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OGM : le HCB est mort, vive le HCB !

Par Pauline VERRIERE

Publié le 19/03/2015

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Après plusieurs mois d’attente et de discussions entre les différents acteurs, la nouvelle formation du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) s’est enfin réunie, le 6 février 2015, pour entamer son deuxième mandat. Cette institution, chargée d’éclairer le gouvernement français sur les questions de biotechnologies et d’OGM, a connu depuis sa naissance de fortes turbulences. Est-ce que les changements de ses méthodes de travail et de sa composition permettront à ce Conseil de restaurer une confiance et un équilibre entre les acteurs ? Alors que certains s’inquiètent d’un possible affaiblissement de la société civile, sa nouvelle présidente, Christine Noiville, elle, veut y croire. Visite guidée du nouveau HCB.

Créé par la loi de 2008 sur les OGM [1], le Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) accompagne le gouvernement français en rendant des avis et recommandations sur les différentes questions dont il peut être saisi ou se saisir lui-même : une demande d’autorisation d’importation ou de mise en culture d’un OGM, un projet de réglementation au niveau français (étiquetage sans OGM), un essai en matière de thérapie génique… Composé de deux instances, le Comité scientifique (CS) et le Comité économique, éthique et social (CEES), le HCB s’intéresse autant aux OGM en milieu confiné qu’aux OGM destinés à être disséminés dans l’environnement.

Son premier mandat, débuté en 2009, s’est achevé le 30 avril 2014. Mais en 2012, le CEES du HCB faisait face à la démission de plusieurs structures [2] favorables aux biotechnologies végétales. La FNSEA expliquait son départ par « une fracture irréductible entre ceux qui recherchent un compromis équilibré, un dialogue constructif, et ceux qui, par dogmatisme, refusent – même au stade de la recherche et de l’expérimentation – le principe même de la coexistence » [3]. Sur les 26 membres que comptait le CEES, seulement cinq n’étaient pas satisfaits des discussions et avaient alors décidé de ne plus prendre part aux débats (Association nationale des industries agro-alimentaires, la FNSEA, les Jeunes agriculteurs, le GNIS et la CFDT). « En dehors des syndicats agricoles en faveur d’un modèle productiviste et des représentants de l’industrie agro-alimentaire et semencière », souligne Patrick de Kochko, alors membre du CEES pour les Amis de de la Terre, « tous les autres représentants de la société civile, organisations paysannes, biologiques, apicoles, associations de protection de l’environnement, associations de consommateurs, politiques divers, ont continué de vouloir discuter de l’intérêt ou pas de ces nouvelles technologies pour la société au sein du HCB »… Le HCB a donc continué de fonctionner en version réduite jusqu’à la fin de son mandat, produisant plusieurs avis et recommandations [4].

Au moment de son renouvellement, fin 2014, de nombreuses discussions ont eu lieu pour déterminer le futur visage de ce HCB et permettre le retour des structures démissionnaires en 2012.

Nouvelle composition : plus nombreux, mais sont-ils plus divers ?

Ce nouveau HCB marque donc le retour des membres démissionnaires de 2012, un retour « âprement » négocié. Ces derniers ont, selon nos propres informations, notamment refusé que Frédéric Jaquemart – représentant de l’association France Nature Environnement (FNE) lors du mandat passé du HCB et ancien vice-président du CEES [5] – puisse accéder au poste de président du CEES et continuer son travail sur les questions d’éthique générale, en raison de son positionnement assumé contre les OGM. C’est finalement Claude Gilbert, membre du Réseau Risques et société [6], réseau dont Christine Noiville fait également partie, qui tient le rôle de président du CEES. L’ancienne présidente du CEES, Christine Noiville, devient quant à elle présidente du HCB, aux côtés du président du CEES et de Jean-Christophe Pagès, médecin, président du Comité scientifique (CS). Le renouvellement du Président du CS a aussi fait grincer des dents. Son « précédent mandat a montré combien il était imprégné de la cause des entreprises de biotechnologies », rappellent les associations dans une lettre ouverte, qui demandaient alors la nomination « d’une personne qui apporte davantage de garanties d’impartialité ». Et d’ajouter que ce dernier avait « systématiquement minimisé ou gommé » les critiques faites sur les plantes génétiquement modifiées (PGM), ce que dément Jean-Christophe Pagès, qui refuse d’être catégorisé : « je ne me suis jamais ressenti comme pro ou anti-OGM », a-t-il d’ailleurs précisé à Reporterre [7]. Pour des questions d’équilibre, le législateur n’aurait-il pas dû traiter la candidature de J.-C. Pagès comme celle de F. Jacquemart ?

Courant septembre 2014, un premier texte est venu modifier la composition théorique du HCB [8], puis un deuxième texte a désigné nommément, fin décembre 2014, les membres et l’organisation qu’ils représentent au sein du HCB [9].

Le CEES a ainsi vu le nombre de ses membres augmenter, passant de 26 à 33 membres [10]. Ainsi, siègeront désormais deux organisations professionnelles de la semence (Réseau Semences Paysannes (RSP) et l’Union française des semenciers (UFS), cette dernière représentant l’industrie semencière), un représentant des distributeurs (en l’occurrence ici un représentant de Carrefour), une troisième association de consommateurs, et une sixième organisation professionnelle agricole. En revanche, le représentant du Haut Conseil de la santé publique perd sa place. Enfin, le nombre de sièges pour les personnalités qualifiées « en raison de [leurs] compétences juridiques », « économiques » ou « en sociologie » a également augmenté (passant de trois à six).

Autre différence, les deux comités sont désormais dotés de deux vice-présidents (contre un seulement auparavant) dont l’élection ne se fera plus à la majorité absolue mais par « un scrutin uninominal majoritaire à un tour ». Avec ce changement de scrutin, l’élection est facilitée en cas de désaccord, la majorité relative étant plus simple à obtenir.

Interrogée par Inf’OGM, Christine Noiville, la nouvelle présidente du HCB, explique ces quelques modifications par la volonté des pouvoirs publics de mettre en place une meilleure représentation de l’ensemble des sensibilités françaises sur la question des biotechnologies au sein de cette instance. L’augmentation du nombre de vice-présidents s’explique, pour la présidente, par la nécessité d’avoir un plus grand pluralisme au bureau du HCB, et « éviter ainsi tout risque de fonctionnement qui pourrait être clivant ».

Frédéric Jacquemart estime, au contraire, que la nomination d’un plus grand nombre de vice-présidents aura surtout pour effet une dilution des voix des anti-OGM au sein du bureau du HCB. En tant que vice-président, il faisait face à quatre personnes, contre six aujourd’hui. Les divergences pourraient ainsi se retrouver effacées par la majorité.

Plus fondamentalement, au-delà des questions de personne, le rôle du HCB n’est pas nécessairement de produire des avis et recommandations consensuels, mais au contraire de faire apparaître les points de divergence et ceux sur lesquels il y a accord. Ainsi, supprimer les clivages existants revient à donner une prédominance à une des tendances clivantes et, surtout, revient à remettre en cause l’approche original de ce conseil, une approche qui diffère fondamentalement de celle mis en place à l’Agence européenne de Sécurité alimentaire (AESA) [11]. Une diversité d’opinion obligeait le gouvernement à faire un choix politique, ne pouvant ainsi se dédouaner derrière une expertise.

Lors de la séance d’ouverture de mandat du HCB, le 6 février 2015, deux vice-présidents du CS ont été élus : Pascal Boireau (vétérinaire) et Claudine Franche (biologiste végétale travaillant notamment sur les biotechnologies), ainsi que deux vice-présidents du CEES : Patrick de Kochko (RSP) et Jean-Christophe Gouache (UFS et directeur des affaires internationales de Limagrain) [12].

Avec cette nouvelle composition, l’équilibre tant recherché semble un peu mis à mal notamment au CS. Outre la présidence controversée de Jean-Christophe Pagès, Pascal Boireau et Claudine Franche, par exemple, ont signé une pétition qui affirmait que la coexistence est possible entre agriculture transgénique et bio et qui demandait donc la levée du moratoire sur le maïs MON810 [13].

Travailler de façon plus « générique »

Pour Christine Noiville, les travaux devraient prioritairement s’orienter vers la question des variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH), des nouvelles technologies de modification du vivant, des insectes GM, de la brevetabilité des plantes, de la transparence, de l’expertise et de l’évaluation des impacts socio-économiques. Le HCB doit également travailler sur la saisine du député Accoyer et du sénateur Bizet sur la justification scientifique de l’interdiction de culture du maïs MON810 [14]. Certains de ces dossiers ont déjà fait l’objet d’une saisine du HCB.

Lors de la première réunion de ce nouveau HCB, Christine Noiville a également présenté les nouvelles orientations dans la méthodologie de travail de l’instance [15]. La nouvelle présidente souhaite tout d’abord une rationalisation du temps accordé à chaque dossier en travaillant « de façon plus générique, par type de dossier » en établissant « une doctrine sur un certain nombre de points récurrents », reprenant ainsi une vieille idée datant de 2010 [16]. Pour autant, comme le souligne Patrick de Kochko, le droit européen impose, comme par exemple pour l’autorisation de nouvelles PGM, des études au cas par cas. « La difficulté sera d’évaluer les différences entre les dossiers qui se ressemblent (plante Bt, résistantes à plusieurs herbicides) mais peuvent avoir quand même des conséquences sociales ou éthiques différentes », précise encore P. de Kochko.

Une cellule pour éclairer le CEES ou le réduire à néant ?

Christine Noiville souhaite également que le HCB acquière une expertise notamment « en matière d’impacts socio-économiques » et aille « plus loin sur le terrain de l’éthique », un travail initié par Frédéric Jacquemart et qui devrait donc se poursuivre sans lui.

Il est ainsi envisagé la constitution d’une cellule [17] composée de différents « experts » pour appuyer le CEES sur les questions socio-économiques. Pour l’instant, les discussions n’ont pas permis de trouver un consensus sur ses contours. « Pourtant, constate Christine Noiville, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’apporter des réponses aux nombreuses questions techniques qui émergent des débats du CEES, et qui jusqu’à présent restaient sans réponse ».

Mais le rôle du CEES n’est-il pas déjà d’apporter un éclairage sur les questions d’ordre socio-économiques ? L’attribution d’un travail d’expertise à d’autres personnes qu’aux membres du CEES ne risque-t-elle pas d’affaiblir le poids de ce second comité ? Patrick de Kochko reconnaît que la mise en place d’une telle cellule d’expertise serait utile si elle venait en appui au CEES, notamment en préparant un travail documentaire. Mais, pour lui, elle ne doit en aucun cas venir encadrer les réflexions du CEES, au risque d’en vider toute la substance… Pour lui, cette cellule ne doit pas, par exemple, pouvoir émettre des recommandations au même titre que le CEES, comme cela a été un temps envisagé. Elle ne doit en aucun cas se substituer au CEES. La force et l’originalité du CEES tient en effet à la présence de différentes parties prenantes, et notamment de structures portant la voix des citoyens, pour que le débat sur les OGM ne se cantonne pas à la seule appréciation des experts et sur le fondement erroné que la science serait neutre… Quant au CS, il n’est pas question que les parties prenantes participent à leur débat, même si d’après Christine Noiville, cette question a déjà été soulevée.

Le HCB au cœur du nouveau dispositif européen

Les modifications récentes de la directive 2001/18 devraient permettre à un État de justifier ses interdictions nationales de cultures avec des motifs autres que scientifiques [18]. L’État est censé pouvoir évoquer des motifs comme l’aménagement du territoire, les incidences socio-économiques, les problèmes de contaminations de filières protégées, etc. L’articulation du rôle du HCB dans cette modification de la réglementation européenne et dans sa transposition française doit donc également faire l’objet d’une réflexion en interne. Cette évolution du droit européen devrait ainsi inciter le législateur français à renforcer le rôle du CEES. Autant de sujets qui intéressent le CEES, et non le CS, puisque les arguments scientifiques, dont ce dernier s’occupe, ont été volontairement évincés de cette nouvelle procédure. Ainsi, dans un moment où l’Europe reconnaît l’importance de considérer les critères économiques et sociaux, comment le HCB va-t-il répondre à cette évolution du droit européen ? En renforçant le CEES et la parole des parties prenantes ? Ou en renforçant le rôle des experts et d’une prétendue neutralité scientifique ?

[5mais aussi ancien président d’Inf’OGM

[6Association avec de nombreux chercheurs du CNRS. Cf.

http://www.net1901.org/association/RESEAU-RISQUES-ET-SOCIETE-R2S,14715.html

[11L’AESA, elle, publie des avis unanimes

[17Cette cellule ne doit pas être confondue avec la possibilité de créer des sous-comités, nouveauté apportée par le décret de septembre 2014. Christine Noiville nous précise qu’actuellement des sous-comités ne sont envisagés qu’au sein du CS pour étudier les très nombreux dossiers de demande d’agrément d’utilisation d’OGM en milieu confiné. Entre 2009 et 2014, « le CS du HCB a rendu plus de 4000 avis de classement correspondant aux projets inclus dans les dossiers de demande d’agrément de recherche ou de production industrielle pour l’utilisation confinée d’OGM », lit-on sur le site du HCB

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