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ETATS-UNIS : les OGM restent majoritaires malgré des résultats mitigés

Par Christophe NOISETTE

Publié le 06/03/2014

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Dans un bilan publié en février 2014, le ministère de l’Agriculture des États-Unis (USDA) note une progression rapide de quelques espèces génétiquement modifiées (soja, maïs, coton et colza) qui, en 15 ans, ont quasiment remplacé leurs homologues non transgéniques… Par contre, en termes économiques et environnementaux, ce ne sont pas les plantes miracles que les entreprises de biotechnologie avaient promises. En conclusion, le ministère écrit : « les agriculteurs vont continuer d’utiliser des semences génétiquement modifiées aussi longtemps qu’elles leurs seront profitables. Ceci dit, il n’est pas évident que la première génération de semences GM sera bénéfique aux agriculteurs indéfiniment. (…) La résistance des insectes à certains transgènes Bt, dans certaines zones, se développe, et la résistance aux herbicides à base de glyphosate est déjà présente dans plusieurs espèces d’adventices ». L’USDA reste optimiste et considère que des « bonnes pratiques d’encadrement pourront aider à retarder l’évolution de ces résistances ». C’est donc un bilan contrasté que l’USDA propose, un bilan qui rejoint le constat fait depuis plusieurs années par certains agronomes, entomologistes ou associations. Retour sur 15 ans de cultures transgéniques aux États-Unis.

Le rapport de l’USDA, intitulé « les cultures GM aux États-Unis » présente avant tout l’état des lieux des plantes génétiquement modifiées (PGM) dans ce pays qui accueille plus de 40% des cultures transgéniques mondiales. Il rappelle les taux d’adoption très importants des variétés transgéniques tolérantes à un ou plusieurs herbicides : 93% du soja est transgénique, 85% du maïs et 82% du coton. Cependant, toutes ces « merveilles » sont rapidement questionnées par ce rapport lui-même : apparitions de résistance, rendements stables, etc. L’USDA apporte au final peu d’éléments nouveaux. Les faits négatifs présentés l’avaient déjà été par de nombreux observateurs. Ce qui est nouveau ici, c’est que ce bilan est officiel et qu’il vient d’une officine qui a toujours su favoriser le développement des PGM. L’USDA dresse un bilan mitigé mais ne remet pas en cause la pertinence de cet outil technologique au service de ses agriculteurs… Voyons en premier lieu les plantes génétiquement modifiées pour tolérer des herbicides (HT), puis les plantes transgéniques qui produisent un insecticide (Bt).

La tolérance aux herbicides permet, encore, de gagner du temps

L’USDA note que l’utilisation massive des variétés génétiquement modifiées pour tolérer les herbicides a entraîné une augmentation tout aussi importante de certains herbicides, et principalement du Roundup (glyphosate). D’autres herbicides que le rapport qualifie de « plus toxiques et plus persistants » – sans le justifier réellement – ont disparu, au profit de ceux que les PGM toléraient. A noter que l’USDA cite l’étude de Séralini sur le NK603 et le Roundup associé, afin de montrer que certains chercheurs questionnent la non toxicité du glyphosate… mais cite aussi l’avis de l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) qui considère cette étude comme non concluante. L’USDA cite aussi l’étude de Mesnage et al. (2012) qui souligne que ce sont les autres ingrédients moléculaires présents dans les formules commerciales du Roundup qui sont les plus toxiques, et celle de Samsel et Sanoff (2013) qui considère que le glyphosate augmente les effets néfastes d’autres résidus chimiques. L’étude constate aussi une concentration du marché des herbicides mais aussi une concentration de certaines molécules dans les sols et la flore.

Le ministère ne peut que constater, comme cela a déjà été fait à de nombreuses reprises, « un recours excessif au glyphosate et une réduction de la diversité des pratiques de gestion des mauvaises herbes  », pratiques qui « ont contribué à une apparition de la tolérance au glyphosate chez 14 adventices aux États-Unis ». Et l’apparition de résistance engendre, en retour, une augmentation des pulvérisations : « la résistance au glyphosate chez les populations d’adventices au cours des récentes années a pu inciter les agriculteurs à augmenter les doses ». Mieux : le rapport souligne une toxicité prochaine accrue des herbicides (par rapport au glyphosate) avec l’arrivée possible des variétés tolérantes à des nouveaux herbicides, le 2,4-D et le Dicamba. Ce qui ne va sans doute pas empêcher le ministère d’autoriser ces nouvelles plantes dont les autorisations sont actuellement soumises à la consultation du public [1].

Ces PGM, censées simplifier le travail des agriculteurs, ont aussi facilité l’acquisition de résistance chez des adventices. Moins de deux décennies après leur mise en culture, l’USDA ne peut que conseiller de revenir à une gestion moins monolithique des herbicides, de gérer les résistances via une rotation des cultures, et « d’observer ses champs systématiquement (sic), nettoyer ses équipements pour éviter de disséminer ses adventices résistantes et maintenir des bordures autour des champs ». Du simple bon sens diraient les militants qui alertaient sur ce risque dès la fin des années 90.

Des rendements équivalents, voire plus faibles

Le rapport note aussi des rendements potentiels (lorsque les conditions environnementales sont optimales) équivalents, voire plus faibles pour les variétés GM tolérant les herbicides (HT) par rapport aux variétés conventionnelles. Il est écrit précisément : « les preuves empiriques concernant [leurs] effets sur les rendements sont mitigées ». Ainsi « durant les 15 années d’utilisation commerciale, les semences GM n’ont pas montré d’augmentation des rendements potentiels des variétés. En fait, les rendements des semences HT ou Bt peuvent être occasionnellement plus faibles que ceux des variétés conventionnelles si les variétés dans lesquelles on a inséré les gènes HT ou Bt ne sont pas de bons cultivars, comme ce fut le cas dans les premières années de leur adoption » (p.12). L’USDA tente d’expliquer ces différences de rendements par une simple question de sélection, affirmant donc que les PGM n’ont pas bénéficié des meilleures variétés bien qu’ayant accaparé le financement de recherches coûteuses. D’autres chercheurs soulignent que les modifications génétiques entraînent des perturbations au niveau de la plante. Ainsi selon une étude de Barney Gordon (université du Kansas) [2], le premier soja Roundup Ready aurait une plus faible capacité à utiliser certains nutriments du sol que son homologue conventionnel.

Le rapport précise donc que « les semences HT ont un effet mitigé sur les revenus nets de l’exploitation agricole », les auteurs ne s’accordant pas sur des réels bénéfices précis. Ainsi, « le fait que plusieurs chercheurs ne trouvent aucune différence entre les revenus nets des agriculteurs qui ont adopté les cultures HT (et en particulier le soja HT) et ceux qui n’ont pas adopté cette technologie, malgré l’adoption rapide de ces cultures, suggère que ceux qui l’ont adopté retirent de l’adoption des variétés HT des bénéfices non monétaires » (p.22).

A cela il faut ajouter un prix des semences GM plus élevé que celui des variétés non GM. Ainsi l’intérêt pour les variétés HT vient principalement, pour ne pas dire exclusivement, de la facilitation des pratiques culturales et donc du temps dégagé par les agriculteurs qui évite d’avoir recours à de la main d’œuvre. Ces variétés ont jusqu’à présent permis de simplifier le contrôle des adventices, de réduire le nombre de passages d’engins dans les champs et de travailler avec un couvert végétal limitant l’érosion des sols. L’agriculture sous couvert végétal n’est pas propre aux PGM. Cette technique peut être pratiquée sans utilisation d’herbicide et donc sans variétés HT, même si une communication très bien orchestrée essaie d’assimiler les deux. Ainsi, il est clair que l’intérêt principal pour les agriculteurs est le gain de temps, gain qui permet de « générer des revenus via des activités en dehors de l’exploitation ou en développant leur exploitation ». Mais jusqu’à quand ? Et socialement parlant, est-ce pertinent de remplacer les agriculteurs par plus de technologie ? Quelles conséquences sur les territoires ?

Malgré ces résistances, malgré ces rendements stables, malgré un coût de la semence supérieur dans le cas des variétés GM, les variétés HT restent intéressantes pour les agriculteurs étasuniens, puisque que le taux d’adoption ne diminue pas… Mais qu’en est-il de la disponibilité en semences de soja non GM ? Si les semenciers organisaient leur rareté, cela pourrait aussi expliquer cet apparent engouement ? Et que dire des contrats signés pour obtenir des semences GM et qui obligent les agriculteurs à récidiver ? Et que dire des repousses de PGM dans les champs qui rendent un changement de pratique agricole audacieux ?

L’intérêt des variétés Bt dépend de la pression des ravageurs

Dès l’introduction, l’USDA souligne que « l’adoption des plantes Bt augmente les rendements en réduisant les pertes liées aux insectes ». Autre avantage notoire mis en avant dans ce rapport : l’utilisation de variétés Bt, notamment pour le maïs et à moindre égard pour le coton, a eu un impact favorable en permettant de réduire considérablement l’usage des insecticides… Ceci semble évident : la plante a été modifiée pour produire cet insecticide. Heureusement que l’agriculteur en pulvérise moins… D’ailleurs, la production de l’insecticide par la plante entraîne, sans savoir dans quelle proportion exactement, une plus forte concentration de ces toxines dans l’environnement : la plante les produit en permanence et dans toutes ses cellules, des racines jusqu’aux fleurs… Ce bénéfice aurait d’ailleurs été partagé avec les agriculteurs qui ont continué à cultiver du maïs non GM. L’efficacité des variétés Bt est telle que les populations de pyrale auraient alors disparu des champs, de tous les champs… Ainsi, le rapport note que sur les cultures de maïs, l’utilisation d’insecticides est passée de 235 g par hectare en 1995, c’est-à-dire à la veille des premiers champs transgéniques, à 67 g/ha en 2005 et à 22 g/ha en 2010. Mais comme l’explique Charles Benbrook dans une étude publiée en septembre 2012 [3], « depuis 1996, le volume d’insecticides appliqués sur les maïs GM et non GM a diminué parce que la tendance de l’industrie des pesticides est d’aller vers des insecticides biologiquement plus actifs pour des doses inférieures ».

Ce bénéfice se réduira-t-il à l’avenir avec l’apparition d’insectes devenus résistants ? Si certains lépidoptères (pyrale ou sésamie) ne semblent pas avoir développé de résistance aux protéines Cry (celles émises en continue par les variétés Bt), la chrysomèle (Diabrotica virgifera virgifera, de la famille des coléoptères, a connu un destin différent : une résistance a été observée trois ans après la mise en culture des maïs Bt destinés à lutter contre ce parasite [4]. L’USDA ne peut que constater la perte d’efficacité de ces maïs et cite, en note, l’étude de Tabashnik (2013) qui précise que les agriculteurs ne se conforment pas strictement aux obligations réglementaires et que les zones refuges n’ont pas la taille nécessaire pour réellement permettre de retarder l’apparition des résistances. Ce rapport souligne que ce sont les « fournisseurs de la technologie » [5], sous contrat avec les agriculteurs, qui doivent surveiller et faire respecter les exigences (de zones refuges » aux agriculteurs » (p.29) ; que ces zones refuges ont permis de retarder l’apparition des résistances ; et que l’Environmental Protection Agency (EPA, ministère de l’Environnement) a supprimé l’obligation de zones refuges pour les cultures de coton Bt qui expriment plusieurs transgènes dans certaines zones où les cultures voisines (ou les espaces naturels) seraient des zones refuges « non structurées » (p.31). Or, un article publié en 2013 dans Nature Biotechnology – cité en note dans ce rapport – fait état de résistance à plusieurs toxines Bt pour le parasite du cotonnier, Helicoverpa zea et souligne que les zones refuges ne sont pas forcément correctement implantées par les agriculteurs. Ne faudrait-il pas rendre obligatoires de telles zones refuges ? De même, toujours en note, l’USDA mentionne un article paru dans le Wall Street Journal [6], en 2013, qui fait état d’une augmentation des ventes d’insecticides pour le maïs entre 2012 et 2013. Cette augmentation est liée en partie aux résistances des chrysomèles mais aussi à l’augmentation de la surface totale étasunienne de maïs.

Le prix des semences a augmenté

L’USDA note aussi que le prix des semences GM, soja et maïs, a augmenté de 50 % (en termes réels, c’est-à-dire en l’ajustant avec l’inflation) entre 2001 et 2010, et le prix des semences de coton GM a augmenté encore plus rapidement. Charles Benbrook, directeur scientifique de l’US Organic Center, [7] soulignait aussi cette accélération du prix des semences GM, mais surtout comparait cette augmentation avec celle, moindre, des variétés conventionnelles. Le ratio entre les deux catégories de semences de coton est passé de 2,5 en 2001 à 5,9 en 2010. Ce phénomène, que le rapport n’explique pas, mais qui semble lié en partie à la concentration du marché (et donc à une moindre concurrence), a réduit dans une certaine mesure l’intérêt économique des PGM. L’arrivée des variétés combinant des transgènes Bt et des HT aurait permis, toujours selon ce rapport, de compenser la hausse importante du prix des semences. Le rapport prend soin alors de préciser que l’intérêt économique des maïs Bt dépend énormément de la pression parasitaire. « L’adoption des PGM tend à augmenter les revenus nets si la valeur des pertes de rendements et la réduction des pesticides excèdent le coût additionnel liés aux semences GM ». Si cette pression est faible, le surcoût des semences n’est pas compensé par le bénéfice insecticide.

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