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FRANCE – OGM : des tournesols mutés détruits en 2010 : rejet de la Cassation

Par Christophe NOISETTE

Publié le 01/06/2016

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En juillet 2010, une centaine de Faucheurs volontaires détruisait deux parcelles de tournesols génétiquement mutés en Indre-et-Loire, pour dénoncer ces variétés rendues tolérantes à un herbicide, qu’ils considèrent comme des « OGM cachés ». Seuls trois d’entre eux ont été inculpés. Condamnés à Tours, en novembre 2012, ils ont fait appel. En avril 2014, le Tribunal a durci un peu les peines… En mai 2016, la Cour de cassation a rejeté la demande des Faucheurs mais n’a pas alourdi les peines, contrairement à ce qu’il est mentionné largement dans la presse et sur les sites de soutien à l’agriculture génétiquement modifiée.

I – 2010 : l'action

Samedi 24 juillet 2010, des Faucheurs volontaires ont, selon leurs termes, « neutralisé » des tournesols (l’Express Sun de Pioneer et l’Imeria CS Clearfield de BASF) situés dans deux parcelles, l’une à Sorigny, l’autre à Saint Branchs, en Indre-et-Loire, pour protester contre ces plantations tolérant des herbicides et considérées comme des OGM. Les Faucheurs volontaires, comme d’autres organisations opposées aux OGM, considèrent en effet que les plantes mutées sont des OGM cachés [1]. Or, ces plantes mutées sont exclues de la législation qui gère l’évaluation, l’étiquetage et la traçabilité des OGM. Et les plantes génétiquement modifiées ou mutées pour tolérer des herbicides sont de plus en plus décriées dans le monde, comme l’a rappelé récemment une expertise collective CNRS / Inra [2]. Les plantes adventices résistantes aux herbicides ont envahi les champs aux États-Unis, et les entreprises de biotechnologies n’ont rien à proposer si ce n’est la fuite en avant en vendant des OGM qui tolèrent d’autres herbicides plus toxiques, des doses plus importantes d’herbicides, ou un cocktail de ceux-ci [3].

En 2009, plusieurs actions avaient été menées par les Faucheurs volontaires pour dénoncer ce type de manipulation génétique [4].

II – 2012 : première instance

Le 26 novembre 2012, s’est déroulé à Tour le procès de trois personnes inculpées suite à cette action. Cependant, cette dernière avait mobilisé 119 personnes dont 74 avaient demandé au juge d’être, elles aussi, jugées. Le juge, lors de cette première instance, avait refusé de prendre en compte la demande de ces « comparants volontaires ». L’action était collective et politique, ce que le Tribunal avait donc préféré ignorer en ne jugeant que trois personnes. Suite à ce refus, prévenus, avocats, comparants volontaires et témoins avaient quitté le tribunal, en guise de protestation.

Un des comparants volontaires nous avait relaté un moment comique de ce procès. Un des trois inculpés officiels, Bruno, n’ayant pas reçu sa convocation, n’était donc pas « officiellement » prévenu. Le président du Tribunal lui avait alors demandé s’il acceptait de comparaître volontairement, ce qu’il avait accepté… Mais il avait lui aussi quitté la salle quand le juge avait refusé les autres comparants volontaires.

Le procureur de la République avait requis, à l’encontre des trois prévenus, trois mois de prison avec sursis, 3000 et 4000 euros de dommages et intérêts en faveur des deux agriculteurs dont les parcelles avaient été détruites et 1000 euros de frais de justice. Il avait aussi requis 350 euros pour chaque témoin qui avait quitté le procès [5].

III – 2013 : délibéré : deux faucheurs sur trois condamnés

Le 25 février 2013, le tribunal de Tours, dans son délibéré, condamnait deux faucheurs volontaires, Fabien Houyez et Bruno Stree, à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros (au total) au titre de dommages et intérêts et préjudices moraux à payer aux agriculteurs dont les parcelles avaient été fauchées. Le troisième inculpé, André Puygrenier, avait été relaxé, le Tribunal n’ayant pas pu « établir avec certitude sa participation matérielle aux faits » car « sa seule revendication d’y avoir participé […] ne saurait pas (…) suffire » [6].

Les témoins, qui avaient quitté l’audience en première instance, avaient été condamnés à payer 350 euros d’amende chacun, comme le prévoit le Code de procédure pénale.

Ces peines reprenaient quasiment le réquisitoire du Procureur de la République.

IV – 2014 : Orléans : la Cour d'appel durcit le jugement

Le 9 avril 2014, a eu lieu l’audience en appel à Orléans. Si les deux condamnés en première instance ont fait appel, c’est le Procureur de la République qui avait fait appel de la relaxe du troisième inculpé : André Puygrenier. Ce sont donc à nouveau trois personnes qui ont été jugées au cours de ce nouveau procès. L’Avocate générale [7] a durci le réquisitoire : elle a demandé trois mois de prison avec sursis (comme en première instance), mais a ajouté une amende de 500 euros par inculpé, car a-t-elle affirmé, « les peines de prison ne suffisent pas ». Pour les faucheurs, ces amendes sont « relativement dérisoires » ont-ils confié à Inf’OGM, ajoutant que pour une Cour d’appel, « ce réquisitoire n’est pas méchant ».

Le 24 juin 2014, la Cour d’Appel rendait un délibéré qui suivait le réquisitoire du ministère public et donc durcissait légèrement le jugement de la première instance : trois mois de prison avec sursis, 7000 euros de dommages et intérêts et une amende individuelle de 500 euros.

A noter que André Puygrenier, relaxé en première instance, a donc lui aussi été condamné à trois mois de prison avec sursis, et à une amende de 500 euros.

V – 2016 : La Cour de cassation rejette le pourvoi des Faucheurs

Le 25 mai 2016, la Cour de cassation a rejeté la demande des trois faucheurs inculpés sans modifier le jugement de la Cour d’Appel, contrairement à ce qui est largement mentionné dans la presse ou sur les sites de soutien aux plantes mutées.

En effet, 4000 euros n’ont pas été prononcés au titre des dommages et intérêts, mais correspondent aux frais de justice des parties adverses. Une nuance importante.

La Cour a donc rejeté les cinq moyens développés par les avocats des Faucheurs. « Le troisième moyen (…) visait à contester le fait que la mutagénèse ne relève pas du régime juridique des OGM, ce qui avait pour conséquence que l’infraction retenue contre [les Faucheurs] était celle de « destruction du bien d’autrui », plus sévèrement réprimée que le délit spécial de « destruction volontaire de parcelles de cultures OGM [8] ». Or, la Cour s’est retranchée «  derrière le pouvoir souverain d’appréciation des faits par les juges du fond  », ce qui lui a permis de ne pas entrer dans le débat proposé par les Faucheurs qui portait pourtant sur une question de droit…

La Cour a aussi rejeté l’état de nécessité : elle a considéré qu’à nouveau, cela relevait « de l’appréciation souveraine des juges du fond et qu’il résultait des motifs de l’arrêt que les actes reprochés n’étaient pas justifiés par un danger actuel ou imminent ». Comme le précise Me Gallon, « la Cour de cassation n’est absolument pas rentrée dans le débat et a appliqué sa jurisprudence désormais bien assise qui consiste à rejeter l’état de nécessité ».

Enfin les avocats ont dénoncé que les deux précédentes Cours avaient utilisé une note du ministère de l’Agriculture (DGAl), communiquée au Procureur par la Préfecture d’Indre-et-Loire « sans que cette pièce ait été versée au débat et sans que nous ayons pu la discuter, en violation du principe du contradictoire ».

La Cour de cassation a considéré qu’il résultait de l’arrêt et des pièces de procédure qu’aucune contestation n’avait été formulée devant la Cour d’Appel contre le versement de cette note. Elle en a déduit que cette contestation était nouvelle devant la Cour de cassation et ne pouvait donc être invoquée pour la première fois devant elle.

Réaction de la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (FOP) – liée au groupe Avril (ex-Sofiprotéol), dont le Président du conseil d’administration n’est autre que Xavier Beulin, aussi Président de la FNSEA : « La violence a ses limites ! La justice est enfin rendue pour ces agriculteurs qui cultivent en toute légalité des semences conformes à la réglementation française«  [9]. Les agriculteurs (dont Michel Beauchesne et Fabien Labrunie) qui avaient vu leurs champs détruits se sont réjouis de ce jugement et évoquent la « technique agricole (…) mise au point par la recherche publique (Inra), [et] (…) développée depuis plus de 50 ans [qui] bénéficie, entre autres, à l’agriculture biologique ou raisonnée  ». Raisonnée, peut-être, biologique, sûrement pas ! En effet, l’agriculture biologique n’utilise pas d’herbicide de synthèse. Or ces variétés rendues tolérantes aux herbicides ont été conçues pour tolérer sans mourir des pulvérisations d’herbicide. Les tournesols détruits étaient vendus sous la marque commerciale de ExpressSun (de l’entreprise Pioneer) ou Clearfield (de l’entreprise BASF).

La mutagénèse aléatoire est certes vieille de 50 ans, et c’est à ce titre qu’elle a été exclue du champ d’application de la réglementation « OGM », mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’OGM. D’ailleurs, pour l’actuelle ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, les VrTH « sont quasiment des OGM » [10].

[5Comme le souligne le site http://www.services-publics.fr, la personne dont le témoignage est demandé est obligée de répondre à la convocation et de comparaître. L’article 109 stipule que « toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Le refus de comparaître est passible d’une amende soit de 3000 euros (procès civil), soit de 3750 euros (procès pénal)

[6Le texte in extenso du jugement dit : « qu’en revanche, même si la présence de M. André Puygrenier a également été relevée parmi la trentaine de personnes contrôlées peu après les faits par les services de gendarmerie qui ont procédé à son audition durant laquelle, à l’instar de toutes les autres personnes alors entendues, il a indiqué ne rien avoir à déclarer, sa seule identification au moyen de la chemise qu’il portait et qui apparaît sur la photographie anthropométrique prise à l’occasion de son audition ce jour-là, semblable à celle dont était revêtu un individu photographié de dos sur les lieux des faits ne permettant pas de voir les traits de son visage, n’apparaît pas suffisante pour établir avec certitude sa participation matérielle aux faits de dégradations et destruction de cultures ; que sa seule revendication d’y avoir participé figurant dans ces mêmes conclusions au fond déposées avant de quitter les débats, ne saurait pas plus suffire à établir de manière certaine sa participation aux faits reprochés ».

[7représentante du ministère public

[8article L. 533–5 et L. 533–6 du code de l’environnement

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