastique des intrants chimiques. Ces derniers ont pu être réduits de 50% en une quinzaine d’années, notamment en traitant manuellement de manière plus spécifique et en diversifiant les cultures par l’introduction de canne à sucre. Pour autant, la pression imposée sur les prix par les grands distributeurs ne permet pas de valoriser ces productions plus respectueuses et nuit fortement à l’introduction de tout changement sur les autres territoires producteurs de bananes.

Une autre possibilité serait de développer d’autres variétés de banane sucrée, par croisement, afin de mettre au point des variétés moins sensibles à ces parasites. Cependant, l’amélioration variétale conventionnelle de la banane manque cruellement de moyen, selon Alistair Smith, et il est assez dur d’un point de vue biologique de travailler sur la banane. Il est pourtant essentiel pour la filière de trouver des alternatives, notamment du côté de la sélection conventionnelle de variétés plus résistantes, pour permettre à cette filière de survivre tout en ayant un impact moins négatif sur l’environnement. Le Cirad expérimente notamment la sélection de nouvelles variétés résistantes sur la base de variétés dessert non stériles, autres que la Cavendish.

Non à la monodiète de bananes

Soulignons un paradoxe actuel. Nous venons de voir que la banane était menacée, notamment du fait d’une monoculture, mais certaines organisations humanitaires et technophiles entendent mener des recherches pour créer une banane transgénique pour augmenter sa teneur en vitamine A et lutter ainsi contre une carence qui touche notamment de nombreux enfants et qui peut s’avérer lourde de conséquences (cécité, décès). L’Ouganda et l’Inde, les deux importants producteurs de bananes, sont ciblés pour la diffusion de cette banane. Financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, ce projet rappelle évidement celui du riz doré [22] où, plutôt que de prendre du recul et de réfléchir sur l’économie globale et ses conséquences, on cherche des solutions technologiques sans questionner le système existant. Ce dernier est responsable d’une alimentation de piètre qualité du fait notamment de l’utilisation des meilleures terres pour l’exportation… Ce projet risque d’induire une monodiète de bananes. Or les problèmes de carences viennent justement d’une alimentation peu diversifiée. Comme pour le riz, toucher à la banane, c’est aussi toucher à une production agricole qui assure la sécurité alimentaire de très nombreux pays : en cas de problème, les conséquences peuvent donc être dramatiques. Les plantes génétiquement modifiées (PGM) actuelles – soja, maïs, colza et coton – sont des plantes industrielles, destinées à l’alimentation du bétail, aux agrocarburants et au textile. Hormis le maïs en Amérique centrale, elles ne nourrissent que de façon anecdotique directement les humains. D’ailleurs, un essai sur des étasuniens avaient été prévu, mais en janvier 2015, le chercheur australien annonçait que les tests étaient repoussés pour des raisons relativement opaques [23].

Autre question, les chercheurs de la Queensland University of Technology en Australie, impliqués dans ce projet de « super banane », ont inséré par transgenèse dans la variété locale d’Ouganda un gène en provenance d’une variété de Papouasie Nouvelle Guinée (banane Fe’i Asupina) sans accord préalable ni partage des avantages auprès des populations concernées [24]. Aucun brevet n’a été déposé par le laboratoire de recherche australien, et aucun ne devrait être déposé, cette clause faisant partie de l’accord avec la fondation Gates. STOP OGM Pacifique et Navdanya [25] dénoncent un cas de biopiraterie [26]. En effet ces variétés sont largement cultivées dans cette zone géographique et leurs propriétés connues. Mais comme ni l’Australie ni les États-Unis ne sont signataires du Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages, ils ne risquent pas grand-chose [27]. N’aurait-il pas été envisageable d’utiliser plutôt les 15 millions de dollars de la Fondation Gates pour indemniser les papous et promouvoir une variété traditionnelle de banane riche en vitamine A déjà existante ou de toute autre culture adaptée à la situation du pays (comme c’est le cas par exemple avec la patate douce qui nourrit déjà des milliers de tanzaniens) ? Dans une lettre ouverte à la fondation, l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique préconise en effet de se tourner vers des aliments déjà existants, plutôt que de chercher des solutions techniques coûteuses qui peuvent s’avérer dangereuse [28]. Une solution simple qui profiterait à tous… Sauf aux industries de biotechnologies ?

[1Lassois, L., J& al. « La banane : de son origine à sa commercialisation », 2009

[2Smith, A., La Saga de la banane, vers des filières durables et équitables, 2010, éd CLM.

[4cf. note 3

[5cf. note 4

[6cf. note 3

[10« C’est à ce prix là que vous mangez du sucre en Europe », Le Nègre de Suriname, Candide, Voltaire

[11On pense notamment à la production d’huile de palme, de soja pour nourrir le bétail, l’extraction de métaux précieux utiliser pour les ordinateurs et téléphones portables…

[12Appelée également Fusariose, il s’agit d’une maladie provoquée par un champignon le Fusarium oxysporum sp. Cubense :

http://www.cirad.fr/actualites/toutes-les-actualites/communiques-de-presse/2014/maladie-de-panama

[13cf. note 3

[16FAO : l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’AIEA : L’Agence internationale de l’énergie atomique. http://www-naweb.iaea.org/nafa/pbg/pbg-laboratory.html

[17Moteur de recherche du progamme joint FAO-AIEA : http://mvgs.iaea.org/Search.aspx

[20L. Tripathi et al., « Field trial of Xanthomonas wilt disease-resistant bananas in East Africa », Nature, 2014, volume 32, n°9, pp 868-870

[26Chapelle, S., « Quand Bill Gates finance des « super bananes » OGM », Basta Mag, 12 mars 2015, http://www.bastamag.net/Bananes-OGM-un-nouveau-cas-de-piraterie-des-varietes-traditionnelles

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