n°109 - mars / avril 2011

OGM – La recherche dans l’UE : l’histoire d’un appel d’offre fléché

Par Frédéric JACQUEMART

Publié le 21/03/2011

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Depuis longtemps, la Commission européenne (CE) se préoccupe de la coexistence, c’est-à-dire des conditions qui permettraient de cultiver des Plantes Génétiquement Modifiées (PGM) sans trop polluer les cultures conventionnelles ou biologiques pour éviter ensuite aux filières GM et non GM de se mélanger. Mais la Commission semble vouloir tordre les résultats scientifiques.

Dès 2002, l’Institute for Prospective Technological Studies (IPTS), branche du Joint Rearch Center (JRC), qui est un centre de recherches pour l’Union européenne (UE), publiait un rapport nommé « scénarios pour la coexistence des plantes génétiquement modifiées, conventionnelles et biologiques dans l’agriculture européenne » [1], qui montrait déjà l’impossibilité de fait d’une telle coexistence, notamment du fait des surcoûts induits par les PGM sur les filières non GM, qui doivent se prémunir des contaminations et l’attester par des analyses coûteuses. Greenpeace avait montré à l’époque que le directeur du JRC avait tenter de supprimer cette partie du rapport [2].

Par l’intermédiaire du Centre Commun de Recherche de Séville (CCR), la CE a, par ailleurs, publié diverses études fournissant des éléments sur cette coexistence. Parallèlement, l’UE a lancé, à grands frais, différents programmes de recherche sur la question. Deux d’entre eux, Sigmea [3] et Co-Extra [4], étaient dédiés à l’étude des effets de l’implantation de cultures de PGM dans l’UE, de la faisabilité de la coexistence et de la traçabilité des produits GM ou issus d’OGM. Le troisième, Transcontainer, était, quant à lui, dédié à l’étude des méthodes de confinement des transgènes pour éviter la dissémination des PGM (contrôle de la floraison, de la fertilité, transformation de l’ADN extrachromosomique non présent dans le pollen, techniques de type Terminator…).

Ces programmes sont maintenant achevés et, bien que tous les résultats, à notre connaissance, ne soient pas encore publiés, il apparaît clairement que, en cohérence avec les travaux précédemment cités, la coexistence, pour la plupart des espèces cultivées, est au moins extrêmement difficile à obtenir, surtout si on se base sur le seuil logique de 0,1% pour définir le « sans OGM » [5].

Trois millions d’euros pour valider les résultats attendus ?

Las, voilà qui ne correspond pas tout à fait avec les vues de la Commission Européenne. Qu’à cela ne tienne, cette dernière lance un nouvel appel d’offre [6], doté de trois millions d’euros, toujours sur ce même sujet de la coexistence ! L’appel d’offre est d’emblée explicite : la coexistence doit être réalisable, et à un coût raisonnable. Au cas où certains n’auraient pas compris, un paragraphe de l’appel d’offre [7] précise « la coexistence peut être réalisée a priori avec des distances d’isolement beaucoup plus faibles que précédemment suggéré ». Pour la Commission, qui base ses décisions sur la Science et rien que la Science, les résultats sont donc donnés AVANT les études, qui doivent, pour trois millions d’euros, se débrouiller pour les valider. En fait, le libellé même du texte de l’appel évoque furieusement une publication de Matty Demont et coll. (2010) [8] qui plaide pour la « coexistence flexible » en lieu et place de distances d’isolement a priori : « L’UE est actuellement confrontée à un défi qui pourrait entraver inutilement l’adoption des cultures transgéniques : la réglementation de la coexistence de cultures transgéniques et non-transgéniques. Les États membres sont en train de mettre en œuvre ou de développer à la fois des réglementations de coexistence a priori et des dispositifs de responsabilité a posteriori, afin de permettre la coexistence des deux types de cultures dans l’UE. Dans cet article, nous envisageons en détail comment les décideurs de l’action publique au niveau national et/ou régional peuvent introduire un certain degré de flexibilité dans les réglementations de coexistence a priori afin de réduire le poids réglementaire de certaines options agricoles et d’éviter de compromettre les incitations économiques à la coexistence ».

En gros, la coexistence flexible se base sur moins de réglementation a priori et des contrats de droit privé entre agriculteurs. Bien entendu, on pourrait, en pratique, diminuer encore les distances d’isolement en utilisant des GURT (technique type Terminator) ou d’autres manipulations visant à restreindre les possibilités de pollinisation à partir des PGM, telles la cleistogamie [9] ou la stérilité mâle cytoplasmique (sigle anglais : CMS). Du reste, l’appel d’offre n’hésite pas à inciter les candidats à aller dans ce sens : « Il y a aussi besoin d’études de cas de confinement biologique avec, par exemple, un maïs combinant résistance aux insectes, tolérance à un herbicide, et CMS ». On ne peut être plus précis ! Or, à notre connaissance, une seule équipe, qui travaille à l’Institut Fédéral de Technologies de Zurich (ETHZ) sur le système « Plus Hybrid » peut répondre à cette condition !

Voilà un appel d’offre normalement ouvert à tous, mais qui se trouve de facto restreint au seul consortium de chercheurs comprenant cette équipe, qui, par hasard, va dans le sens de la coexistence flexible… La ficelle était un peu grosse et des remarques ont probablement atteint les oreilles de la Commission. Toujours est-il que, finalement, cet appel d’offre a été corrigé d’une partie de ses excès et se présente maintenant de manière plus ouverte. Néanmoins, grâce à ce premier texte, les intentions des décideurs européens sont dévoilées : coexistence flexible, avec techniques de confinement biologique, peu de règlement et un partage des coûts de dévaluation des récoltes engendrées par les inévitables contaminations. Reste à la « Science » à aller enfin dans le bon sens, en attendant que les OGM du futur proche (très proche !) ne s’appellent plus OGM, ce qui, finalement, simplifiera bien des choses.

[1« Scenarios for co-existence of genetically modified, conventional and organic crops in European agriculture », http://www.gmfreeireland.org/downlo… 

[3Sustainable Introduction of Genetically Modified crops into European Agriculture, programme lancé en 2002 et coordonné par Jeremy Sweet et Antoine Messéan.

[4Co-Existence and Traceability of GM and non-GM supply, http://www.coextra.eu/project_descr…

[5Ce que propose le Haut Conseil des Biotechnologies

[6KBBE.2011.1.4-03 : feasible and cost effective crop-specific coexistence measures, labelling and traceability requirement. Call : FP7-KBBE-2011-5

[7Version intermédiaire d’avril 2010

[9La cleïstogamie consiste à faire en sorte que les enveloppes des fleurs ne s’ouvrent pas, gardant ainsi le pollen captif.

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