n°134 - mai / juin 2015

Science divisée : le politique doit écouter les citoyens

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2015

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Les impacts sanitaires ou environnementaux des plantes génétiquement modifiées (PGM) sont un des sujets récurrents du débat qui dure depuis presque 20 ans. Malgré un fourmillement de publications scientifiques, débats ou avis publiés par des agences nationales d’expertises, la controverse scientifique reste de mise, et face à elle, le monde politique se doit de sortir ce débat du seul cénacle scientifique.

L’année 2014 commençait avec un avis du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) qui relativisait la portée d’un article trop souvent présenté « comme une preuve définitive de l’innocuité des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) », celui d’Agnès Ricroc [1]. Elle se terminait avec la publication d’une autre méta-analyse, celle de Qaim et al. [2], censée apporter la preuve définitive des bénéfices, notamment économiques, liés à la culture de plantes génétiquement modifiées (PGM).

Méta-analyse scientifique : d’importants biais

En novembre 2014, les chercheurs Qaim et Klümper publiaient un article intitulé « Une méta-analyse des impacts des cultures génétiquement modifiées ». Méta-analyse ou travail bibliographique ? Le HCB a déjà, lors de son travail sur l’article d’A. Ricroch, rappelé ce que sont scientifiquement parlant, des méta-analyses : « elles visent à répondre à une question très ciblée en santé humaine et dans le domaine des tests diagnostics. Ces revues sont rédigées par des équipes pluridisciplinaires internationales selon une méthodologie statistique rigoureuse » [3]. Et de renvoyer aux lignes directrices de l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) [4]. Selon l’AESA, une méta-analyse nécessite des questions précises, une méthode de sélection des articles détaillée et une synthèse détaillée des résultats à la base de l’analyse. Dans le cas de l’article de Qaim et Klümper, ces critères semblent remplis bien que la notion de « questions précises » soit assez floue. Les auteurs se sont attachés à étudier des articles portant sur plusieurs OGM (soja, maïs, coton), disposant de plusieurs caractéristiques, pour répondre à plusieurs questions concernant « les impacts de l’adoption des OGM sur le rendement, la quantité de pesticides, le coût des pesticides, le coût total de la production et les profits pour les agriculteurs ». Des questions pour le moins larges et générales…

Les chercheurs ont donc d’abord sélectionné 147 articles publiés dans la littérature scientifique (sur plusieurs dizaines de milliers) en retenant comme critères que les articles soient construits à partir de données issues de sondages auprès d’agriculteurs ou d’essais en champs n’importe où dans le monde, et qu’ils s’intéressent aux impacts du soja, maïs ou coton GM, à l’utilisation de pesticides et aux bénéfices des agriculteurs. On peut d’ailleurs noter ici que 10% des articles utilisés (15 articles) ont comme co-auteur Qaim, un des auteurs de la méta-analyse. Les deux chercheurs de l’université Georg-August à Goettingen en Allemagne, concluaient que leur « méta-analyse met en évidence des preuves robustes des bénéfices liés aux cultures GM pour les agriculteurs des pays développés et en voie de développement ». Selon eux, les cultures GM auraient permis de réduire de 37% les quantités de pesticides utilisées, d’accroître de 22% les rendements et d’augmenter de 68% les profits engrangés par les agriculteurs. « Rigoureuse » pour l’ISAAA [5], démontrant « une fois de plus » les effets positifs des OGM pour EuropaBio [6], cette étude présente des conclusions qui méritent néanmoins d’être relativisées, aux dires de Jack Heinemann, scientifique de l’Université de Canterbury en Nouvelle-Zélande, dans un article publié en novembre 2014 [7].

Première remarque : les études sélectionnées ne reflètent pas la réalité des PGM et donc l’extrapolation réalisée par les auteurs est abusive. Heineman a étudié un tiers des articles sélectionnés (les 55 premiers, pour être précis) par les scientifiques allemands, ce qu’il considère comme un échantillonnage plus que significatif. Conclusion : la quasi-totalité des articles étudiés portent sur trois pays uniquement, l’Afrique du Sud, les États-Unis et l’Inde. Alors que les auteurs annoncent avoir retenu des articles s’intéressant à des situations de terrain « n’importe où dans le monde », généraliser trois pays aux 28 qui cultivent des PGM (selon l’Isaaa) en 2014 paraît donc abusif, d’autant que les pays qui cultivent largement des PGM comme le Brésil, l’Argentine ou le Canada n’en font pas partie. Autre biais : 60% des études portent sur une seule saison de culture, et 100% sur trois cultures (coton, maïs et soja) laissant donc de côté les cultures de canola, betterave, luzerne et papaye GM. Un biais commenté par les auteurs eux-mêmes dans leur article, dû au fait que « le nombre d’études d’impacts disponibles pour ces autres cultures est très petit ». Dernier biais : 80% des études s’intéressaient aux PGM Bt (qui produisent un ou plusieurs insecticides) alors que la majorité des PGM cultivées commercialement sont tolérantes à un ou plusieurs herbicides… Sur ce point, Matin Qaim a précisé à Inf’OGM que « pour ce qui est des données sur la quantité de pesticides, nous avions 108 observations pour des cultures résistantes aux insectes et 13 pour des cultures tolérantes aux herbicides. Pour celles sur le coût lié aux pesticides, nous avions 145 observations pour des cultures résistantes aux insectes et 48 pour des cultures tolérantes aux herbicides ». Ce qui confirme donc le biais dénoncé.

Deuxième remarque : les chercheurs, précise Jack Heinemann, n’ont jamais essayé de faire la part entre les bénéfices liés aux variétés mises en culture et leur caractère GM, précisant que « le caractère GM peut être corrélé avec un meilleur rendement mais cette corrélation n’est pas la démonstration que ce caractère GM est la cause d’un bénéfice ». Enfin, Jack Heinemann souligne qu’une étude de quatre ans sur du coton GM (tolérant des herbicides et/ou résistant à des insectes) dans l’état de Georgie aux États-Unis n’a pas été retenue par les chercheurs allemands. Or cette étude concluait que les cultures GM n’étaient pas « supérieures » aux cultures conventionnelles [8]… Dommage que Qaim et Klümper n’expliquent pas pourquoi cette étude n’a pas été retenue, car ses conclusions sont importantes : « les bénéfices sont plus liés aux rendements [des variétés étudiées] qu’à la technologie de transgenèse ». En d’autres termes, c’est le travail de sélection des cultivars qui a induit des bénéfices pour les agriculteurs, pas leur caractère transgénique de tolérance à des herbicides ou résistance à des insectes.

Qaim est un habitué des extrapolations et des controverses médiatiques. En 2003, il n’hésitait pas à affirmer que le rendement du coton Bt en Inde était de 80% supérieur à celui du coton conventionnel. Cet article [9] avait largement été critiqué, même par des partisans des biotechnologies végétales, car il se basait sur peu de données, provenant de plus uniquement des résultats d’essais réalisés par Monsanto et Mahyco, sa filiale indienne.

Il faut noter ici que le Comité scientifique du HCB n’a, pour le moment, pas encore été saisi pour se pencher sur la méta-analyse de Qaim afin d’établir son sérieux, contrairement à ce qui avait été fait pour l’article de G.-E. Séralini en 2012 [10] ou, suite à une saisine de la sénatrice Marie-Christine Blandin, pour l’article d’Agnès Ricroch [11]

Séralini et Zhu : deux poids, deux mesures ?

Le cas de l’article de G.-E. Séralini et de son équipe a refait la Une en décembre 2014. Publié en septembre 2012, dépublié en novembre 2013, republié en juin 2014 dans la revue Environmental Sciences Europe [12], cet article est de ceux qui défrayent la chronique. Suite à cette re-publication, la direction des fraudes (DGCCRF) a demandé à l’Anses de « préciser si ces nouveaux éléments sont de nature à remettre en cause l’avis initial de l’Agence du 19 octobre 2012 ». Et l’Anses de répondre négativement, confirmant donc son avis antérieur qui estimait que le travail présenté ne permettait pas de conclure à une toxicité du maïs génétiquement modifié NK603, traité ou non avec l’herbicide Roundup [13]. L’Anses a notamment réagi aux nouveaux traitements statistiques des données « sur les incidences de tumeurs » en considérant que cette nouvelle information « n’apporte donc pas d’élément probant par rapport aux questions » soulevées dans son avis de 2012.

Ce nouvel avis n’éteint donc pas la controverse née fin 2012 et dont Inf’OGM s’était fait l’écho, à savoir que les critiques portées à l’étude de Séralini sont valables pour toutes les analyses fournies par les entreprises pour obtenir une autorisation commerciale. Car les rats utilisés par Séralini et les entreprises sont de la même race, le nombre de rats est le même, le régime alimentaire auquel Séralini a soumis « ses » rats est meilleur et enfin, les critiques sur le travail statistique de Séralini sont valables pour de nombreuses (si ce n’est toutes) études des entreprises.

C’est pourquoi, dans une lettre du 19 décembre 2014 [14], le chercheur G.-E. Séralini dénonce le manque de transparence : si l’Anses a demandé à G.-E. Séralini toutes les données brutes de son travail, elle n’a jamais rendu publiques celles fournies par les entreprises. G.-E. Séralini demande finalement « la révélation publique immédiate, en 2014, de toutes les données que possède l’Anses lui ayant permis de ne pas croire à un risque de santé publique pour ce maïs [NK603] transgénique ou pour le roundup ».

Le chercheur français a-t-il raison de dénoncer « deux poids deux mesures » ? Les faits semblent lui donner raison. La revue qui dépublia Séralini n’a pas jugé bon d’en faire autant avec l’article de Zhu. Or, selon le GIET, les conclusions de cette étude – à savoir l’innocuité sanitaire du maïs GM tolérant les herbicides à base de glyphosate – n’étaient pas justifiées par les analyses conduites, notamment du fait de l’absence d’information sur la puissance statistique de l’étude menée [15]. Comment avancer sereinement dans un tel débat scientifique ?

300 scientifiques dénoncent un consensus inexistant

Aux États-Unis, au moment de l’autorisation de la pomme cisgénique « Arctic » [16], les médias en ont profité pour affirmer qu’il existait maintenant un consensus scientifique sur les risques liés aux OGM. De quel consensus parle-t-on ? Existe-t-il vraiment ? Trois cents « scientifiques, médecins, académiciens et experts des disciplines relevant des aspects liés à l’évaluation scientifique, légale, sociale et sanitaire des organismes génétiquement modifiés » ont alors publié une tribune dans le journal Environmental Sciences Europe [17] pour affirmer et démontrer que ce fameux consensus n’est qu’ « une construction artificielle faussement perpétuée ». Les auteurs et signataires rappellent donc qu’il n’existe aucun consensus, que ce soit pour affirmer l’absence de risque ou l’inverse. L’absence de consensus au niveau sanitaire vient notamment de l’absence d’étude épidémiologique – étude impossible à faire scientifiquement en l’absence d’étiquetage en Amérique du Nord rappellent les auteurs -, du fait que plusieurs groupes d’experts (la société royale canadienne ou l’association britannique médicale) ont émis des réserves, et du fait que « plusieurs centaines d’articles » se voient attribuer à tort la conclusion d’absence d’impact des OGM sur la santé. Enfin, ces risques potentiels des OGM sont, selon les signataires, à la base même des accords internationaux qui régissent l’évaluation des risques pré-commercialisation tels que le Protocole de Carthagène ou les lignes directrices d’évaluation des risques liés aux OGM du Codex Alimentarius.

Revenant sur l’exemple de la pomme Arctic, Michael Hansen, de l’Union étasunienne des consommateurs (Consumers union), explique que « aucune étude publique indépendante n’a été conduite sur la sécurité sanitaire de la pomme Arctic et pourtant, certains médias affirment qu’il est prouvé qu’elle est sans risque. Nous demandons aux médias de faire état de la science sur les OGM, notamment en ce qui concerne les inquiétudes émises par des scientifiques sur les aspects sanitaires et environnementaux ». Pour les auteurs et trois cents signataires, « les résultats de recherches scientifiques sur la question sanitaire des OGM sont nuancés, complexes, souvent contradictoires ou non concluants […] et, en général, soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponse ». A l’instar des entreprises, ces scientifiques souhaitent donc que les décisions relatives aux OGM soient basées « sur des résultats scientifiques solides, obtenus de manière honnête, éthique, rigoureuse, indépendante, transparente... ».

A elle seule, la « bonne science » ne suffit pas

Si tout le monde souhaite finalement avoir des données scientifiques issues d’une « bonne science », ces controverses montrent que cette « bonne science » a plusieurs visages et que le consensus n’est pas de mise… si toutefois il est possible. S’il est vrai que l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) impose que les décisions politiques soient prises sur la base de données scientifiques – au risque sinon d’être considérées comme des entraves au commerce – le fonctionnement de nos sociétés a bel et bien mis la balle dans le camp du politique : les groupes d’experts (pas que scientifiques d’ailleurs !) conseillent, le politique décide. Et ce monde politique, comme la société dans son ensemble, se doit de ne pas considérer les seules données scientifiques. La science est un outil de décision pour les politiques, mais il ne faut pas oublier que le dossier OGM est également, sinon surtout, une question de choix sociétal. Gardons en mémoire que la recherche ne peut apporter que des certitudes « momentanées », toujours sujettes à remise en cause. Elle vit des questions que les chercheurs se posent. Et d’autre part, cette même recherche est ancrée dans un contexte socio-politique : elle est dépendante des financements… et c’est l’industrie qui a le plus d’argent à mettre dans cette bataille. Sur ce dernier point, les signataires de la tribune sur l’absence de consensus rappellent d’ailleurs qu’en 2007, un article [18] montrait que les désaccords « parmi les scientifiques sur les risques environnementaux des OGM [peuvent] être mis en corrélation avec leurs sources de financement ». Et de résumer que «  les scientifiques recevant des financements de l’industrie […] étaient très susceptibles d’avoir une attitude positive envers les cultures génétiquement modifiées […] tandis que les scientifiques financés par l’État et travaillant indépendamment des sociétés développant des cultures GM […] étaient plus susceptibles d’avoir une attitude « plutôt négative » ». Une problématique de « noyautage » de la recherche par l’industrie qu’Inf’OGM a déjà abordée [19].

Pour revenir à la seule question des données scientifiques publiées, tout le monde semble se retrouver sur le terrain de la nécessaire qualité scientifique du travail effectué et des articles publiés. Mais le débat OGM nous a permis d’être témoin que cette qualité n’est pas jugée de la même manière selon les résultats. Ces « biais » du monde de la science (controverse, dépendance au financement, lecture partielle ou partiale des articles…) représentent une limite importante quant à son rôle dans un débat de société. Il est dès lors nécessaire de rappeler que le rôle du monde politique est de baser ses décisions sur des choix réels de société, à partir de considérations sociales, éthiques, économiques et scientifiques. Mais pas sur une seule de ces composantes. Pour se faire, le monde politique dispose de plusieurs outils tels que les conférences de citoyens. Outil de choix démocratique, ces conférences permettent de sortir les décisions d’un débat tel que celui sur les OGM du seul cadre des experts et des politiques. Mais ces citoyens, réunis sur un thème particulier, feront face aux mêmes limites inhérentes à la science. L’ambition d’un débat serein ne doit donc pas se trouver uniquement au niveau des données scientifiques. Une chose dont Inf’OGM est sûre : il faut, avant tout débat, un accord des citoyens à la fois sur la question posée, et sur les modalités du débat, en bref, un « débat sur le débat ». L’Anses s’est d’ailleurs dite intéressée par cette approche.

[2« A Meta-Analysis of the Impacts of Genetically Modified Crops », Qaim M. et al., PLoS ONE, 2014, 9(11) : e111629. doi:10.1371/journal.pone.0111629

[4« Application of systematic review methodology to food and feed safety assessments to support decision making », EFSA Journal 2010 ; 8(6):1637

[6Green Biotech revolutions Newsletter, EuropaBio, janvier 2015

[7Heinemann J, « Correlation is not causation », 2014, http://rightbiotech.tumblr.com/post/103665842150/correlation-is-not-causation

[8Jost, P. et al., « Economic comparison of transgenic and nontransgenic cotton production systems in Georgia » 2008, Agron J 100:42-51

[11cf. note 1

[12Séralini G.-E. et al., « Republished study : long-term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Environmental Sciences Europe, Juin 2014, 26:14

[17Hilbeck A. et al., « No scientific consensus on GMO safety », Environmental Sciences Europe (2015) 27:4

[18Kvakkestad, V., et al., « Scientistsʼ perspectives on the deliberate release of GM crops », Environmental Values, 2007, 16(1) : 79-104

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