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OGM en Suisse : les cantons font pression sur le fédéral

Par Christophe NOISETTE

Publié le 27/03/2015

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Le 18 mars 2015, après un débat de plus de quatre ans, le canton francophone de Fribourg a décidé de modifier la loi agricole cantonale pour y introduire une interdiction de cultiver des plantes génétiquement modifiées (PGM). C’est surtout la question des essais confinés qui a divisé les élu-e-s. Dans d’autres cantons, de telles décisions ont aussi été prises, parfois plus facilement.

La Suisse a voté un moratoire sur la culture des plantes transgéniques en 2005 [1]… Il a déjà été renouvelé trois fois [2] [3] [4]… mais ce moratoire prendra fin en 2017. D’ici là, pour peser sur le débat fédéral, plusieurs cantons ont décidé de se mobiliser. Ils réclament une interdiction fédérale, ou, à défaut, le droit d’interdire ces cultures tant décriées sur leur territoire. Si l’interdiction des cultures commerciales semblent quasi acquise, celle des cultures expérimentales (en milieu ouvert ou confiné) fait débat.

Pour le canton de Fribourg, tout a commencé en septembre 2011 quand deux députés socialistes, Nicolas Repond et Dominique Corminboeuf, ont déposé la motion M1133.11 qui visait à modifier la loi cantonale sur l’agriculture pour y introduire l’interdiction de toutes les cultures transgéniques, à but commercial ou expérimental. A ce moment-là, le moratoire fédéral était toujours d’actualité. Il a fallu beaucoup de persévérance à ces députés pour arriver à une décision, en bonne et due forme face à un Conseil d’État (le gouvernement cantonal) [5] qui jugeait que le moratoire fédéral sur les OGM était largement suffisant. Le CE a donc essayé (cf. encadré ci-dessous) de temporiser l’inscription de l’interdiction dans la loi. Pour Nicolas Repond, deux éléments expliquent, entre autres, cette réticence : « Ce canton est considéré comme un très bon élève au niveau fédéral. Or, la motion montre que son parlement n’a pas les mêmes visions de bon élève et n’a pas peur d’être en contradiction avec le droit fédéral (surtout après le moratoire) », et, bien entendu, le CE « a peur que cette inscription dans la loi décide d’éventuelles entreprises biotechnologiques ou agroalimentaires de ne pas s’installer dans le canton ». Au contraire, pour les partisans de l’interdiction cantonale, «  le CE ne comprend donc pas que c’est une chance du canton de Fribourg, dont les entreprises et fédérations spécialisées dans les produits du terroir sont réputées (Gruyère AOP, Vacherin fribourgeois AOP, poire à Botsi AOP, etc.), sans compter d’autres entreprises également réputées dans l’alimentation ». Les parlementaires souhaitaient défendre cette agriculture de qualité et aussi envoyer un signal fort à Berne.

Le face à face entre le parlement et le gouvernement cantonal


La motion est déposée en septembre 2011. Mais en avril 2012, le Conseil d’État de Fribourg l’a refusée : bien que « conscient des risques d’une part que représente la technologie OGM et d’autre part de ceux qui sont liés aux monopoles semences » [6], il voulait « éviter de proposer au Grand Conseil (le Parlement cantonal) un projet de loi qui n’aurait aucune portée pratique, voire serait contraire au droit fédéral ».

En juin 2012, le Grand Conseil accepte la motion à une large majorité (45 oui, 26 non et 5 abstentions). Mais le Conseil d’État n’en démord pas : il insiste auprès du bureau du Grand Conseil pour que cette motion soit repoussée à 2017, ce qui est accepté (en novembre 2013). Les députés n’en reviennent pas, mais restent déterminés.

Ainsi, le 18 février 2014, les deux députés décidaient d’utiliser une autre stratégie (le mandat) pour contraindre le Conseil d’État à obtempérer et à légiférer sans attendre.

En juin 2014, le Grand Conseil, en plénière, accepte ce mandat à une très forte majorité (66 pour, 25 contre).

En février 2015 [7] [8], lors des débats parlementaires, la modification de la loi agricole est interrompue : le dépôt de l’amendement « Mutter – Schönenwied », qui précise que cette loi ne s’appliquerait qu’à l’agriculture et laisserait possible la recherche en milieu confiné, « sème le trouble », selon les mots de M. Repond, et l’examen de cette interdiction des OGM est renvoyé à la session parlementaire de mars…

Pas d’exception pour la recherche agricole

Interrogée par Inf’OGM, Christa Mutter précise que son amendement a été proposé pour contrer l’introduction de « formulations radicales, interdisant tous les OGM sur le territoire du canton ». Elle nous précise que ce texte « aurait pu être utilisé pour limiter la recherche dans d’autres domaines que l’agriculture ». Elle nous signale ainsi que l’Union démocratique du Centre (UDC) « utilise actuellement tous les moyens pour limiter la liberté d’action de l’université ». On est loin du débat sur les OGM agricoles.

En effet, il y a clairement un désaccord entre les députés, entre eux, et avec le Conseil d’État, sur les limites de cette interdiction. Le député Dominique Corminbœuf (PS) qui soulignait qu’il fallait « frapper fort pour montrer au Conseil fédéral et au Parlement que le peuple et les cantons ne veulent pas de produits transgéniques », plaidait pour une interdiction totale des cultures transgéniques. Mais Marie Garnier (Verts), conseillère d’État, soulignait que « la culture des OGM présente des risques mais nous ne devons pas décourager la recherche ». Cette position gouvernementale peut s’expliquer par l’arrivée imminente dans le canton d’une station de recherche agricole publique (Agroscope). Le député nous précise donc : « le gouvernement est contre notre proposition car, bien sûr, il pense que notre motion pourrait porter préjudice à cette implantation ».

Le député Corminboeuf se désole de l’attitude des Verts fribourgeois. Certes, nous précise-t-il, Marie Garnier « n’avait pas d’autre choix que d’être la porte-parole du gouvernement, (…) mais elle aurait pu demander à ses collègues du gouvernement de se dessaisir du dossier et elle ne l’a pas fait ». Et d’ajouter que c’est aussi une Verte, Madame Christa Mutter, qui a déposé un amendement pour autoriser la recherche sur les OGM en milieu confiné.

Le 11 février, en première lecture, le Grand Conseil a voté, à une faible majorité (trois voix d’écart), l’interdiction des OGM et l’amendement « Mutter » qui prévoyait une exception pour la recherche en milieu confiné. Du fait de cette faible majorité, l’amendement avait été soumis à une seconde lecture… qui lui a été fatal [9].

Finalement, le 18 mars, le Grand Conseil a introduit dans la loi agricole cantonale (88 voix pour, 2 contre et 8 abstentions) le paragraphe suivant (Art. 3, Al. 2) : « l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés est interdite sur l’ensemble du territoire du canton de Fribourg pour la production des aliments, des végétaux, pour le fourrage et pour les soins des cultures et des animaux ».

Cependant, il ne s’agit que d’un signal, car la loi fédérale prime sur la cantonale. Ainsi, si des essais en champs sont autorisés par le gouvernement suisse, le Canton de Fribourg ne pourra pas s’y opposer.

Dernière précision, il s’agit d’une interdiction inscrite dans la loi agricole, ainsi, de fait, la recherche sur les OGM non agricoles, comme la production de vaccins pour la santé humaine, reste légale. Ces derniers OGM sont gérés par la loi sur le génie génétique et sont autorisés au niveau fédéral.

Au-delà de Fribourg…

Des débats relativement similaires ont eu lieu dans d’autres cantons francophones, aboutissant à des interdictions locales, comme dans le canton du Tessin, de Neuchâtel, de Vaud, de Genève et du Jura. Le député Nicolas Repond nous signale avoir établi des contacts avec trois cantons alémaniques – Berne, St-Gall, Zürich et Valais – qui souhaitent aller dans le sens d’une interdiction au niveau du canton. Ainsi, il conclut : « les alémaniques, qui sont d’ailleurs plus portés sur le bio que les romands, devraient suivre. Enfin, les Grisons (un canton trilingue : allemand, italien et romanche), qui ont une agriculture presque entièrement bio, devraient également suivre le pas ». Propos que modère son collègue Corminboeuf qui considère, lui, que l’engagement des Romands contre les OGM reste plus massif…

Juridiquement parlant, les cantons ne peuvent pas être plus restrictifs que le droit fédéral. Autrement dit, si la loi fédérale n’interdit pas les expérimentations en champ, les cantons devront eux aussi les autoriser… Mais ces décisions pèseront sur le débat fédéral sur les OGM qui reprendra courant 2016. En tout cas, c’est ce à quoi veut croire Nicolas Repond : « Nous sommes certains qu’il serait mal venu de la part de la confédération d’exiger de faire de la recherche ou des tests de cultures OGM sur le territoire fribourgeois après cette modification de la loi agricole, même après la fin du moratoire. La Suisse est tout de même différente de la France où le pouvoir est central. L’esprit suisse qui donne le pouvoir au peuple est plus fort que le pouvoir de Berne. Ainsi, le vote des gouvernements fribourgeois et tessinois, qui sont les deux seuls cantons à ne pas avoir émis de restriction de réserve de droit fédéral, sonnent comme un réelle volonté populaire de ces deux cantons contre les OGM. Le Tessin l’a fait pour sauver son maïs pour la polenta, plat capital au Tessin. Il suffirait d’avoir encore quatre ou cinq cantons qui suivent et le tour serait joué ». Le Parlement fédéral entendra-t-il vraiment ce message ? Rendez-vous en 2017 pour le savoir.

[5Le Conseil d’État est le nom des gouvernements cantonaux en Suisse romande, à l’exception du Canton du Jura où il se nomme « gouvernement » et du Canton de Berne qui l’appelle « conseil exécutif »… A ne pas confondre avec le Conseil des États, qui est la chambre haute de l’Assemblée fédérale helvétique

[9L’amendement Mutter/Schoenenweid a été rejeté par 74 voix contre 20

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