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16 ans de contaminations d’OGM : impossible coexistence

Par Eric MEUNIER

Publié le 01/12/2014

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Certains gènes ou graines de plantes génétiquement modifiées (PGM) peuvent se retrouver là où ils ne devraient pas. On parle alors de contamination (cf. Qu’appelle-t-on la coexistence des filières OGM / non OGM ?). Ces PGM peuvent se disséminer aux champs, en se croisant avec des plantes apparentées, mais aussi tout au long de la filière (transport, stockage, transformation, etc.). Un bilan exhaustif de la présence non désirée ou illégale de transgènes dans des productions agricoles, alimentaires ou autres, est difficile, voire impossible, à réaliser. Greenpeace et Genewatch, deux associations environnementalistes, proposent néanmoins un suivi des cas de contaminations commerciales. Ces associations ont dénombré 396 contaminations par des PGM dans 63 pays entre janvier 1997 et décembre 2013.

Seule l’Union européenne dispose d’une base de données de suivi des cas de contamination répertoriés sur son territoire [1]. Ce constat a motivé deux associations, Greenpeace et Genewatch, à mettre en place un registre international qui recense les cas connus de contamination (http://www.gmcontaminationregister.org). Et selon ces deux associations, 396 cas de contamination ont été recensés entre 1997 et 2013 [2]. Mais ce chiffre est à lire comme un minimum. En effet, ce registre n’est, par définition, pas exhaustif. Plusieurs facteurs limitent son alimentation.

Le riz transgénique gagne haut la main

Selon le registre mis en place par ces deux associations, le riz tient la première place (34%) avec notamment deux variétés de riz transgéniques qui prédominent (les riz LL et Bt63), en provenance des États-Unis et de Chine. Viennent ensuite, en pourcentage des cas de contamination rapportés, le maïs (25%) qui s’est distingué avec notamment la contamination par du Bt10 en 2005 [3], le colza (10%) et le soja (9%). Le tableau 1 rend compte synthétiquement des cas de contaminations répertoriés. A noter que pour la France seule, ce sont 24 cas de contamination qui ont été recensés, soit 6% du nombre total de cas de contamination recensés dans le monde.

Le registre signale neuf cas de contaminations par des animaux. En 2007, Inf’OGM avait rapporté le cas du poisson transgénique Coral Pink Danio retrouvé au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Pays-Bas [4]. Le registre mentionne aussi la présence de ce même poisson en Nouvelle-Zélande en 2007 et vendu dans des boutiques spécialisées, ainsi que la présence d’un autre poisson GM, le medaka GM, retrouvé au Japon en 2006.

Enfin, le registre mentionne quatre cas de contaminations par des cochons génétiquement modifiés : deux cas au Canada où des cochons GM ont été transformés en farine pour animaux en 2002 et en 2004 et deux cas aux États-Unis où, d’une part, 386 cochons GM expérimentaux ont été revendus à une entreprise de production d’aliments pour animaux entre avril 2001 et janvier 2003 et, d’autre part, trois cochons GM transformés en saucisses destinées à l’alimentation humaine en 2001.

Une méthodologie qui minimise le nombre de contaminations

Pour alimenter le registre, les associations se sont astreintes à une méthodologie assez stricte : ont été retenus les cas de contamination renseignés par les producteurs d’OGM, les autorités officielles d’un pays, les ONG, les médias « réputés » (Reuters, AFP…) et répercutés en anglais. Les deux associations ont également fait le choix de considérer comme un seul cas de contamination la présence d’un OGM non désiré dans un pays au cours d’une année. Ainsi, quatre détections de riz Bt63 dans l’Union européenne en 2009 sont comptabilisées comme un seul cas de contamination.

Enfin, concernant les OGM eux-mêmes, trois cas de contamination peuvent se présenter : les OGM jamais autorisés dans le monde (riz LL, Bt 63), les OGM autorisés dans un pays mais pas dans d’autres (les maïs MON89034 et Mir162 autorisés aux États-Unis mais retrouvés respectivement en 2010 et 2013 dans des importations en Chine où ils ne sont pas autorisés), et les OGM autorisés mais soit présents dans des produits non étiquetés alors même qu’ils devraient l’être du fait d’une loi nationale, soit présents dans une filière ne les acceptant pas, à l’instar de filières bio certifiées.

Par ailleurs, même si cela peut passer pour un truisme, il est important de souligner que seuls les cas de contamination renseignés sont recensés dans ce registre. En effet, pour détecter la présence d’un OGM contaminant, il faut non seulement le chercher mais aussi disposer d’une méthode fiable de détection. Or, les inspections ne sont pas systématiques (elles sont faites sur la base de suspicions). Concrètement, les services officiels des douanes n’ont pas la capacité humaine et technique de contrôler toutes les importations, et certains pays n’affectent aucun moyen à ces contrôles. D’ailleurs, cela est-il souhaitable ? Avec quel budget ? Alimenté par qui ? Autant de questions que les acteurs de la société civile pourraient poser à nos représentants…

Et, par ailleurs, les entreprises ne sont pas partout soumises à l’obligation de fournir une méthode permettant de détecter leurs OGM. Et quand ces méthodes doivent être fournies, comme dans l’Union européenne, cette obligation ne s’applique pas aux essais en champs. Le cas du riz Bt63, dont la détection fut le fait de Greenpeace en 2006, avec une méthode détectant seulement la présence d’un OGM sans l’identifier précisément, le montre.

Parmi les facteurs limitant s’en trouve un très concret : le besoin que l’information relatant un cas de contamination soit disponible en anglais. Les associations s’occupant de ce registre ne parlant pas l’ensemble des langues parlées dans le monde, il est évident qu’une information circulant seulement en russe, chinois ou français n’arrivera pas à destination. On peut ainsi noter que les cas de contamination détectés en avril 2014 dans le Poitou-Charentes, concernant trois lots de semences de maïs certifiés non OGM mais contaminés par des transgènes, n’est pas, pour l’année 2014, dans le registre [5].

Un autre facteur « limitant » tient à la dissémination des contaminations, notamment du fait d’une internationalisation du commerce des produits agricoles. Ainsi, une contamination qui trouve son origine dans un pays peut se disséminer dans le monde entier et plusieurs fois par an dans un même pays. Or, tous les OGM contaminants ne sont pas détectés partout du fait de contrôles différents d’un pays à l’autre, de méthodes de détection non disponibles… D’où le fait que Greenpeace et Genewatch ont fait le choix de considérer comme un seul « cas », comme nous l’avons souligné précédemment, un OGM, dans un pays, pour une année. Les deux associations expliquent ainsi qu’en Europe, entre 1997 et 2013, si les multiples contaminations annuelles dans un même pays par un OGM donné avaient été retenues, ce ne sont pas 247 cas de contamination mais 587 qui auraient été recensés, soit une augmentation de plus de 137%.

Le statut autorisé / non autorisé introduit une dernière limite. Un OGM autorisé aux États-Unis mais non autorisé dans l’Union européenne sera considéré comme contaminant s’il est détecté en Europe. Mais, aux États-Unis, si ce même OGM est retrouvé dans des cultures non GM, cela ne sera pas considéré comme une contamination car aucune loi n’aura alors été enfreinte selon les auteurs. Ainsi, aux États-Unis comme ailleurs, seuls les cas de contamination des filières certifiées sans OGM sont retenus. Mais, à l’intérieur des pays n’ayant pas d’étiquetage OGM ou sans OGM, une contamination d’une filière conventionnelle par un OGM n’est pas recensée, aucune loi n’étant enfreinte. Dans ce dernier cas, les associations donnent comme exemple le cas de « coton GM largement cultivé aux États-Unis en 2013, représentant 90% de la surface cultivée en coton, mais seulement moins de 4% des incidents de contamination. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’une culture non alimentaire pour l’humain et n’étant donc pas soumise à étiquetage en Europe ».

En France, plus de contaminations car plus de contrôles ?

Selon ce registre, sur le podium, on trouve l’Allemagne, les États-Unis et, en troisième position, la France avec 24 cas recensés entre 1997 et 2013 (concernant du colza, betterave, soja, maïs, lin, papaye et bien sûr riz). Selon les auteurs de l’article, une des raisons expliquant cette troisième place serait que la France conduit « plus de contrôles efficaces [ndlr, par rapport aux pays ayant moins voire pas de contamination] ». Et justement, le 20 octobre 2014, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) publiait un communiqué de presse faisant état du bilan des contrôles 2013 sur des produits alimentaires « dits conventionnels, des produits issus de l’agriculture biologique et sur des produits faisant l’objet d’une allégation du type « sans OGM » ». Résultats : dix produits sur 42 contrôlés contenaient des traces d’OGM inférieures au seuil obligatoire d’étiquetage (<0,9%). De ce fait, pour la DGCCRF, aucun incident n’est à signaler.

Pour réduire les contaminations : changer la loi !

Pour les auteurs de l’article, ce bilan permet de tirer au moins deux leçons. La première, qui est peut-être une évidence mais qu’il est bon de rappeler, est que les contaminations par des OGM ont lieu et qu’elles peuvent provenir de cultures illégales. Le grand paradoxe de ce bilan est en effet que la plante la plus contaminante, le riz, n’est autorisée nulle part dans le monde à la culture. Cette prédominance du riz s’expliquerait par un plus grand nombre de contrôles ciblant cette plante. La seconde est tirée des cas de contamination par de la papaye GM ou du riz GM : ces cas montrent qu’une fois que les contaminations ont eu lieu, il peut être très difficile de s’en débarrasser.

In fine, les auteurs insistent principalement sur une évidence que l’on ne peut oublier : les contaminations ne sont détectées que si elles sont cherchées et qu’une méthode de détection est disponible. A ce jeu, l’Union européenne semble donc tenir le haut de l’affiche car sa législation lui fournit tous les éléments : méthode de détection à fournir, étiquetage obligatoire et donc, contrôles publics à mettre en œuvre, base de données centralisant les cas de contamination recensés… Mais la situation pourrait changer si les discussions autour d’une synchronisation des autorisations devaient aboutir, comme discuté dans le cadre de traités bilatéraux ou du Codex Alimentarius [6]. Car de fait, si un OGM était automatiquement autorisé partout dans le monde en même temps, le nombre de cas de contamination serait réduit aux OGM non autorisés dans le monde, aux OGM expérimentaux ou aux OGM qui ne respecteraient pas des lois comme celle de l’étiquetage ou le cahier des charges de l’agriculture biologique…

tableau 1 : Récapitulatif des contaminations
Plante ou animal Nombre de cas de contamination 1997-2013 %
Riz 134 34
Maïs 98 25
Colza 40 10
Soja 37 9
Lin 26 6,5
Papaye 18 4,5
Coton 14 3,5
Poisson 5 1,3
Herbe 4 1
Cochon 4 1
Betterave 4 1
Arabidopsis thaliana 3 0,75
Pomme de terre 2 0,5
Luzerne 1 0,25
Prunier 1 0,25
Tomate 1 0,25
Blé 1 0,25
Concombre 1 0,25
Pollen 1 0,25
Cerise, Kiwi, olivier 1 0,25
Total 396 100%

réalisé par Eric Meunier (Inf’OGM), source : Price B. et al.,« The GM Contamination Register : a review of recorded contamination incidents associated with genetically modified organisms (GMOs), 1997–2013 », International Journal of Food Contamination, 2014, 1:5

[2Price B. et al.,« The GM Contamination Register : a review of recorded contamination incidents associated with genetically modified organisms (GMOs), 1997–2013 », International Journal of Food Contamination, 2014, 1:5

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