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Des OGM en serre pour lutter contre le virus Ebola ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 19/09/2014

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Des plantes transgéniques pour produire des molécules thérapeutiques : l’histoire n’est pas nouvelle (cf. La moléculture ou l’utilisation des OGM pour produire des molécules ). Actuellement, aucun pays au monde n’a autorisé de médicament produit par des plantes transgéniques en serre ou en champ, mais les essais en champs sont légion. Dernier en date : un tabac génétiquement modifié pour lutter contre les conséquences du virus Ebola.

Le 18 septembre 2014, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, à l’unanimité, une résolution dans laquelle il « appelle les États membres à fournir une assistance et des ressources d’urgence », notamment à la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia car l’épidémie d’Ebola « constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales » [1]. De nombreuses entreprises pharmaceutiques travaillent, depuis plusieurs années, à l’élaboration de sérum ou d’antibiotiques pour lutter contre ce virus. Jusqu’à présent, en vain. Mais un espoir se profile. En effet, l’entreprise Mapp Biopharmaceutical [2], fondée en 2003, s’est engagée, dès 2007, dans la bataille contre le virus Ebola. Et son médicament ZMapp, sans avoir encore reçu d’homologation par les autorités sanitaires étasuniennes, vient d’être administré à des patients [3]. Il pourra aussi, suite à un arrêté ministériel du 18 septembre [4], « être utilisé lors d’une évacuation sanitaire de ressortissants dont l’État Français à la charge », tout comme pourront l’être deux autres traitements expérimentaux.

Une élaboration qui mobilise de nombreuses collaborations, publiques et privées

ZMapp [5] n’est pas un sérum, ni un vaccin. Il s’agit d’un médicament post-infection. Zmapp, comme le précise le site Internet de Mapp Biopharmaceutical, est un médicament « composé de trois anticorps monoclonaux dirigés contre la souche du virus Ebola du Zaïre ». Ces anticorps ont été produits, sous serre, par des plants de tabac (Nicotiana benthamiana) génétiquement modifié, puis extraits et purifiés et transformés en médicaments. De nombreuses entreprises ont été mobilisées dans cette aventure sanitaire : Defyrus, au Canada, a fourni les deux premiers anticorps contre Ebola (connu sous le nom de Zmab [6]) ; le troisième anticorps (MB003) [7] a été mis au point en lien avec un centre de recherche de l’armée étasunienne ; Leafbio a apporté ses connaissances en matière de tests cliniques et de commercialisation ; Icon Genetics (Allemagne), en tant que pionnier dans l’utilisation du tabac transgénique pour produire des molécules ; et Kentucky BioProcessing (Etats-Unis), racheté depuis par Reynolds American [8], ses connaissances en matière « d’extraction et de purification des protéines produites par des plantes », etc.

Par ailleurs, ce médicament n’aurait pas pu voir le jour sans l’aide, notamment financière, de nombreux instituts publics canadiens et étasuniens. Ainsi, Mapp Biopharmaceutical avait commencé ses travaux en lien étroit et avec des financements du ministère de la Défense étasunienne [9], de l’agence de la santé publique du Canada (ASPC), de l’Institut national sur les Allergies et les Maladies infectieuses [10], etc.

Et alors : ça marche ?

Précaution oblige, à la question : « est-ce que Zmapp fonctionne ? », l’entreprise répond clairement « nous ne savons pas ». Ce médicament n’a pas encore été évalué quant à son innocuité pour les êtres humains. Il a été identifié comme un candidat-médicament en janvier 2014, mais l’épidémie d’Ebola qui se développe à toute vitesse en Afrique favorise une accélération dans le processus d’homologation de ce médicament considéré comme prometteur…

Avant même qu’il soit autorisé, ce médicament a été administré au Liberia, à des travailleurs humanitaires étasuniens, les docteurs Kent Brantly et Nancy Writebol, et à un médecin libérien et un prêtre, neuf jours après qu’ils eurent contracté le virus Ebola. Si les deux premiers se portent mieux, les deux autres patients sont décédés quelques jours après. En l’état, rien ne prouve formellement que l’amélioration de leur état soit directement liée à ce médicament. Et l’entreprise, comme les responsables politiques, se gardent bien de crier victoire. La prudence s’impose, même si l’urgence est criante.

Mais qu’est-ce qui a été administré exactement à ces patients ? La réponse n’est pas évidente. David Kroll, dans un article publié dans Forbes [11], souligne qu’il pourrait s’agir du MB003. De même, plusieurs études évoquent des tests cliniques sur des macaques et autres primates non humains, parfois avec l’anticorps [12], parfois avec le Zmab [13]. Toutes ces études montrent des bons résultats, allant de 43% à 100% de réussite, en fonction du délai entre l’infection et le traitement. Ainsi le MB003 aurait été efficace à 43% sur des personnes infectées depuis 104 à 120 heures.

Antidote, une association qui milite pour que la recherche médicale réduise les expérimentations sur animal, rappelle aussi que le taux de fiabilité des résultats obtenus par le recours aux modèles animaux est d’environ 10%. Autrement dit, « sur 10 médicaments qui ont franchi les tests de sécurité et d’efficacité sur les animaux, un seul d’entre eux répondra aux attentes des essais cliniques chez l’homme« , souligne André Ménache, dans un entretien accordé au journal Le Point [14].

D’autres pistes ?

L’Agence de la santé publique canadienne évoque sur son site [15] un « autre traitement expérimental [qui] utilise de petits ARN interférents propres à certains gènes du virus Ebola de souche EBOV pour inhiber la réplication du virus ». Une étude, publiée par The Lancet  [16] évoque une protection à 66% et à 100% contre le virus Ebola chez des macaques, après quatre et sept traitements post-exposition, respectivement. Enfin, plusieurs vaccins expérimentaux sont en cours de développement, et devraient faire l’objet d’essais cliniques de phase I.

Le cercle vertueux : la santé favorise la santé

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’au cours de l’actuelle épidémie, 47% des personnes infectées ont survécu. Et d’expliquer qu’un traitement antibiotique précoce classique et surtout des bonnes conditions physiques ainsi qu’une alimentation correcte favorisent grandement la guérison. Et les personnels médicaux rappellent aussi que cette épidémie a explosé dans des pays qui ont de faibles capacités de soins ou de communication des risques. Ces deux éléments, socio-économiques, ne doivent pas être oubliés. La technique seule n’a jamais guéri, la technique, qu’elle qu’elle soit, doit s’installer dans un environnement favorable, où des politiques de santé publique ou de lutte contre la pauvreté sont mises en place. La technique ne doit, comme c’est trop souvent le cas, ni excuser, ni masquer l’absence de volonté politique… Ceci est valable autant dans les pays dits « développés » où certaines franges de la population n’ont pas accès aux soins, que dans les pays du Sud qui, eux, sont parfois dans l’incapacité de choisir les politiques de santé qu’ils souhaiteraient, du fait d’une dette écrasante, d’une corruption galopante, d’un manque d’infrastructures, etc. Encore une fois, le Nord vient « sauver » des pays du Sud, dans l’urgence et à coup de technique brevetée… Et quid des autres maladies endémiques ? Qui va payer ces fameuses pilules de Zmapp ? Pendant combien de temps ?

[3Patton, J., « Drug given to American Ebola patients is produced in Kentucky using tobacco plants », Kentucky Herald-Leader, 4 août 2014, http://www.kentucky.com/2014/08/04/3365612_drug-given-to-american-ebola-victims.html?rh=1

[6Zmab est composé des anticorps suivants : m1H3, m2G4 et m4G7

[7MB003 est composé des anticorps suivants : c13C6, h13F6 et c6D8

[8Il s’agit de l’entreprise mère de la société R.J. Reynolds Tobacco qui espère aussi grâce à ces tabacs GM et leur objectif thérapeutique redorer le blason de l’industrie du tabac, selon les termes mêmes du porte-parole, David Howard

[9USAMRIID – U.S. Army Medical Research Institute of Infectious Diseases, the Department of Defense Advanced Research Projects (DARPA), et the Defense Threat Reduction Agency (DTRA)

[10NIH National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID), Centers for Excellence in Translational Research (CETR)

[11Kroll, C., « Ebola ’Secret Serum’ : Small Biopharma, The Army, And Big Tobacco », Forbes, 5 août 2014, http://www.forbes.com/sites/davidkroll/2014/08/05/ebola-secret-serum-small-biopharma-the-army-and-big-tobacco/

[12J. Pettitt, L. Zeitlin, D. H. Kim, C. Working, J. C. Johnson, O. Bohorov, B. Bratcher, E. Hiatt, S. D. Hume, A. K. Johnson, J. Morton, M. H. Pauly, K. J. Whaley, M. F. Ingram, A. Zovanyi, M. Heinrich, A. Piper, J. Zelko, G. G. Olinger. Therapeutic Intervention of Ebola Virus Infection in Rhesus Macaques with the MB-003 Monoclonal Antibody Cocktail. Science Translational Medicine, 2013 ; 5 (199) : 199ra113 DOI : 10.1126/scitranslmed.300660

[13Qiu X., Audet J., Wong G., Fernando L., Bello A., Pillet S., Alimonti J.-B. et Kobinger G.-P. Sustained protection against Ebola virus infection following treatment of infected nonhuman primates with ZMAb. Sci Rep. 28 nov. 2013 ;3:3365

[14Le Point, 25 juin 2012.
Sur la valeur prédictive des modèles animaux, lire aussi Shanks, N., « Are animal models predictive for humans ? », Philosophy, Ethics, and Humanities in Medicine 2009, 4:2, http://www.peh-med.com/content/4/1/2

[16Geisbert T.W., Lee A.C., Robbins M., Geisbert J.B., Honko A.N., Sood V., Johnson J.C., de Jong S., Tavakoli I., Judge A., Hensley L.E. et Maclachlan I. Postexposure protection of non-human primates against a lethal Ebola virus challenge with RNA interference : a proof-of-concept study. Lancet . 29 mai 2010 ;375(9729):1896-905

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