n°128 - mai / juin 2014

Biotech : nouvelles techniques, mais pour des caractères « anciens”

Par Eric MEUNIER

Publié le 30/04/2014

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Dépassée la transgenèse classique ? Au regard du foisonnement des nouvelles techniques de biotechnologie, et de la multiplication des partenariats entre entreprises, la question est posée. Si, comme nous l’avons déjà écrit, le statut légal « OGM » ou non des plantes issues de ces techniques n’est pas encore défini, les caractéristiques introduites restent majoritairement celles des plantes transgéniques que l’on connaît : tolérance à des herbicides et lutte contre des pathogènes. En revanche, le paysage des entreprises change avec l’émergence de « petites » entreprises. Mais, par le biais d’accords ou rachats, il est possible qu’à terme, ce soit les « grandes » entreprises qui voient leur position renforcée.

Au Canada, plus de vingt-cinq plantes, obtenues par mutagenèse aléatoire (non considérée comme une nouvelle technique de biotechnologie), sont aujourd’hui autorisées à la commercialisation. Sur ces vingt-cinq, vingt ont été modifiées pour tolérer des herbicides [1]. Cela en dit long sur les projets des entreprises comme BASF et Pioneer. Sans surprise donc, les deux premières plantes mutées obtenues cette fois par mutagenèse dirigée, et qui viennent d’être autorisées, le canola SU de Cibus et le canola CLB-1 de BASF [2], sont… aussi tolérantes à des herbicides.

La tolérance aux herbicides l’emporte toujours

Organisé le 10 février 2014 par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), un atelier a fait le point sur les nouvelles techniques de biotechnologie utilisées pour modifier le génome de plantes [3]. Ont ainsi été listées des expérimentations en laboratoire ou en champs sur onze espèces [4] dans onze pays [5]. Fait nouveau par rapport à la transgenèse, on notera la présence du blé. Le blé transgénique n’avait pas réussi à obtenir d’autorisation commerciale du fait de fortes oppositions [6] et de difficultés techniques, mais les semenciers préparaient déjà l’alternative [7]. Les présentations faites au cours de cet atelier ne révèlent pas de changement radical pour les principales caractéristiques introduites : la tolérance aux herbicides est largement en tête. Et si la synthèse d’une protéine insecticide n’apparaît pas encore, des travaux sont néanmoins en cours par le biais des recherches sur les ARNi.

Mais les promesses d’autres caractéristiques sont mises en avant, véhiculées par des articles ou des communiqués de presse, comme elles l’ont été pendant les vingt années de débat sur les OGM. Il s’agit de ces fameuses plantes qui toléreraient la sécheresse ou les inondations, qui auraient une meilleure qualité nutritionnelle, des rendements supérieurs… Ces plantes miraculeuses, que les entreprises vendent aux responsables politiques et à la population en échange d’autorisations pour celles déjà disponibles, permettraient d’assurer la sécurité alimentaire mondiale, de parer aux effets du changement climatique sur l’agriculture, d’assurer le maintien d’emplois en Europe, etc. Un copier-coller des discours des années 90 pour les OGM… Un élément semble néanmoins changer : le paysage industriel avec l’apparition de nouveaux acteurs.

Trois entreprises émergent clairement aujourd’hui

De nouvelles entreprises s’affirment aux côtés de l’oligopole semencier

La première, Precision BioSciences, occupe une place importante grâce à ses méganucléases (des protéines agissant comme des ciseaux coupant l’ADN et permettant d’y introduire une mutation ou un gène). Outre un premier partenariat avec Pioneer [8], elle vient d’en dévoiler coup sur coup trois autres : avec Agrivida, une entreprise étasunienne, pour modifier du maïs « en vue d’améliorer les caractéristiques nutritionnelles (…) pour l’alimentation des bovins » [9], avec Nova Synthetix (États-Unis) pour modifier des plants de ricin afin « d’éliminer l’expression du gène de la ricine, une toxine présente dans cette plante » [10] et avec Danziger Innovations (Israël) pour modifier la couleur des pétunias et du tabac ornemental [11]. De son côté, l’entreprise française Cellectis avait déjà signé un accord en 2009 avec le français Limagrain, quatrième semencier mondial, et Monsanto [12]. En janvier 2014, c’est avec Bayer CropScience que deux accords ont été signés [13]. Mais Cellectis et Precision BioSciences travaillent en partie avec le même outil : des méganucléases. Un conflit juridique avait donc débuté mais vient d’être résolu par la signature fin janvier d’un accord leur octroyant mutuellement « des licences croisées sur certains brevets protégeant les technologies d’ingénierie des génomes [et stipulant qu’ils] abandonnent (…) les actions en cours devant les tribunaux et les offices de brevets ». Enfin, la troisième entreprise, Cibus, continue son chemin sur les plantes mutées en utilisant sa technique de mutagenèse dirigée par oligonucléotides. L’entreprise vient donc de recevoir une autorisation de commercialiser un canola muté au Canada, canola déjà commercialisé aux États-Unis [14].

L’enjeu pour ces entreprises émergentes va être de pouvoir survivre dans le milieu des biotechnologies agricoles déjà bien con-trôlé par quelques entreprises majeures. Historiquement en effet, ce sont des petites entreprises qui ont développé et mis au point les premières plantes transgéniques – Calgène pour la tomate FlavrSavr à mûrissement ralenti, rachetée par Monsanto en 1996 – ou certaines techniques brevetées – Monsanto rachète Delta Pine and Land qui détient le brevet sur Terminator en 2007… Mais entre entreprises multinationales, la guerre économique fait rage : Monsanto a ainsi déjà montré ses capacités à faire plier des concurrents directs par le biais d’accords de licence avantageux comme avec Dupont. Car les accords de licence signés actuellement entre ces petites entreprises et de plus grosses permettent aux deux parties de « pénétrer un marché sans avoir les droits de propriété industrielle nécessaires, disposer du temps nécessaire à développer leur propre technologie brevetée, s’accorder avec leurs concurrents sur un temps donné pour commercialiser de nouveaux produits à plusieurs technologies, ou à l’inverse, se protéger de cette concurrence » [15]. Les entreprises qui détiennent les brevets sur les nouvelles techniques de biotechnologie seront, à n’en pas douter, convoitées dès demain par les plus grosses qui souhaiteront mettre la main sur les techniques elles-mêmes ou sur les portefeuilles de brevets qu’elles détiennent. A l’instar de Monsanto, le monde agricole a déjà été témoin de tels renforcements de position en conquérant un marché ou en avalant des concurrents [16].

Quelles que soient les entreprises impliquées demain dans les biotechnologies, quelles que soient les nouvelles caractéristiques introduites, une chose est sûre : les citoyens ne sont plus les seuls à être débordés par le développement de ces techniques. Si, dans l’Union européenne, le travail politique entamé en 2008 concernait sept techniques, ce sont plus d’une quinzaine de techniques [17] qui sont aujourd’hui sur la table des législateurs…

[2Le canola est un colza avec un faible taux d’acide érucique.

[3Atelier sur les nouvelles techniques d’amélioration végétale, 10 février 2014, Paris

[4Pomme, Papaye, lin, fétuque des prés, canola, maïs, citronnier, diverses céréales, manioc, blé, tomate

[5Argentine, Australie, Belgique, Canada, États-Unis, Irlande, Japon, Mexique, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse

[17Agro-infiltration, cisgenèse / intragenèse, porte-greffe GM, mutagenèse dirigée par oligonucléotides, amélioration inverse, nucléase spécifique d’un site (nucléase à doigt de zinc…), méthylation de l’ADN via ARN, amélioration accélérée, méthode utilisant CRISPR/Cas, transplastomique, ARNi, technologie de stérilité mâle et autres…

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